David Madore's WebLog: Fragment littéraire gratuit #69 (clichés dans le métro)

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(lundi)

Fragment littéraire gratuit #69 (clichés dans le métro)

Partiellement réécrit (2005-12-28T02:30+0100)

Un mec assis de façon à monopoliser ostensiblement deux strapontins écoute la musique qui sort de son baladeur MP3 en tentant de prendre un air féroce ; tout son look, la capuche doublée de (fausse) fourure comme les chaînes qui pendent à son cou, se résume en un seul mot : wigger (comment dit-on ça en français ? je ne sais pas si le jargon urbain a forgé un terme). En face de lui, un archétype stupéfiant de la ménagère de moins de cinquante ans, capricieuse égérie de la société de consommation, lit un magazine dont la couverture est justement reprise par une publicité aux couleurs criardes qui pend du plafond : on y apprend que tout est fini entre deux stars du showbiz dont le même magazine nous révélait, deux mois plus tôt, qu'ils pensaient se marier. Trois touristes japonaises étudient le plan du réseau affiché à côté de la porte ; l'une d'elles tient dans son dos un guide dont la couverture porte l'inscription パリ en katakanas rouge vif au-dessus d'un dessin stylisé de la tour Eiffel (si c'est ça qu'elles veulent voir, elles sont parties dans la mauvaise direction). Derrière elles, un SDF endormi s'est allongé transversalement sur deux sièges : son odeur est telle que personne n'a voulu s'asseoir sur les deux places en vis-à-vis ni sur les strapontins dans son dos. À côté, l'autre groupe de quatre sièges est occupé par une famille française typique, le papa, la maman, le grand frère tout occupé par sa console de jeux, et la petite sœur qui s'exerce à lire le nom des stations et à les repérer sur le plan de la ligne : Corvisart (elle prononce le ‘t’ final), déclare-t-elle, plus que cinq gares et on descend. Sur un strapontin derrière la petite fille, une jeune femme téléphone à celui qui est peut-être son fiancé, et il y a de la dispute dans l'air. En face d'elle, un homme assez âgé semble perdu dans ses pensées : absent, il regarde dehors. À côté de lui, un couple plutôt jeune, également sur des strapontins, s'est assis de travers pour pouvoir se faire face, de part et d'autre de l'allée centrale, et ils se tiennent les deux mains. Sur la banquette derrière, un homme d'entre vingt et trente ans est perdu dans la consultation de l'Officiel des spectacles ; il a posé son sac sur la place voisine. À l'opposé du sac, une vieille femme terriblement ridée caresse le petit caniche qu'elle tient sur ses genoux. De l'autre côté, une femme petite et potelée, au visage souriant, tient un crayon au-dessus d'une page de mots croisés partiellement remplie, mais elle regarde, dehors, le quai qui s'éloigne. Une autre femme tient une grille de nombres sur laquelle elle semble, au contraire, terriblement concentrée : il s'agit de ces grilles qu'on doit remplir avec les chiffres de 1 à 9 selon diverses contraintes. Vers le milieu du wagon, un musicien aux traits vaguement amérindiens cherche à récolter de l'argent en chantant dans son ampli cabossé un vieux tube de Simon & Garfunkel. Il n'attire certainement pas l'attention des trois ados (un black, un blanc, un beur), genre skaters, qui rigolent très fort juste devant lui en évoquant je ne sais quelle connerie d'un de leurs profs. Sur le groupe de sièges adjacent, deux cinquantenaires en costard se font face, chacun un téléphone collé à l'oreille : un instant, l'espacement des répliques dans leur conversation est telle qu'ils semblent se parler l'un à l'autre, et le dialogue en est surréaliste. Un homme petit et maigre, aux cheveux grisonnants, lit un numéro de Science & Vie dont la couverture annonce des explications sur la structure de l'espace-temps. Un numéro de L'Équipe, tombé par terre dans l'allée centrale, titre sur une défaite à domicile du PSG. Côté quai, une jeune femme blonde à l'air sérieux est absorbée par la lecture de La Tempête de Shakespeare. Face à elle, un dandy arabe d'une trentaine d'années joue avec ses mains, manifestement tendu. Un homme à la peau noire et aux traits sévères — presque le sosie du Roi des Rois Hailé Sélassié Ier — contemple un livre d'art dont la couverture reproduit un des célèbres tableaux de Böcklin sur le thème de l'Île des morts. Au bout du wagon, un homme surveille ses valises et regarde sa montre d'un air inquiet. Un quadragénaire sur un strapontin tient un gros livre qui promet une prise en main facile du logiciel Firefox ; mais ses yeux sont tournés vers sa voisine, une jeune femme noire d'une beauté époustouflante dont les énormes boucles d'oreille balancent dès qu'elle bouge la tête.

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