J'oublie quel penseur a exprimée cette idée (que je reformule bien maladroitement dans mes propres termes) que si les artistes mineurs nous sont parfois plus plaisants que les Grands c'est parce que ces derniers parlent directement à Dieu tandis que des œuvres de moindre importance sont à la portée de nos cœurs humains. Lisant la Divine Comédie, écoutant la messe en si de Bach, regardant le Saint Jean-Baptiste de Léonard, je me trouve comme Dante lui-même face à la conclusion ineffable de son poème : et la haute fantaisie ici perdit sa puissance. Alors, à l'instar de Faust qui ne pouvait embrasser le signe du Macrocosme, je me tourne vers une beauté plus terrestre, donc plus à la mesure de l'homme.
Le tableau que j'avais devant les yeux n'était, à en croire la plaque explicative du musée, d'aucun auteur identifié, mais il n'aurait pas dépareillé sous la signature d'un Alma-Tadema, d'un Burne-Jones ou d'un autre de ces peintres à deux noms que l'Angleterre victorienne semble avoir collectionnés et qui ne partageaient ni le génie visionnaire de Blake ni la puissance créatrice des prédécesseurs de Raphaël, mais qui servaient maintenant agréablement à illustrer des calendriers. Une tentative malhabile pour imiter le style de Poussin soulignait surtout le fait que l'artiste n'en avait pas le talent.
Pourtant, jamais le pinceau de Poussin n'avait libéré une force érotique telle que celle qui se dégageait de l'image de ce guerrier grec endormi. Je pensai surtout au tableau qui a valu l'essentiel de sa renommée posthume à Hippolyte Flandrin, mais avec la différence que ce qui, dans le fameux portrait du jeune homme nu assis au bord de la mer, est contenu, replié sur soi, était ici ouvert, dégagé, presque rayonnant. Le sommeil du personnage de la peinture n'avait rien de mystérieux ou de caché ; totalement détendu, il paraissait inviter le spectateur à se joindre à la félicité étalée là avec la plus grande simplicité.
Grand frère, mon dieu tutélaire,semblait-t-il murmurer à mon intention,veille sur moi pendant que je dors. Protège ma jeunesse de ton regard bienveillant.
Afin d'éviter à mon lecteur (inculte ) d'avoir à invoquer l'omniscience des dieux du Web, voici une reproduction du tableau d'Hippolyte Flandrin que j'évoque. Je précise aussi que, malgré mes sarcasmes, je n'ai rien contre les préraphaélites : au contraire, ils conviennent tout à fait aux incultes comme moi qui ne savent pas toujours apprécier les impressionnistes à leur juste valeur ; je renvoie à ArtMagick pour toutes sortes de reproductions (notamment d'Alma-Tadema, de Burne-Jones et de toutes sortes d'autres ; j'ai pour ma part un faible pour l'illuminé John Martin).
Quant à l'idée exprimée par le premier paragraphe, elle n'est
certainement pas de moi, et je l'ai retrouvée à diverses reprises et
sous diverses formes : je me rappelle notamment avoir été frappé par
un commentaire
de George Orwell sur l'œuvre poétique de Rudyard Kipling qui
en expliquait le succès et la force justement par le fait qu'il écrit
de la good bad poetry
.
Enfin, je laisse les docteurs en psychologie du David Madore deviner si le choix du thème de la peinture a été influencé par la dernière nouvelle lune.