Imaginez que vous receviez la carte postale
suivante : un côté de la carte est complètement blanc (pas de photo ou
quoi que ce soit). L'autre côté (qui indique POST
CARD — The address to be written on this side
) comporte sur
la moitié gauche la seule phrase le lichen se développe
(sic ;
apparemment imprimée sur la carte, à l'encre grise, dans une police
genre Futura, au milieu de la carte en hauteur), et sur l'autre
l'adresse du destinataire (David Madore / 11 rue Simonet / F75013
Paris / FRANCE
) et celle de l'expéditeur (Jo Lewington / 119
Mayfair / Reading, Berkshire / RG30 4RB / ENGLAND
) dont vous
n'avez absolument jamais entendu parler ; le cachet de la Royal Mail
indique que la carte a été postée à Reading le 12 mai 2004. Vous
n'avez, bien entendu, jamais mis les pieds à Reading (au plus, vous
l'avez traversé en train en allant, vraisemblablement, de Londres à
Oxford, et le train a pu s'y arrêter quelques minutes ; et vous avez
entendu parler de, ou lu, la ballade de la geôle de Reading d'Oscar
Wilde, mais c'est à peu près tout ce que vous savez[#] sur cette ville), et vous ne
connaissez personne qui y habite. La phrase le lichen se
développe
ne vous évoque rien du tout, et n'évoque
à Google qu'une page
pas spécialement remarquable sur l'élargissement de l'Union
européenne. Quant à Jo Lewington
de Reading, elle évoque à
Google une page
du site de la BBC où il est dit : The last time Bletchley Park code breaker Jo Lewington
was due to see her friend Frances Harvey was at Frances' wedding. But
Jo, now an 81-year-old living in Reading, missed her train, arrived
too late and never saw her friend again.
Vous êtes, pour le coup,
absolument persuadé de ne pas connaître de vétéran cryptographe
anglaise de 81 ans, et vous vous demandez bien comment elle aurait pu
avoir votre adresse (bon, par le Web,
certes, j'imagine, mais pourquoi ?).
Maintenant, la question à 2000 zorkmids : vous en concluez quoi ? Je précise que ceci n'est pas une expérience de pensée complètement fumée. Le cas est vraiment arrivé à quelqu'un tout près de vous.
[#] Ah, aussi : que ça
se prononce [ˈɹɛdɪŋ] comme si ça s'écrivait
Redding
, et non pas comme le participe présent du verbe to
read
.
Dans le genre énigme invraisemblable, celle-ci est assez forte. Et, non, je n'ai pas la réponse, et je n'en ai aucune idée. Si le but était de m'intriguer, c'est assez réussi : ceci dit, c'est intrigant jusque dans le mystère lui-même (il y avait beaucoup plus économique pour m'intriguer). Pareil si le but était que j'en parle ici. Si le but était de me faire passer un message, c'est complètement raté.
Entre autres observations qu'on a pu faire : les mots
Reading
(et il s'agit bien de la ville dont je note la
prononciation trompeuse) et lichen
apparaissent justement dans
un fameux poème
sur les difficultés de prononciation de l'anglais que j'ai retapé
(et que j'avais commencé à transcrire systématiquement en phonétique,
sans avoir le courage d'aller jusqu'au bout), en plus, à une seule
strophe d'écart et au même endroit dans la strophe. Et la
Jo Lewington (qu'elle soit ou non vraiment la personne ayant expédié
la carte) est censée être cryptographe, donc peut-être évoquer un
message à comprendre dans la phrase. Ou encore, peut-être y a-t-il un
lien entre la page renvoyée par Google en recherchant la phrase
imprimée sur la carte et mon entrée
récente sur l'élargissement de l'Union européenne.