David Madore's WebLog: Jouons un peu avec les subordonnées relatives

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(mercredi)

Jouons un peu avec les subordonnées relatives

L'entrée précédente contenait le bout de phrase

…dans le cadre d'un cours dont j'enseigne à un groupe…

que j'affirme être correcte (j'enseigne à un groupe [d'élèves] de ce cours) mais qui a fait réagir le genre de grincheux dont j'imagine qu'ils doivent lire des blogs sans aucun intérêt pour le fond, par simple plaisir de pinailler sur la grammaire. Penchons-nous donc un instant sur les subordonnées relatives en français. [En vérité, l'avant-dernière phrase est surtout là pour fournir quelques exemples intéressants in situ de subordonnées compliquées : la phrase que j'affirme être correcte et les grincheux dont j'imagine qu'ils doivent lire des blogs blablabla.]

La subordonnée relative, dans les langues que je connais assez bien pour m'exprimer à leur sujet, a pour fonction de prendre deux phrases faisant intervenir le même concept, plus exactement un groupe nominal (ou un pronom), et d'imbriquer une dans l'autre (l'imbriquée devient donc la proposition subordonnée tandis que l'imbriquante devient la proposition principale) en explicitant le fait que c'est bien le même concept qui intervient dans les deux phrases. Exemple extrêmement simple :

{J'aime la maison} # {Je vois la maison} → {J'aime la maison {que je vois}}

(L'opération n'est pas commutative : dans l'autre sens on obtiendrait Je vois la maison {que j'aime}, ce qui a un sens subtilement différent, mais je vais y revenir.)

Le mot que indiqué en rouge est le pronom relatif ; il a un double rôle : (A) introduire la subordonnée (marquer son début, c'est-à-dire, débuter l'imbrication) et (B) préciser la fonction occupée par le groupe commun (l'antécédent de la relative) dans cette subordonnée. On va voir ci-dessous que ces rôles sont un peu en conflit et qu'il serait beaucoup plus clair d'avoir deux mots séparés pour les remplir. Le point à souligner dans (B) est que normalement en français la fonction d'un groupe nominal est indiquée par l'ordre des mots, mais comme on a réordonnée les mots pour mettre le pronom relatif en premier (à cause de son rôle (A)), cette fonction n'est plus apparente, et on la manifeste, à la place, par la forme du pronom. Pour reprendre un exemple très simple, comparer :

{Le garçon fait de la muscu} # {Le garçon drague Kévin} → {Le garçon {qui drague Kévin} fait de la muscu}

{Le garçon fait de la muscu} # {Kévin drague le garçon} → {Le garçon {que drague Kévin} fait de la muscu}

— la fonction (sujet ou objet) du groupe nominal commun dans la seconde phrase est indiquée par son emplacement quand la phrase est autonome, mais par la forme du pronom relatif (reste de déclinaison latine) quand elle est transformée en subordonnée.

Ajout () : J'aurais sans doute dû signaler que dans la seconde version, le garçon {que drague Kévin} fait de la muscu, on peut aussi utiliser l'ordre des mots le garçon {que Kévin drague} fait de la muscu, alors que dans la première il n'y a pas de choix : on peut donc préciser la fonction dans la subordonnée par le choix du pronom ou par l'ordre des mots. Il faudrait chercher un exemple où on ne peut pas jouer avec l'ordre des mots.

✱ Le français a plusieurs systèmes de pronoms relatifs (formant un tout assez incohérent) : à coté de qui, que et de quelques autres, on a tout un jeu de variations de lequel, laquelle, lesquel(le)s, l'emploi de ces deux systèmes étant subtilement et incompréhensiblement différent. Prenons par exemple :

{Ce système est assez incohérent} # {Je mesure la complexité de ce système}

→ (i) {Ce système {dont je mesure la complexité} est assez incohérent}

→ (ii) {Ce système {duquel je mesure la complexité} est assez incohérent}

mais

{Ce système est assez incohérent} # {Je suis confronté à la complexité de ce système}

→ (iii) {Ce système {dont je suis confronté à la complexité} est assez incohérent}

→ (iv) {Ce système {à la complexité duquel je suis confronté} est assez incohérent}

