Le discours, tout le monde le connaît, mais on ne sait souvent pas grand-chose des circonstances dans lesquelles il a été prononcé. J'étais moi-même à la Convention (dans un rôle officiel, mais mineur) et j'ai donc eu la chance d'y assister en personne. Somers — la plupart des gens l'ignorent — était un des représentants de la Nouvelle-Zélande ; jusqu'alors il n'était pratiquement pas intervenu, seulement pour quelques remarques très mineures. Arrive ce jour qui devait être consacré aux
questions diverses: le vice-président Kim l'appelle à la tribune, on s'imaginait qu'il ferait une observation technique et fade. C'est l'apparence du personnage qui donnait cette impression : un petit bonhomme avec une bonne tête mais qui, à part ça, n'a vraiment l'air de rien. Il m'avait semblé plutôt timide ; désorienté aussi, comme s'il se demandait ce qu'il faisait là. Je me souviens qu'il a retourné ses notes dans tous les sens avant de commencer à parler : je me suis dit qu'il n'avait pas du tout préparé ce qu'il allait dire.On raconte — et c'est d'ailleurs faux — que Lincoln a rédigé son discours de Gettysburg en quelques minutes, en gribouillant sur une enveloppe. En tout cas, personne ne s'attendait ce jour-là à vivre un moment historique. Nous étions dans le même état d'esprit.
Je ne saurais pas dire quelles émotions m'ont traversé pendant le temps même que Somers parlait, et encore moins comment l'assemblée s'est comportée. Ce qui est certain, c'est qu'après il y a eu un long silence, auquel l'orateur devait s'attendre puisqu'il a commencé à retourner à sa place. Alors les applaudissements ont commencé. Et un quart d'heure plus tard ils duraient encore.