Je viens de finir de lire le roman N'oubliez pas de vivre de Thibaut de Saint-Pol, édité chez Albin Michel : une évocation de l'enfer de la prépa à travers la vie, racontée chronologiquement, d'un (hypo)khâgneux scientifique (on ignore son nom : le récit est à la deuxième personne) dans un grand lycée de banlieue, depuis son entrée en hypokhâgne jusqu'au moment du concours. Le roman n'est pas trop mal écrit (même si je suis bien placé pour y reconnaître certaines maladresses de débutant) et il est intéressant à lire, surtout quand on est soi-même passé par ce système. L'auteur est normalien, ma petite enquête me laisse penser qu'il doit être de la promotion 2000 à Cachan (j'ai cherché dans les annuaires récents de chez nous, il n'y figure pas — à moins qu'il ait signé d'un nom de plume, mais je ne crois pas).
Je ne sais pas s'il a spécialement mal vécu sa prépa, d'ailleurs,
mais le portrait qu'il en dresse fait froid dans le dos. Peut-être ce
livre est-il pour son auteur une thérapie. (Il l'avoue à mi-mot :
Benoît se demande si un jour vous pourrez échapper au joug de la
prépa. Est-ce qu'on ne demeure pas un khâgneux toute sa vie ? Ces
quelques années vont vous marquer, c'est sûr. Mais est-ce à tout
jamais ? Pourrez-vous vous en sortir et mener un jour une vie
normale ? […] Coucher [la folie] sur le papier est un moyen de
la contrôler ou du moins de l'approcher, de comprendre, de toucher.
Peut-être qu'il vous faudra écrire pour dépasser. Passer à autre
chose. Surpasser. Oublier.
)
Mon propre souvenir est émoussé par le temps, et j'ai eu la chance de bénéficier d'un environnement tout à fait favorable, donc je ne me rends pas forcément compte, mais s'il y en a qui vivent ça comme il le décrit, c'est vraiment abominable !
Une chose qui m'a assurément marqué, c'est l'attente des résultats.
Je crois que c'est un moment qui reste forcément gravé dans la mémoire
de tous ceux qui passent ces fameux concours d'entrée, quel que soit
leur niveau et quelle que soit leur réussite à leur issue. Voir ou ne
pas voir son nom sur la fatidique liste dont on s'est persuadé, deux
ou trois ans durant, et peut-être à raison, qu'elle conditionnait tout
votre avenir, c'est un événement qu'on se rappelle longtemps.
Moi-même j'avais eu la chance que, pendant mes oraux pour
l'ENS de Lyon, un examinateur de maths me dise quelque
chose du genre : Bon, on n'a pas le temps de finir, mais si vous
acceptez de venir chez nous l'an prochain, je vous raconterai la
fin.
Ce qui m'avait pas mal rassuré lors de cette attente
effroyable (et lorsque le résultat de l'ENS Lyon était
tombé — à l'époque les listes des trois ENS
paraissaient sur trois jours consécutifs — j'avais su que je
n'aurais en tout cas pas à redoubler ma spé, donc les attentes
suivantes étaient beaucoup plus sereines). Malgré cela, cette
répétition incessante du code 3615 EDUTELPLUS (ce n'était pas sur le
Web, à l'époque, et d'ailleurs nous n'avions pas encore d'accès
Internet à la maison) pour savoir si j'étais pris et à quel rang, je
ne suis pas près de l'oublier.
Bref, s'il y a des taupins, khâgneux ou autres élèves de prépa qui lisent mon blog, je leur adresse un petit salut amical en leur souhaitant de tenir le coup et de ne pas se laisser submerger. Comme le conseille si sagement le titre du roman dont je parle, n'oubliez pas de vivre !