Dans la phrase (iv), le pronom relatif duquel prend une place différente (celle qui correspond à sa fonction dans la subordonnée) sans doute selon la logique que le rôle (B) d'indiquer clairement comment le groupe commun s'articule dans la subordonnée devient prépondérant sur le rôle (A) d'introduire la subordonnée, qui, ici, est en quelque sorte dévolu à la préposition à ; en revanche, dans (i)–(iii), le pronom relatif se place bien en premier pour tenir son rôle (A) (encore que je pourrais défendre la phrase ce système {la complexité duquel je mesure} est assez incohérent). Les grincheux qui ont critiqué la phrase de l'entrée précédente citée en tout premier dans cette entrée-ci pensent peut-être que (iii) est incorrecte vu qu'elle est construite selon exactement le même modèle (ce système {dont je suis confronté à la complexité} est assez incohérent et dans le cadre d'un cours {dont j'enseigne à un groupe}). Je sais pourtant que ce type de tournure est employé non seulement par moi mais par quantité d'autres locuteurs natifs du français et que je l'ai relevé chez les meilleurs auteurs — comme on le comprend à la lecture de la présente entrée, j'aime bien analyser mentalement la syntaxe des phrases que j'entends —, donc je suppose que ça fait partie des délires des linguistes prescriptivistes qui ont décidé que ça ne sa faisait pas selon leurs règles dont on voit bien, et c'est une des choses que je veux démontrer ici, qu'elles sont incodifiables. [Tiens, encore une phrase qui se finit par une subordonnée intéressante.]

✱ Tout ce système de pronoms relatifs et de syntaxes de subordination est, il faut bien le dire, invraisemblablement merdique, et une des difficultés qui va survenir est qu'il n'y a tout simplement pas assez de pronoms relatifs pour indiquer toutes les fonctions que pourrait occuper le groupe commun dans la phrase (qu'on transforme en) subordonnée. La bonne façon de faire, si on devait inventer une langue logique et claire, serait de procéder comme on fait en mathématiques, à savoir introduire une variable de liaison (genre x) répétée deux fois dans les deux fonctions et d'utiliser un marqueur unique (disons tel que) pour le rôle (A) : autrement dit, cela donnerait quelque chose comme

{Le garçon fait de la muscu} # {Le garçon drague Kévin} → {Le garçon x {tel que x drague Kévin} fait de la muscu}

{Le garçon fait de la muscu} # {Kévin drague le garçon} → {Le garçon x {tel que Kévin drague x} fait de la muscu}

C'est-à-dire que la notion de subordonnée relative est essentiellement (à des subtilités sémantiques sur lesquelles je vais revenir) le tel que des matheux avec une syntaxe alambiquée.

J'ignore s'il y a des langues naturelles qui ont un tel concept de « variable locale », c'est-à-dire de pronoms (pronoms locaux ?) dont un bout de phrase pourrait affecter la valeur dont un autre bout de phrase pourrait la reprendre. [Remarquer au passage un autre type de difficulté subtile dans la dernière relative de la phrase précédente.] L'avantage de ce système est qu'il permet des imbrications arbitrairement complexes :

{Ce système est assez incohérent} # {Je suis confronté à la complexité de ce système} → {Ce système x {tel que je suis confronté à la complexité de x} est assez incohérent}

{J'aime les subordonnées} # {J'écris une entrée dans mon blog pour me plaindre de la difficulté à combiner des phrases d'une complexité arbitrairement grande en subordonnées}

→ {J'aime les subordonnées {j'écris une entrée dans mon blog pour me plaindre de la difficulté à combiner des phrases d'une complexité arbitrairement grande en lesquelles}} (†)

→ {J'aime les subordonnées x {telles que j'écris une entrée dans mon blog pour me plaindre de la difficulté à combiner des phrases d'une complexité arbitrairement grande en x}}

— y compris reprendre des groupes qui sont eux-mêmes cachés dans une une subordonnée de la phrase qu'on cherche à subordonner :

{Le livre est sur la table} # {Je vois {que tu as fini le livre}}

→ {Le livre {que je vois {que tu as fini}} est sur la table} (passe encore)

→ {Le livre x {tel que je vois {que tu as fini x}} est sur la table}

Mais :

{Les gens sont maintenant vieux} # {{Quand les gens étaient petits} la seconde guerre mondiale s'est terminée}

→ {Les gens {{quand lesquels étaient petits} la seconde guerre mondiale s'est terminée} sont maintenant vieux} (†) (Oui, je sais bien que sur cet exemple comme sur quantité d'autres on peut trouver une façon de reformuler la phrase : vu que {quand les gens étaient petits} la seconde guerre mondiale s'est terminée équivaut essentiellement à les gens étaient petits {quand la seconde guerre mondiale s'est terminée}, la phrase impossible ci-dessus peut se redire en les gens {qui étaient petits {quand la seconde guerre mondiale s'est terminée}} sont maintenant vieux — phrase tout à fait naturelle en français, mais ce n'est plus la même syntaxe.)

