David Madore's WebLog: Du plaisir de faire marcher les ordinateurs

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(jeudi)

Du plaisir de faire marcher les ordinateurs

Je me plains régulièrement que les ordinateurs sont une perte de temps et ne marchent jamais correctement, mais je ne peux pas nier qu'ils me passionnent : pas tant pour ce qu'on peut faire avec (je suis blasé[#]), mais, justement, pour le plaisir de le faire, de les forcer à marcher malgré leur réticence obstinée. Il y a des gens qui ont été jusqu'à suggérer que j'aurais dû faire de l'info plutôt que des maths : c'est faux, d'une part l'info théorique ne m'intéresse pas énormément (ça ressemble trop à une branche des maths qui me plairait peu) et par ailleurs je craquerais bien vite si les ordinateurs étaient mon métier ; mais surtout, le monde des mathématiques est infiniment plus beau et plus séduisant à mes yeux que celui de l'informatique ou des ordinateurs, plus pur et plus élégant, donc plus satisfaisant. Néanmoins, c'est une beauté qu'on ne peut pas vraiment « toucher », si j'ose dire : on ne l'admire que de loin, à travers une sorte de vitre ; et le plaisir intellectuel d'avoir réussi à mener à bien une démonstration, ou à trouver la définition idoine, ou simplement à se faire une idée mentale d'un concept délicat, reste d'ordre très contemplatif.

Les ordinateurs, eux, ont l'avantage qu'on peut mettre les mains dessus (voire dedans), et c'est une satisfaction moins abstraite que de réussir à les dompter. On peut chercher à accomplir des choses très difficiles[#2], pour le karma, la hacking value (comme on dit), mais je prends finalement plus de plaisir à faire des choses pas spécialement difficile, mais de ce que je conçois être la bonne façon. À comprendre comment les choses marchent[#3], et à s'en servir. Je crois que c'est un plaisir guère différent de celui de jouer d'un instrument de musique (beaucoup de mathématiciens en pratiquent au moins un) : une recherche d'harmonie, et j'utilise ce mot à dessein, qui soit participative (je veux dire qu'on s'y implique directement) et non purement contemplative, que ce soit par la voie impériale, celle de la composition (soit, la programmation), ou par la recherche de virtuosité (à titre d'exemple, dans la maîtrise des commandes d'Unix[#4]).

La semaine dernière, j'ai aidé à mettre en place un serveur domestique : et ce n'était pas que pour rendre service que je le faisais, mais pour le jeu de fignoler[#5] tous ces réglages jusqu'à obtenir une configuration dont on est satisfait. Je crois que ce que je préfère, c'est la configuration du réseau[#6]. Ce qui me fait penser que, tout récemment, on a remis le Turing award (sans doute la plus haute récompense du monde de l'informatique, souvent comparé au prix Nobel) à Vint Cerf et Bob Kahn, dont les noms ne vous disent peut-être rien, et pourtant, ce sont eux qui ont inventé[#7] Internet (je trouve que c'est triste, s'agissant d'une construction qui a à ce point bouleversé la civilisation humaine, que ces gens soient restés, pour l'immense majorité du public, des illustres inconnus[#8]). Leur intervention est intéressante, elle vaut la peine d'être écoutée.

[#] Et surtout, les ordinateurs dont je dispose sont considérablement trop puissants, ont trop de mémoire, et ont une connexion réseau trop rapide, pour ce dont j'ai vraiment besoin, que ce soit pour mes usages personnels ou pour mes besoins professionnels. Je ne suis pas ni gamer (le dernier jeu auquel j'ai sérieusement joué sur un ordinateur remonte à plus de dix ans, c'était Ultima VII — qu'on peut maintenant faire revivre grâce à Exult), ni un physicien.

[#2] Pour ce qui est de l'écriture d'Unlambda et de programmes dans ce langage de fou, je nie tout.

[#3] Hélas ! Regarder comment un programme fonctionne donne souvent un sentiment plus proche de la nausée que de la joie. Un des problèmes de l'Open Source, en ce qui me concerne, c'est que dès que je regarde le code écrit par quelqu'un d'autre, j'ai tendance à en frémir d'horreur et à devenir désormais incapable d'utiliser ce programme.

[#4] Je pratique cet instrument — Unix, je veux dire — depuis neuf ans maintenant. Et ce qui est étonnant, c'est que, quel que soit le niveau qu'on ait atteint, on n'arrête jamais de progresser, on trouve toujours un nouvel utilitaire dont on ignorait l'existence, une option qu'on avait oubliée, etc.

[#5] Les plus amusants sont toujours les plus inutiles, évidemment : mettre des ACL un peu partout, s'assurer qu'IPv6 est accessible (par tunnel 6-to-4 avec une adresse en 2002::/16 souvent, hélas), créer des enregistrements LOC dans le DNS, fignoler un serveur NTP, ou, ce que je viens de faire chez moi aujourd'hui, mettre en place un scheduling réseau un peu avancé.

[#6] Même quand il s'agit de se rendre compte que la raison pour laquelle cette foutue Freebox se déconnecte sans arrêt c'est que le lien qui la relie à l'ordinateur n'est pas un câble blindé et qu'en 100Mbps full-duplex elle craque ; et qu'il faut alors fouiller dans le code, évidemment très mal commenté, du driver de la carte réseau pour trouver comment la forcer à passer en 10Mbps half-duplex. Je signale ça parce que pareille mésaventure pourrait arriver à d'autres gens, et ce n'est pas forcément évident de comprendre ce qui ne va pas !

[#7] Pas tout seuls, évidemment : un autre grand nom qu'il faudrait citer, au moins, c'est celui de Jon Postel. Je me rappelle qu'au moins un journal français a daigné écrire un petit entrefilet à son sujet quand il est mort.

[#8] Peut-être Tim Berners-Lee, celui qui a imaginé le World Wide Web (le grand public a tendance à confondre complètement le réseau et la toile tissée dessus), est-il légèrement plus connu. Vint Cerf et Bob Kahn ont leur photo à la page XLIV du petit Larousse illustré 2001, mais la légende a inversé les deux noms ; il faut croire que c'est une malédiction, parce que j'avais remarqué, par le passé, qu'une allée obscure en sous-sol du magasin parisien Surcouf était nommée d'après Vinton Cerf, seulement ils avaient inversé, ce coup-ci, son nom et son prénom. Je l'avais signalé, mais je ne suis pas retourné voir si c'était corrigé.

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