David Madore's WebLog: Solides réguliers en quatre dimensions

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(samedi)

Solides réguliers en quatre dimensions

On me signale un magnifique film de vulgarisation mathématique, en neuf parties : Dimensions, par Jos Leys, Étienne Ghys et Aurélien Alvarez[#] (téléchargeable[#2] et redistribuable sous licence Creative Commons by-nc-nd 3.0, et également commandable en DVD) ; il s'agit, notamment, d'essayer de donner une idée compréhensible par le grand public de ce à quoi la quatrième dimension (et les solides réguliers en dimension 4) preuvent ressembler, ainsi que d'autres choses (comme les transformations conformes du plan, les fractales…). C'est tellement rare de voir de la bonne vulgarisation mathématique qu'il faut vraiment signaler celui-ci.

Il y a six solides réguliers en dimension 4[#3] : c'est d'autant plus remarquable que pour toutes les dimensions à partir de 5 il n'y en a plus que trois (le simplexe, l'hypercube et le dual de ce dernier), et que si chacun des solides réguliers en dimension 3 a une généralisation naturelle en dimension 4 (tétraèdre→simplexe=5-cellule ; cube→hypercube=tesseract ; octaèdre→16-cellule ; dodécaèdre→120-cellule ; icosaèdre→600-cellule), il y en a un supplémentaire, le 24-cellule (formé de 24 octaèdres assemblés de façon complètement régulière), véritablement exceptionnel[#4], qui n'a pas d'analogue en dimension 3. Bref, la dimension 4 est la plus fertile en solides réguliers.

Je pense que la meilleure façon[#5] de visualiser les solides réguliers en dimension 4 — qui est proche[#6] mais pas identique à une de celles utilisée dans le film, à savoir la projection stéréographique — consiste à les mettre sur la 3-sphère (S3), et à voir celle-ci comme un espace courbe de dimension 3, et à faire du raytracing dans cet espace courbe. J'avais proposé ça il y a longtemps, mais je n'ai jamais eu la patience de faire. D'ailleurs, la raison pour laquelle ils n'ont pas fait ce que je propose dans le film, c'est probablement que ça oblige à mettre à la poubelle les outils comme Povray.

Quoi qu'il en soit, j'espère que ce film aura une large diffusion : si ça peut susciter des vocations, notamment.

[#] Je ne connais pas les autres auteurs, mais Étienne Ghys, qui semble avoir écrit le scénario de la partie proprement mathématique, est quelqu'un d'absolument impressionnant par sa culture mathématique (le genre qui est capable d'écouter parler un mathématicien de n'importe quel domaine et de poser des questions intelligentes après).

[#2] Enfin, si ce n'est qu'au moment où j'écris (2008-06-21T21:45+0200) le site est indisponible pour le téléchargement. (C'est de nouveau disponible.) Si on ne s'était pas tellement occupé de faire interdire autant que possible les protocoles de torrent ou de pair-à-pair (par exemple dans les universités et lieux de recherche), on se serait rendu compte qu'ils sont aussi drôlement utiles dans ce genre de cas pour distribuer des contenus légaux sans avoir un point d'échec systématique à cause des capacités des serveurs. En l'occurrence, je pressens que la vidéo va certainement fasciner les joyeux mutants de BoingBoing et les foules nerdesques de Slashdot quand ces deux sites s'en seront emparés, ce qui ne manquera pas d'arriver, donc il serait bon d'avoir un bittorrent d'ici là. (J'en aurais bien lancé un, mais malheureusement j'ai bêtement effacé les fichiers .zip une fois téléchargés.)

[#3] Le film dont je parle ne mentionne que cinq d'entre eux (sans doute par manque de temps ou de patience et parce que celui qu'ils ont omis — le 16-cellule qui généralise l'octaèdre — n'est ni le plus simple à comprendre ni le plus impressionnant ni le plus beau).

[#4] Il est fortement lié au système de racines exceptionnel de type F4, un de ces bijoux de symétrie qui existent dans le paradis mathématique, qu'on sait prédire et démontrer mais dont je ne pense pas qu'on puisse vraiment les expliquer. On peut cependant faire remarquer que le centre d'un hypercube (en dimension 4) est à la même distance des sommets que les sommets sont entre eux, ce qui laisse soupçonner que si on prend seize hypercubes se touchant en un sommet, les seize centres des hypercubes et les huit sommets adjacents dans les huit directions vont, tous ensemble, former quelque chose de joli : de fait…

[#5] Ce qui est certain est que la moins bonne façon de visualiser les solides réguliers est par sections successives, comme c'est d'ailleurs bien expliqué dans le film : c'est joli, mais ça n'aide vraiment pas à se faire une idée de l'objet. D'ailleurs, c'est un test terrible pour se rendre compte si on voit en quatre dimensions : Y a-t-il une section (hyperplane) de l'hypercube qui soit une pyramide à base quadrilatérale ?

[#6] La différence essentielle avec la projection stéréographique, c'est que les rayons de lumière qu'on utilise pour la projection, ils suivent eux-mêmes des géodésiques (i.e., des grands cercles sur S3) : du coup, on a beaucoup moins de degrés de liberté pour montrer l'objet, on peut seulement se balader dedans et tourner, c'est la même chose que de faire tourner l'objet en 4D, alors que si on prend la projection stéréographique comme ils font dans le film ça donne deux effets différents, du coup c'est un peu plus dur à visualiser. Par contre, la vision en espace courbe dont je parle a la propriété que le solide paraît infini dans toutes les directions (en fait c'est simplement qu'il y a des rayons qui reviennent après avoir fait le tour de la sphère) : il convient donc d'ajouter des marqueurs pour différencier une (ou un certain nombre de) face.

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