→ {Les gens x {tels que {quand x étaient petits} la seconde guerre mondiale s'est terminée} sont maintenant vieux}

Cela marche(rait) même quand la subordonnée-dans-la-subordonnée est elle-même relative :

{Je suis amoureux de Kévin} # {Le garçon {qui drague Kévin} fait de la muscu} → {Je suis amoureux de Kévin {que le garçon {qui drague} fait de la muscu}} (†?) (Oui, de nouveau, on peut trouver une façon de retourner les choses : en remplaçant le garçon {qui drague Kévin} fait de la muscu par le garçon {qui fait de la muscu} drague Kévin, ce qui est presque pareil, on transforme la phrase impossible en je suis amoureux de Kévin {que le garçon {qui fait de la muscu} drague} — mais on a subtilement retourné syntaxe de la phrase.)

{Je suis amoureux de Kévin} # {Le garçon {qui drague Kévin} fait de la muscu} → {Je suis amoureux de Kévin k {tel que le garçon {qui drague k} fait de la muscu}}

— voire, en utilisant le même mécanisme à tous les niveaux :

{Je suis amoureux de Kévin} # {Le garçon x {tel que x drague Kévin} fait de la muscu} → {Je suis amoureux de Kévin k {tel que le garçon x {tel que x drague k} fait de la muscu}}

Les matheux ont l'habitude de voir et de comprendre des phrases avec des introductions de variables ainsi imbriquées (les réels t {tels que les réels x {tels que x>t} vérifient x≥0} vérifient t≥0, construite selon le même modèle que la phrase ci-dessus, et par ailleurs juste). Comme je le disais, je ne sais pas si une langue naturelle a un système de ce genre (avec vraiment plusieurs jeux de variables), mais je suis tout à fait persuadé qu'il y a des langues avec une notion de subordonnée relative et qui, au moins, séparent en deux mots les rôles (A) et (B) du pronom relatif français.

✱ Mais même en français, en fait, dans le cas fréquent où la phrase à subordonner fait intervenir un verbe du genre penser que ou affirmer que introduisant le groupe commun, on peut souvent utiliser une « astuce » qui consiste à (A) introduire la subordonnée par dont dans un sens de au sujet duquel [je peux faire l'affirmation suivante] et d'utiliser ensuite un pronom normal (il, le) pour la fonction (B) (à la place de la variable x de mes exemples précédents). Ceci permet de former des subordonnées compliquées qui ne seraient autrement pas vraiment possibles avec la syntaxe du français. Démonstration :

{Cette mesure ne sera pas adoptée} # {Je pense {que cette mesure est liberticide}}

• en essayant naïvement :

→ {Cette mesure {je pense {que laquelle est liberticide}} ne sera pas adoptée} (†)

• en remaniant la syntaxe grâce à la magie des propositions infinitives (changer je pense {que cette mesure est liberticide} en je pense {cette mesure être liberticide}) :

→ {Cette mesure {que je pense {être liberticide}} ne sera pas adoptée}

• en utilisant l'« astuce » que je viens d'expliquer :

→ {Cette mesure {dont(A) je pense {qu'elle(B) est liberticide}} ne sera pas adoptée}

• en utilisant le mécanisme général exposé plus haut :

→ {Cette mesure x {telle que(A) je pense {que x(B) est liberticide}} ne sera pas adoptée}

Ici j'ai choisi un exemple où on peut s'en sortir avec la magie des infinitives, mais si on envisage une phrase comme cette mesure {dont je suis persuadé {que les Français l'appellent de leurs vœux}} ne sera pas adoptée, on voit qu'on peut arriver à des choses assez complexes et néanmoins tout à fait compréhensibles grâce à l'« astuce du dont ». Je ne sais pas si ce type de tournure (dont je raffole de l'emploi, et il y en a plusieurs exemples dans cette entrée) a un nom classique, mais elle est extrêmement pratique.

