J'étais membre d'une assemblée parlementaire quelconque. Très nombreuse (nous devions être largement plus de mille). Très jeune aussi (et comprenant plein de gens que je connais plus ou moins pour des raisons différentes). L'ambiance était un peu folle : le genre d'ambiance qui caractérise les moments historiques que vivent les pionniers où we will tread bravely where no man has trodden before; peut-être un peu à la façon de 1789. Les ressources étaient faibles, aussi : notre hémicycle ressemblait plus à un amphi de fac qu'à un temple républicain, et nous avions devant nous des tables comme on en trouve dans les salles de classes. Il n'y a pas de partis ni de places réservées — tout le monde s'asseoit où il peut.
Un rapporteur présente une proposition de loi visant à soumettre à l'impôt sur le revenu un certain type de compte rémunéré qui y échappait jusqu'à présent. Cette proposition me convient et je résous de voter pour. Le président de séance décide une brève interruption des débats avant les explications de vote. J'en profite pour aller parler avec le rapporteur et demander à voir le texte complet. Et là je découvre que la proposition contient également un appel à une manifestation pour protester de façon plus générale contre le fait que certains comptes bancaires ne sont pas imposés. Je suis consterné. J'essaie d'expliquer à mon collègue qu'on ne doit pas mettre dans un texte de loi un appel à manifester, ce n'est tout simplement pas l'endroit pour ça. Il se met en colère, me considère comme un pinailleur formaliste, m'accuse de ne pas voir l'importance de sa manifestation. J'essaie de lui dire que ce n'est pas contre cette manifestation que j'en ai, et qu'au contraire je suis tout à fait d'accord avec lui sur le fond, mais que c'est la forme qui me déplaît. Il me dit qu'il est essentiel que son appel de la plus haute importance soit entendu. Je lui propose de faire voter dans ce cas la création d'une tribune de libre expression des députés au Journal Officiel et de publier là son appel mais de le retirer de la proposition de loi. Il me regarde comme si j'étais un demeuré et ne répond pas. Désemparé, je lui annonce que dans ce cas, à mon immense regret je devrai voter contre sa proposition.
Le rêve se termine là, au moment où la séance reprend : je vais voir le président pour demander à prendre la parole au moment des explications, je me rassois (à une autre place, parce que ma place est occupée, et je fais connaissance avec mes nouveaux voisins, je leur explique brièvement le problème), et je me réveille — à moins que mon rêve ne parte dans une autre direction.
Je n'ai pas besoin de souligner l'aspect surréaliste, le mélange complètement bizarre entre le plausible et l'incongru : tous les rêves sont comme ça. Ce qui me paraît le plus significatif, c'est cette conversation et cette incompréhension entre moi et le rapporteur du texte de loi : j'ai effectivement vécu assez souvent des situations pénibles de la sorte, où j'essaie de faire comprendre à quelqu'un que je suis d'accord avec lui sur le fond mais que les moyens ou les formes qu'il se propose d'employer me semblent inadmissibles ou tout simplement inappropriées, et où mon interlocuteur refuse de comprendre à quel niveau se situe mon objection, refuse de discuter sur les formes, soutient obstinément que sa cause est tellement importante que tous les moyens sont bons pour arriver à son but, et considère que si je ne suis pas avec lui je suis forcément contre lui. Et moi je me demande si je ne suis pas un pinailleur qui pour le simple respect des formes et des principes vais m'opposer à quelque chose d'autrement plus important.