J'ai obtenu aujourd'hui le résultat d'un bilan de routine.
Les analyses de sang ont quelque chose de ludique. (Enfin, quand
on est en bonne santé !) D'abord, il faut montrer qu'on est un grand
garçon et ne pas grincer des dents quand on se fait piquer ni tourner
de l'œil quand on se voit prélever quelques centimètres cubes du
précieux liquide. Ensuite, on obtient un joli tableau de chiffres
avec parfois des intitulés barbares
(comme ALAT
ou TSH
3e génération
, ou
encore polynucl. éosinophiles
),
et dans chaque ligne à la fois la valeur à laquelle on a été mesuré et
un intervalle de référence. L'aspect ludique consiste à tomber dans
cet intervalle de référence, et à s'inquiéter quand on n'y est pas
(ma vitesse de sédimentation globulaire pour la 2e heure est un
chouïa trop élevée, ça veut dire quoiiiii ?
, j'ai beaucoup plus
de monocytes qu'à la précédente analyse, c'est significatif ?
— les médecins doivent détester les geeks). Ou encore à
culpabiliser parce que, bien qu'on y soit, c'est de justesse, et qu'on
a quand même beaucoup de cholestérol et de triglycérides (ah oui,
mais j'ai aussi beaucoup de “bon” cholestérol
—
ça mérite quand même un demi-point, non ?) ; l'exploration lipidique,
c'est au bilan sanguin ce que le cours de sport est au bon élève : le
truc où on se rappelle que le corpus sanum, il
faut des efforts de discipline de le garder. Mais globalement, les
analyses de sang sont la panacée de l'hypocondriaque : rien de plus
revigorant de voir que, globalement, tout est normal.
Outre les chiffres eux-mêmes, il y a une certaine magie dans la
découverte des rubriques remplies. Le médecin auquel vous avez
demandé un bilan de routine
vous a tendu une ordonnance remplie
de ces pattes de mouches qui doivent sans doute faire l'objet d'une
année d'études à part entière dans le cycle de la faculté de
médecine : le secrétaire du laboratoire a décodé ces gribouillis sur
son ordinateur et a imprimé des codes-barres que l'infirmier a collés
sur les échantillons — pas moyen à ce stade-là de savoir ce
qu'on mesure au juste. Ce n'est qu'en comparant le tableau à celui
d'il y a deux ans qu'on se rend compte qu'il y a des
différences : tiens, cette fois-ci on ne m'a pas dosé l'ion chlore
ou calcium, ni
la bilirubine,
par contre on m'a fait
la créatinine et
la CRP
.
C'est un peu frustrant quand j'essaie de tout rentrer dans un tableau
pour faire des statistiques avec (ou toute autre activité
d'arithmophile effréné) : il n'y a pas tant que ça de chiffres en
commun entre deux bilans de routine.
Heureusement, une fois prescrite la prise de sang, rien n'interdit
au patient de demander au laboratoire d'ajouter des analyses (et elles
ne seront pas remboursées par la sécu : comme ça on n'a pas la
mauvaise conscience qu'on aurait si on avait essayé d'amadouer le
médecin pour les obtenir sur l'ordonnance, à faire payer la société
juste pour fournir des chiffres rigolos aux yeux d'un geek). J'avais
ainsi fait mesurer mes taux d'urée et d'acide urique et de magnésium
plasmatique (parce qu'il y a aussi le magnésium globulaire, qui ne se
mesure pas en laboratoire de ville, donc on m'avait demandé si c'était
bien le plasmatique que je voulais — j'avais pris un air
parfaitement au courant : oui, oui, plasmatique bien
sûr
).
Par contre, bizarrement, mesurer le pH ne se fait pas : ça m'avait
un peu surpris de l'apprendre, ces gens peuvent vous mesurer le taux
d'une enzyme hyper précise, mais pas la grandeur chimique la plus
basique de toutes. Elle fait partie des gaz du sang
(comme la
quantité de dioxygène dissous), et ça ne se mesure qu'à l'hôpital :
sans doute à la fois parce qu'il faut une métrologie vraiment précise
(le pH sanguin normal reste dans un intervalle de cinq, maximum dix,
centièmes de point, ce n'est pas avec un réactif coloré qu'on va voir
ça) et surtout parce qu'on travaille sur du sang artériel, donc ce
n'est pas juste affaire d'une petite piqûre dans la veine.
Parfois les chiffres de l'intervalle de référence changent entre
deux bilans, aussi : je ne sais pas exactement comment ils sont fixés
ou qui mes mesure, mais c'est un peu perturbant (tiens, la valeur a
baissé, mais maintenant je suis au-dessus de l'intervalle de référence
alors qu'avant non
). Parfois aussi on a des indications bizarres
comme : résultats du calcium abaissés de 6% pour standardisation de
la technique et harmonisation entre laboratoires
(hum, je ne veux
pas dire, mais la quantité de calcium dans le plasma, c'est une
quantité physiquement bien définie, ce n'est pas comme la mesure
arbitraire de l'activité d'une enzyme — pourquoi diable les
labos ne donnaient-ils pas tous des chiffres cohérents ?). Enfin, la
médecine n'est sans doute pas une science exacte…