Clarification () : Je ne prétends pas que cette « astuce » repose sur une anomalie de syntaxe : je réécris simplement la phrase à subordonner, par exemple je pense {que cette mesure est liberticide} peut être transformé en je pense de cette mesure {qu'elle est liberticide} (c'est une façon de donner à cette mesure une fonction « bidon » mais non imbriquée), et du coup on peut faire la transformation en cette mesure {dont je pense {qu'elle est liberticide}} ne sera pas adoptée. Néanmoins, ce type de réécriture est très général (dès qu'on a affaire à un verbe comme penser, croire, affirmer, etc., où on peut penser, croire ou affirmer quelque chose [au sujet] de quelque chose). Idéalement, il faudrait en français un « complément bidon » qui n'aurait aucun sens (une préposition qui servirait juste à introduire un groupe nominal à ignorer), ce qui permettrait de réaliser l'astuce dans tous les cas : la construction ici est ce qui s'en approche le plus.

✱ Il faut que j'évoque encore une difficulté bizarre de la syntaxe française (ou plutôt, du fait de fusionner les rôles (A) et (B) du pronom relatif), c'est quand le même groupe occupe deux fonctions distinctes dans la phrase à subordonner. Par exemple :

{J'aime les concepts} # {Le nom des concepts éclaire les concepts} → {J'aime les concepts x {tels que le nom de x éclaire x}}

{J'aime les concepts} # {Le nom des concepts éclaire les concepts} [≡ {Le nom des concepts les éclaire}] → {J'aime les concepts {dont le nom les éclaire}}

{J'aime les concepts} # {Le nom des concepts éclaire les concepts} [≡ {Leur nom éclaire les concepts}] → {J'aime les concepts {que leur nom éclaire}}

En principe, il n'y a aucune difficulté particulière : les deux phrases j'aime les concepts {dont le nom les éclaire} et j'aime les concepts {que leur nom éclaire} sont tout à fait conformes à la syntaxe générale, et essentiellement équivalentes. (Remarquons que selon l'« astuce du dont » évoquée plus haut, on pourrait aussi défendre : j'aime les concepts {dont leur nom les éclaire}.) En pratique, on est généralement gêné quand on rencontre l'une de ces formulations, parce qu'on a dans le cerveau quelque chose qui hurle non, on n'a pas le droit de reprendre l'antécédent de la relative par autre chose que le pronom relatif !, et du coup, on a la sensation que quelque chose « ne va pas » et on cherche à éliminer les deux occurrences, malheureusement ni la phrase j'aime les concepts {dont le nom éclaire} [éclaire quoi ?] ni j'aime les concepts {que le nom éclaire} [le nom de quoi ?] n'a le sens qu'on veut ! Et du coup, quand les deux fonctions sont tout à fait parallèles, alors cette fois on a tendance à « faire d'une pierre deux coups » (ou d'un pronom relatif deux emplois) et ne reprendre qu'une fois :

{J'aime les concepts} # {Le nom des concepts éclaire le sens des concepts} → {J'aime les concepts x {tels que le nom de x éclaire le sens de x}}

• Logiquement on devrait écrire :

{J'aime les concepts} # {Le nom des concepts éclaire le sens des concepts} [≡ {Le nom des concepts éclaire leur sens}] → {J'aime les concepts {dont le nom éclaire leur sens}}

{J'aime les concepts} # {Le nom des concepts éclaire le sens des concepts} [≡ {Leur nom éclaire le sens des concepts}] → {J'aime les concepts {dont leur nom éclaire le sens}}

• Mais en pratique, on écrit plutôt, « d'une pierre deux coups » :

{J'aime les concepts} # {Le nom des concepts éclaire le sens des concepts} → {J'aime les concepts {dont le nom éclaire le sens}}

Pourquoi tant de haine ?

