Au cours de la préparation de mon exposé de soutenance j'ai essayé de me faire des notes très précises, au moins pour l'introduction. Très précises, cela veut dire : décidant à l'avance presque chaque mot que je vais utiliser (ou au moins l'idée de chaque phrase). Et je me rends compte de la chose suivante : la manière dont je forme une phrase à l'écrit est très différente de la manière dont je la tourne à l'oral. À la fois par le vocabulaire que j'utilise ou par les tournures grammaticales, il n'y a presque rien en commun entre mon français écrit et mon français parlé : si j'essaie de dire à haute voix (pas dans une intonation qui soit celle de la lecture ou de la récitation) une phrase que j'ai écrite, elle me semble ultra-construite, pour ne pas dire maniérée, et à l'inverse, si j'essaie de coucher par écrit ce que je dirais naturellement je trouve cela incroyablement familier.
Cela se voit à toutes sortes de choses. À l'oral, par exemple, je
vais poser une question par qu'est-ce qu'on peut dire des foobars
bleutés ?
alors qu'à l'écrit ce sera que peut-on dire des
foobars bleutés ?
; à l'oral le démonstratif est ça
alors
qu'à l'écrit c'est ceci
ou cela
; à l'écrit je structure
mes phrase en périodes alors qu'à l'oral je fais des phrases
généralement courtes que je relie par beaucoup de alors
(ne
marquant pas la concession), bon
, bref
et autres mots de
liaison un peu vides de sens. Dans un exposé mathématique j'utilise
beaucoup de pronoms de la première personne (je vais supposer que
k est algébriquement clos, et je vais même rajouter
indénombrable et de caractéristique zéro
) alors qu'à l'écrit on
les évite (le corps k sera supposé algébriquement clos
et, pour simplifier, indénombrable et de caractéristique nulle
).
C'est assez étonnant, je ne me rendais pas compte de l'ampleur de la
différence.
Peut-être suis-je particulièrement touché parce que mon expression
écrite est volontiers ampoulée voire précieuse tandis que mon
expression orale est globalement naturelle (du moins il me semble)
[tiens, du moins
c'est vraiment le type de locution que je
n'emploierais que très difficilement à l'oral : je dirais enfin je
crois
]. Ou peut-être pas. J'ai vaguement l'impression que la
différence entre ma façon de m'exprimer verbalement et oralement est
beaucoup plus réduite en anglais : est-ce parce que je maîtrise
beaucoup moins bien l'anglais (surtout la langue idiomatique et
courante) ou est-ce qu'intrinsèquement l'anglais a moins d'écrart
entre langue écrite et langue parlée ?
Quoi qu'il en soit, il m'est presque répugnant de mettre par écrit
des choses que je dirais naturellement. Un exemple idiot : la
première phrase de mon exposé commencera sans doute par quelque chose
comme alors, pour introduire mon travail, je vais commencer par
évoquer la question suivante…
: je n'arrive pas à dire
cette phrase sans le alors
initial (juste pour l'intonation),
mais si j'essaie de l'écrire, il me semble parfaitement ridicule.