David Madore's WebLog: Les clichés des histoires de dragons

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(mercredi)

Les clichés des histoires de dragons

J'ai eu l'idée bizarre[#] d'aller voir Eragon, ce soir. Ce n'est pas spécialement mauvais (notamment si on le considère comme un nanar de Noël pour enfants — et je savais à quoi m'attendre), mais je suis vraiment impressionné par la quantité de clichés du genre qu'ils ont réussi à accumuler en même pas deux heures de film. On a l'impression qu'un scénariste a ouvert un gros manuel intitulé Comment faire une histoire de heroic fantasy comme tout le monde s'y attend et a suivi absolument toutes les recommandations. Par exemple, on a (attention, spoilers en masse, mais bon, justement, tout est déjà spoilé d'avance) :

  • Le jeune homme qui aspire a une vie normale et qui est Choisi par un artefact / une créature pour devenir le héros.
  • Le Grand Méchant qui ne peut être détruit que par un seul truc, qui a comme par hasard ce truc chez lui, et qui le laisse s'échapper. (Hum, il a détruit tous les dragons sauf un seul œuf, c'est amusant, ça.)
  • Le vieux sage (qui sait absolument tout quoi faire au bon moment, et sur lequel on en apprend plus plus loin) qui habite providentiellement dans le même village que le héros.
  • L'oncle du héros qui se fait tuer au début du film par les émissaires envoyés par le Grand Méchant pour tuer le héros, ce qui donne au héros la nécessité de partir à l'aventure (et ce qui justifie vaguement sa motivation par un besoin de vengeance).
  • Les émissaires du Grand Méchant qui sont suffisamment idiots pour tuer l'oncle et repartir avouer auprès du Grand Méchant leur échec à trouver le héros, au lieu de bêtement attendre (sans tuer son oncle) que le dit héros rentre chez lui pour le cueillir.
  • Le Grand Méchant (enfin, son bras droit, en fait) qui tue systématiquement tous ses subordonnés qui échouent dans leur tâche. (Ça c'est vraiment le Cliché Ultime. Ça n'a vraiment aucun sens à part souligner lourdement que c'est vraiment un Grand Méchant.)
  • La voyante qui prévoit plein de choses au héros et qui, forcément, a raison tout du long (mais s'exprime de façon confuse, sinon c'est pas du jeu).
  • Le vieux sage qui prononce quelques adages bien sentis qui servent de paroles de sagesse tout au long du film.
  • Tous les schémas d'apprentissage qui suivent le motif : j'essaie une première fois, j'échoue, on me pousse à réessayer, je me laisse convaincre, j'y mets de la bonne volonté, et je réussis brillamment.
  • Le héros qui découvre ses pouvoirs magiques juste comme il faut et quand il faut, et pour qui les mots magiques qu'on a appris en passant sont exactement ceux qui lui permettent de se tirer d'affaire.
  • La magie qui se dit, bien sûr, dans une langue vachement ancienne et dans laquelle tous les objets ont leur Vrai Nom.
  • Le vieux sage qui a poussé le héros à se mettre en route qui, évidemment, cache des choses sur son passé et a des regrets (pas vraiment des remords) sur la conscience, desquels il cherche à se décharger par l'intermédiaire du héros.
  • La princesse forcément magnifique qui a juste l'âge qu'il faut pour que le héros s'intéresse à elle et réciproquement. Et qui est forcément héroïque et très forte elle aussi.
  • Le héros qui va prendre une décision sur un coup de tête qui va s'avérer être la bonne même si elle conduit à la mort prématurée du vieux sage.
  • La mort du vieux sage avec des paroles lénifiantes à destination du héros.
  • Le copain vaguement surgi de nulle part et sur lequel il plane l'ombre d'un doute, mais qui est quand même bien utile.
  • L'armée bien cachée qui n'attendait qu'une seule chose pour livrer bataille, c'est que le héros en prenne le commandement.
  • Le Grand Méchant qui cherchait à localiser l'armée en question depuis des années et qui n'y arrive que quand le héros la rejoint (OK, il le fait suivre : mais ça a quand même l'air un peu facile).
  • Le bras droit du Grand Méchant dont les pouvoirs varient précisément en fonction des besoins de l'intrigue (un moment il peut tuer d'un seul doigt et se téléporter n'importe où, à un autre moment il a vachement plus de mal, etc.). Pareil pour tous les gentils, d'ailleurs, mais c'est un tout petit peu moins frappant.
  • La bestiole aidant le gentil (en l'occurrence, un dragon) qui gagne son dernier point de pouvoir (en l'occurrence, cracher du feu) pile à temps pour la bataille finale.
  • La bataille finale, qui vient couronner la construction archi-classique : découverte du nœud de l'intrigue, apprentissage+fuite, morceau de bravoure, découverte de l'armée, bataille finale.
  • Le duel entre le héros et le Grand Méchant (enfin, son bras droit : le vrai Grand Méchant, faut le garder pour les films qui suivent) au moment de la bataille finale.

Pfiou ! Et ce n'est même pas tout, mais je ne vais pas chercher à être exhaustif. (Ça va jusqu'à l'éthniquement correct du chef de l'armée gentille, qui est noir — remarquez qu'il n'a aucune importance dans le scénario, il fait juste partie du décor.)

Notez bien que je ne me plains pas, hein ! C'est la règle du jeu, d'accumuler les clichés, et ce serait aussi absurde de s'en plaindre que de protester que les films indiens des studios de Bombay ont une vision un peu romantique cul-cul de l'amour : on va les voir pour ça. Mais je trouve quand même la dose un peu forte et, surtout, ce n'est pas le problème du nombre de clichés, c'est du fait de ne pas savoir en jouer aussi un peu parfois. (Willow, par exemple, est un film du genre qui, sans s'en affranchir, sait très bien jouer avec les clichés de temps en temps.) Sans aller jusqu'à dérouter le spectateur, il est agréable d'en prendre un à l'envers, ou de faire le contraire de ce que tout le monde attend, ou de rajouter une couche inattendue de méta (c'est-à-dire évoquer le cliché lui-même dans le film, d'une façon ou d'une autre), ou toutes sortes d'autres possibilités qui romptent la monotonie. Ici, rien de tout ça. Mais je rêve d'une histoire de heroic fantasy qui réussirait à la fois à se conformer aux règles des clichés et à les dépasser de façon intelligente.

[#] Partiellement expliquable par une place restante sur une carte UGC à utiliser avant la mi-janvier.

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