✱ Je peux aussi rapprocher de la difficulté précédente le problème particulier posé par la situation où la phrase à subordonner est en plusieurs morceaux qui vont logiquement ensemble mais où le groupe commun qui va devenir antécédent n'apparaît que dans un de ces morceaux. Je donne un exemple :

{Voici le texte} # ({Je vais étudier la syntaxe du texte,} et {j'ai l'intention de la comprendre parfaitement à la fin}) → {Voici le texte {dont je vais étudier la syntaxe,} et {dont j'ai l'intention de la comprendre parfaitement à la fin}}

— ici la difficulté est que le texte n'a aucune fonction dans la deuxième proposition de la phrase à subordonner (autrement que comme déterminant de la syntaxe qui est repris par un pronom). Du coup, on ne sait vraiment pas quel pronom relatif choisir (j'ai choisi dont un peu selon la logique de l'« astuce » générale évoquée plus haut : il faut imaginer un pronom relatif qui n'introduit aucune fonction particulière). Bien sûr, on peut faire une subordonnée unique (voici le texte {dont je vais étudier la syntaxe, et j'ai l'intention de la comprendre parfaitement à la fin}), mais selon la longueur des termes cela peut être plus ou moins maladroit. Le lecteur attentif aura remarqué que j'ai déjà utilisé dans cette entrée une tournure comme celle de la phrase ci-dessus.

✱ J'ai pour l'instant été assez vague sur le sens des subordonnées, mais il faut préciser qu'il y a deux sens principaux la frontière entre lesquels n'est pas toujours parfaitement nette : dans un premier sens, qu'on appelle restrictif ou déterminatif, il faut comprendre que les foobars {tels que blabla} limitent, à l'intérieur des foobars, ceux qui vérifient blabla, tandis que dans le second sens, qu'on appelle non-restrictif ou explicatif, il faut comprendre qu'on apporte deux informations sur l'ensemble de tous les foobars. La différence de sens, qui est en gros celle entre ∀x(P(x)⇒Q(x)) et ∀x(P(x)∧Q(x)), sauf que les choses ne sont jamais aussi claires dans les langues naturelles, tend à être indiquée, au moins en français et en anglais, par une virgule :

{Les lecteurs de ce blog me comprendront bien} # {Les lecteurs de ce blog maîtrisent la logique}

→ {Les lecteurs de ce blog {qui maîtrisent la logique} me comprendront bien} (i.e., parmi les lecteurs de blog, le sous-ensemble de ceux qui maîtrisent la logique me comprendra bien)

→ {Les lecteurs de ce blog, {qui maîtrisent la logique}, me comprendront bien} (i.e., les lecteurs de blog maîtrisent la logique et me comprendront bien)

La différence est moins claire au singulier (si de toute façon il existe un unique foobar, étant donné que le langage naturel a horreur de parler de l'ensemble vide, cela n'a pas trop de sens de se demander si on restreint son ensemble ou si on apporte une information de plus à son sujet). Dans toute la discussion précédente j'ai volontairement ignoré la différence entre ces deux sens puisque je me préoccupais uniquement de la syntaxe du mécanisme de subordination, pas de son sens.

La virgule censée marquer la différence peut disparaître à cause d'une incise : si j'écris les lecteurs de ce blog, je veux parler du mien, qui maîtrisent la logique, ce domaine si important, me comprendront bien, on ne sait plus dans quel cas de figure on est. À l'oral on la marque par une différence d'intonation, qui peut être plus ou moins évidente ou subtile selon le contexte, le locuteur, etc. En allemand (mais pas en néerlandais !, du moins il me semble), à l'écrit, toute subordonnée est introduite par une virgule, et du coup la différence entre le sens restrictif et non-restrictif des relatives n'est pas marquée : cela peut être gênant pour la compréhension, et c'est d'ailleurs étonnant pour une langue habituellement si précise (je suppose qu'un grammairien prescriptiviste imbécile a un jour décidé que la virgule avant les subordonnées était une bonne chose et qu'il allait la décréter obligatoire, sans réfléchir aux conséquences que cela entraînait) ; mais on peut parfois s'en sortir en changeant le démonstratif (par exemple derjenige suggère fortement le sens restrictif) et/ou le pronom relatif (welcher au lieu de der).

