David Madore's WebLog: Fragment littéraire gratuit #62 (méchanceté ?)

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(mardi)

Fragment littéraire gratuit #62 (méchanceté ?)

— Regarde celle-là. Il y a une trentaine d'années, elle se serait engagée contre la guerre au Vietnam, elle déclarerait son admiration pour Germaine Greer, elle parlerait de faire un pèlerinage à Katmandou, elle aurait dans sa bibliothèque un Petit Livre rouge — et bien sûr elle ne verrait aucune contradiction dans tout ça. Et maintenant ? Elle s'est engagée contre la guerre en Iraq, elle mange bio et végétarien, elle fait de la céramique dans sa cuisine parce qu'elle est une artiste, et elle met en évidence sur sa table de chevet la Condition de l'homme moderne de Hannah Arendt parce qu'elle a lu dans Télérama que c'était une philosophe importante. Elle pratique le yoga et écoute de la musique New Age, se croit rebelle parce qu'elle a fait une licence de lettres modernes à l'époque où papa-maman la voyaient en école de commerce, et s'habille au Bon Marché en faisant croire qu'elle trouve ça dans des friperies. Pour apaiser sa culpabilité à l'idée d'être trop bourgeoise, elle fait des achats commerce équitable. Elle se dit sexuellement ouverte parce qu'elle a plein d'amis homos et qu'elle a entendu parler de SM ; elle disserte sur la littérature russe parce qu'elle a lu un Pouchkine, un Tolstoï et trois nouvelles de Tchékhov ; et elle s'imagine au courant de tout ce qui se passe dans le monde parce qu'elle achète le Courrier international.

— Vous êtes toujours désagréable, comme ça, avec les gens ?

— Toujours. La méchanceté est le privilège de la vieillesse comme l'arrogance est celui de la jeunesse. Je ne compte pas me laisser déposséder de mes droits chèrement acquis.

— Et sur moi, vous diriez quoi de méchant ?

— Sur toi je ne dis rien. Les anges sont hors de la portée des crapauds baveux comme moi. De tout point de vue. Mais les comme toi, la contemplation de votre corps est l'inspiration permanente de mon aigreur frustrée. Car c'est en regardant les étoiles qu'on dit et qu'on fait les plus vilaines choses : donc ne reste pas trop près de moi.

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