L'idée d'interdire totalement de vendre de l'alcool aux mineurs, je me suis d'abord dit que c'était une bonne idée. À la réflexion, je n'y crois guère : soit ça ne changera rien, soit ça incitera les jeunes à faire une beuverie monstre le jour de leurs 18 ans (ailleurs, ça se fait le jour des 21 ans).
Le problème n'est pas tant un problème de santé publique qu'un
problème de culture. On passe
progressivement[#] d'une approche
« sophistiquée » de l'alcool — où les jeunes ados apprennent tôt
à boire un peu de vin avec leurs parents et à en apprécier la
consommation modérée, une approche où il est socialement bien vu de
faire preuve de certaines connaissances en œnologie — vers
une mentalité où ce qui compte est de consommer la plus grande
quantité d'éthanol le plus vite possible, le respect n'étant pas
mérité par celui qui sait reconnaître telle ou telle qualité gustative
de la boisson mais par celui qui en avale le plus. La prohibition
en-dessous d'un certain âge risque plutôt d'accentuer cette évolution
(en interdisant l'approche raisonnable et en donnant à l'alcool encore
plus du cachet je suis un petit con rebelle qui fais des choses
interdites et cooooool
). Ce n'est pas tout à fait comme la
cigarette, pour laquelle ne pas fumer n'est pas socialement
rédhibitoire (enfin, pas aussi rédhibitoire) même chez les
jeunes. Ne pas boire de l'alcool, quand on est jeune, sauf peut-être
si c'est pour des raisons
religieuses[#2], c'est passer
pour un extraterrestre, un plouc complet, une grenouille et/ou
un nerd pathétique, j'en ai su quelque
chose.
La vraie difficulté est de savoir si — et comment — on peut faire changer l'opinion à ce sujet. Ça ne sert à rien de dire aux lycéens : en buvant jusqu'au coma éthylique vous vous détruisez la santé, en buvant avant de prendre le volant vous mettez votre vie en danger, etc. — ils n'ont rien à foutre de se détruire la santé ou de mettre leur vie en danger, ils veulent être cooooool. Donc le message à faire passer (mais c'est autrement plus dur) c'est : ce n'est pas irrémédiablement pascooooool de ne pas boire d'alcool. À mon avis, une seule déclaration un peu médiatisée de la part d'une star quelconque qui ferait son coming-out de non-alcoolique aurait plus d'effet que tout ce que le ministère de la santé pourrait entreprendre.
[#] Avec pour témoin le
fait que le terme anglais dont je me sers comme titre pour cette
entrée n'admettait pas d'équivalent français jusqu'à ce qu'on
invente défonce alcoolique
.
[#2] Que je sache, une des principales religions pratiquées en France interdit la consommation d'alcool. Je serais curieux de savoir si cette interdiction est aussi respectée que l'interdiction — ni plus ni moins importante aux yeux de la religion en question — de consommer de la viande de porc. Parce que quelque chose me dit que (1) le respect des interdits religieux doit être d'autant plus suivi que ces interdits peuvent servir de témoin d'appartenance à la religion en question et (2) personne ne trouve que ne pas manger de porc est irrémédiablement pascooooool sauf des gens qui viseraient explicitement les religions qui l'interdisent.