✱ Il faut que je dise encore un mot des subordonnées qui ne sont pas des relatives, que le français appelle subordonnées conjonctives, même si ce n'est sans doute pas une bonne idée de regrouper dans le même sac celles qui occupent une fonction essentielle dans la principale/subordonnante (comme je vois {que tu as embrouillé tes lecteurs}, à ne pas confondre avec la relative dans je vois les lecteurs {que tu as embrouillés}) et celles qui marquent une circonstance non-essentielle (comme tu devrais lire plus lentement {quand les choses sont compliquées}). Le sujet est un peu trop vaste pour que j'en parle en général, mais je veux évoquer un type particulier de subordonnées dont je crois qu'on ne les classe pas avec les relatives [que je crois qu'on ne classe pas avec les relatives ?], à savoir celles du discours indirect : il s'agit de phrases comme je veux savoir {qui tu as embrouillé} ou je veux savoir {quel lecteur tu as embrouillé}, qui sont différentes à la fois des relatives ((1) je comprends les lecteurs {que tu as embrouillés} : la subordonnée qualifie le groupe nominal les lecteurs) et des conjonctives « ordinaires » ((2) je comprends {que tu as embrouillé tes lecteurs} : la totalité du fait désigné par la subordonnée remplit la fonction d'objet dans la principale), puisqu'ici c'est l'identité de quelque chose, ou la réponse à une question indirecte, qui joue une fonction dans la principale ((3) je comprends {qui tu as embrouillé} : l'objet de comprendre n'est ni la personne qualifiée par la subordonnée comme dans l'exemple (1), ni le fait tout entier comme dans l'exemple (2), c'est l'identité de la personne, i.e., la réponse à la question qui as-tu embrouillé ?).

La raison pour laquelle je fais ce distinguo est qu'il y a des situations où on peut avoir ambiguïté. En effet, une subordonnée relative peut occuper toute seule une fonction dans la phrase principale, parce que celui (la personne) dans celui qui peut être omis : dans {qui veut voyager loin} ménage sa monture, il n'y a pas d'antécédent explicite à la subordonnée, il faut comprendre celui / la personne {qui veut voyager loin} ménage sa monture. De façon illogique, d'ailleurs celui que peut aussi se dire qui, c'est-à-dire que la forme qui du pronom est relatif est utilisée pour marquer l'omission de celui plutôt que pour indiquer la fonction dans la subordonnée. Et là les choses deviennent dangereusement confusantes : dans la phrase j'ai rencontré {qui tu aimes} on a affaire à une subordonnée relative et le sens est j'ai rencontré celui {que tu aimes} (l'objet de rencontrer est la personne désignée par la relative), alors que dans la phrase je sais {qui tu aimes}, on a une interrogative indirecte et l'objet de savoir est l'identité de la personne en question. Du coup, la phrase je vois qui tu aimes peut se comprendre de deux façons différentes en français : soit avec une relative je vois {qui tu aimes} c'est-à-dire je vois celui {que tu aimes}, soit avec une interrogative indirecte je vois {qui tu aimes}, i.e., je vois (=je comprends) l'identité de la personne que tu aimes. (Les deux sont d'ailleurs bien différentes de je vois {que tu aimes}.)

Si mon latin n'est pas trop pourri, je vois {qui tu aimes} (avec une relative) doit se dire video [eum] {quem amas} alors que je vois {qui tu aimes} (avec une interrogative indirecte) doit se dire video {quem ames}, la différence venant du fait que les interrogatives indirectes, en latin, prennent un verbe au subjonctif. (C'est en réfléchissant à ce que cela signifiait que je suis tombé sur cet exemple.)

Mais le plus bizarre, c'est le ce que du français : il peut s'analyser comme le pronom démonstratif neutre ce suivi du pronom relatif que, mais aussi comme un pronom interrogatif ce que (enfin, une « locution pronominale » interrogative, si on veut être pédant), auquel cas le ce est impossible à analyser autrement que comme un bout du tout, sans doute apparu par confusion avec la situation du pronom relatif. Ceci fait que la phrase j'ignore ce qu'il me dit peut s'analyser, exactement comme je vois qui tu aimes, de deux façons différentes : soit avec une relative, j'ignore ce {qu'il me dit} (c'est-à-dire qu'il me dit quelque chose, que je l'entends peut-être et que je le comprends peut-être mais que je décide d'ignorer cette chose qu'il me dit ; pour souligner : j'ignore ce qu'il me dit, je n'en tiens aucun compte), ou bien avec une interrogative, j'ignore {ce qu'il me dit} (c'est-à-dire que je suis ignorant de l'identité de ce qu'il me dit, par exemple parce que je ne l'entends pas : j'ignore la réponse à la question que me dit-il ? ; pour souligner : j'ignore ce qu'il me dit, je ne sais même pas quelle langue il parle). De même : je vois ce {que tu aimes} (avec une relative), i.e. je vois la chose que tu aimes, est différent de je vois {ce que tu aimes}, i.e., je vois (=je comprends) l'identité de la chose que tu aimes ; si mon latin n'est pas trop pourri, video [id] {quod amas} contre video {quid ames} (sur ce cas précis, le pronom aussi est différent). (De nouveau, les deux sont bien différentes de je vois {que tu aimes}.) La même ambiguïté doit exister pour ce qui. Mais il faut remarquer que parfois la différence sémantique est fine comme une lame de rasoir : entre les deux analyses possibles de j'ai entendu ce qu'il disait (relative ou interrogative indirecte, j'ai entendu la parole qu'il disait ou j'ai entendu l'identité de ce qu'il disait, audivi {quod dicebat} ou audivi {quid diceret} — je crois que le latin va nettement préférer l'interrogative), le sens est presque exactement le même, et c'est sans doute ce qui fait qu'il y a eu confusion.

