Alors que j'approche de mon 10000e jour (c'est le 20 décembre), je suis enclin à une sorte de nostalgie bizarre. En fait je suis assez porté à la nostalgie, c'est sans doute mon côté « archiviste classificateur maniaque » qui s'exprime indirectement. (Peut-être que j'aurais dû faire des études d'histoire, mais bon, je suis nul en histoire, donc ce n'est pas vraiment ça non plus. À ceux qui ont lu la série Dragonlance je peux dire que je me reconnais assez dans le personnage d'Astinus.)
Ce que j'ai envie d'appeler les « trente glorieuses », à la différence de l'usage, ce sont les trente dernières années du XXe siècle, en gros de '70 ('71 si on est maniaque, mais de toute façon je veux du flou sur le début) à 2000. Il paraît que c'était (pour l'essentiel) des années de crise — mais moi je n'ai pas remarqué cette crise, en fait. Je pourrais avancer des arguments bidon selon lesquels c'étaient effectivement des années « glorieuses » : ça commence avec le premier pas de l'homme sur la Lune (1969-07-21), ou encore avec l'apparition d'Internet (symboliquement 1969-04-07, mais en fait il a fallu une bonne douzaine d'années pour vraiment mettre en place les protocoles), déjà. Les années du World Trade Center (OK, j'avance vraiment la date du début, là) ? Et peut-être aussi les années d'une certaine forme de liberté d'expression et d'une certaine insouciance que je me demande si on n'est pas en train de perdre maintenant (les années du déclin de l'empire américain ? ce film a quelque chose de caractéristique, justement, de cette période, surtout quand on le compare au suivant). Mais tout cela est bidon : en fait ce qui m'importe vraiment c'est tout simplement que ce sont des années que j'ai vécues (en gros). (Autant parler du premier milliard de secondes de l'ère Unix, à ce moment-là, qui d'ailleurs se termine à deux jours des attentats du World Trade Center.)
Et justement, ce qui me frustre, ce qui me rend bizarrement nostalgique, ce n'est pas que je regrette vraiment cette période, c'est que j'ai l'impression de ne pas l'avoir correctement observée. D'avoir raté plein de choses par manque d'attention. D'avoir été témoin de quantité de choses et de ne pas les avoir identifiées, de ne pas avoir compris leur importance, de ne pas être capable de me les remémorer précisément — bref, de les avoir perdues (et pour Astinus c'est un échec douloureux). Pour des événements marquants (je veux dire, qui auraient dû l'être), par exemple : je n'ai aucun souvenir de l'élection de Mitterrand en '81 (je n'avais pas cinq ans, mais quand même ça aurait pu me marquer) ; ni de la guerre des Malouines ; et seulement un souvenir très vague de l'accident de Tchernobyl ; et ainsi de suite — et même pour des dates plus récentes (comme la chute du mur de Berlin) mon souvenir est beaucoup trop diffus par rapport à l'importance de la chose.
Mais il ne s'agit pas que d'événements : ceux-ci ne sont finalement
pas ce qu'il y a de plus significatif. Qu'est-ce qui fait que quand
on voit un film des années '70, ou même '80, on repère immédiatement
qu'il n'est pas contemporain ? La manière dont les gens s'habillent,
les modèles des voitures, toute une foule de petits détails qui ne
sont enregistrés dans aucun livre (à la différence des événements)
mais qui sont la toile de fond du Zeitgeist. Et
là aussi je regrette de ne pas avoir assez observé : d'avoir le
sentiment diffus que les choses eurent été différentes mais d'être
incapable de mettre le doigt dessus. Quand ai-je vu le premier
téléphone mobile ? Quand ai-je pour la première fois entendu le mot
Internet
? Et SIDA
? Et ainsi de
suite. Je n'en sais rien : je suis incapable de me rappeler mon
ignorance de ces choses-là.
Bon, je vais arrêter de raconter des âneries sans intérêt et aller me coucher, moi. L'avenir n'est plus ce qu'il était.