✱ Ajout () : suite à une question/remarque intéressante en commentaire, il faut que je dise encore un mot sur le cas du français. Il me semble que ce même mot peut introduire (1) une subordonnée relative, comme dans voici l'endroit { nous nous sommes rencontrés}, même si dans ce cas la nature exacte de la phrase subordonnée n'est pas entièrement claire (nous nous sommes rencontrés à cet endroit ? ou en cet endroit ?), peut-être (2) une subordonnée conjonctive circonstancielle (i.e., non-essentielle), comme dans je reviens { nous nous sommes rencontrés}, analyse que je calque sur le modèle de j'étais heureux {quand nous nous sommes rencontrés}, mais on pourrait aussi préférer l'analyser comme une relative portant sur un adverbe implicite, i.e., je reviens [] { nous nous sommes rencontrés} comme je revois [celui] {qui nous a rencontrés}, ou enfin (3) une interrogative indirecte, comme je sais { nous nous sommes rencontrés}. • Les cas (1) et (3) sont assez peu problématiques, même si on peut certainement fabriquer des phrases ambiguës comme je l'ai fait au point précédent avec qui et ce que. En revanche, la question de savoir si je reviens où nous nous sommes rencontrés doit s'analyser comme une subordonnée relative avec un implicite ou comme une subordonnée circonstancielle de lieu ressemble à une question byzantine : apparemment les grammaires françaises (du moins celles que je trouve en ligne) ont choisi l'analyse comme une relative (et vont jusqu'à nier l'existence des subordonnées circonstancielles de lieu), mais aucune en prend le soin d'expliquer pourquoi cette analyse leur semble préférable (ou si c'est un choix purement arbitraire), on a l'impression que c'est comme ça semble être un argument suffisant dans le monde bizarre de ces grammaires. • En tout état de cause (et indépendamment de l'analyse qu'on en fait), j'ai toujours été choqué par le caractère hideusement asymétrique de la manière dont le français exprime les subordonnées indiquant le lieu et le temps, par exemple si je compare : d'une part, je serai présent où tu auras besoin de moi (peu importe qu'on l'analyse d'une manière ou d'une autre) avec je serai présent quand tu auras besoin de moi (l'analyse est forcément je serai présent {quand tu auras besoin de moi}), et d'autre part, je serai présent à l'endroit { tu auras besoin de moi} avec je serai présent au moment { tu auras besoin de moi}. Pourquoi dans un cas exprime-t-on le lieu avec et le temps avec quand alors que dans le second on exprime les deux avec  ? C'est peut-être un argument (celui que les grammaires omettent d'expliciter !) pour défendre l'analyse de je serai présent où tu auras besoin de moi comme une relative, mais en tout cas c'est une vraie bizarrerie du français. (En anglais, on dit fort logiquement : the place where you need me and the time when you need me, complètement parallèle de I am where you need me, when you need me, et il n'y a donc, en anglais, aucune raison de douter que l'analyse de where soit différente de celle de when.)

Il reste encore un certain nombre de subtilités que je n'ai pas évoquées, mais je crois que je vais m'en tenir là. Je vous laisse imaginer, cependant, à quel point j'ai pu emmerder mes instituteurs et profs de français (et d'autres langues, d'ailleurs) au collège et lycée, à explorer systématiquement les exemples tordus, les constructions bizarres, les cas non couverts par les règles qui venaient d'être énoncées, etc.

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