Enfin ! Seul ! Horrible vie ! Horrible ville ! Récapitulons la
journée : m'être moqué avec d'autres enseignants de l'incapacité des
étudiants à résoudre l'inéquation 1/x>-4 ; avoir admis avec un air de
moquerie condescendante que peut-être cependant ils arrivent à
développer (a+b)² sans se tromper (mais, rajouta quelqu'un, (a+b)³, il
en faudrait pas trop en demander). Avoir suivi avec attention une
conversation où l'on comparait les films d'Eric Rohmer à la
sitcom Hélène et les
garçons mais en moins bien : acteurs débutants, dialogues
mal écrits, scénario flasque. En avoir écouté un autre se plaindre
(ou s'amuser ?) d'une infection sexuellement transmise qu'il avait
contractée (par pudeur je tairai comment) : et en être resté partagé
entre le dégoût et l'admiration. Ou encore d'autres discuter des
détails de la posologie des anxiolytiques et antidépresseurs. Et
pendant toute la soirée avoir salivé en secret et en ultime frustré
devant une demi-douzaine de personnes avec qui j'entretiens des
relations parfaitement courtoises ou bien qui semblent à peu près
autant conscientes de mon existence que de celle des pigeons qui
passent au-dessus d'eux (i.e. jamais, sauf quand ça chie). Avoir tenu
à étaler ma culture en soulignant gratuitement et sur un prétexte
minable que je connaissais l'existence de Under
the Volcano de Malcolm Lowry, le livre préféré de mon père, que
je n'ai pour ma part même pas ouvert, récit du dernier jour d'un
consul déchu au Mexique qui sombre dans l'alcoolisme. Avoir vu un
beau garçon dédaigner les signes d'intérêt d'un autre beau garçon dont
il venait pourtant de me dire une minute auparavant je sombrerais
bien dans l'alcoolisme avec celui-là
; et avoir bavé en silence
devant l'un et l'autre, mais n'avoir rien fait. Avoir refusé du feu à
un inconnu alors que j'avais justement un briquet dans mon sac (moi
qui ne fume pas). Être resté longuement place de l'Hôtel de Ville
regardant avec irritation et fascination les prémisses de ce qui sera
demain la Techno
Parade. Ouf ! Est-ce bien fini ? Mécontent de tous et mécontent
de moi, je voudrais bien me racheter et m'enorgueillir un peu dans le
silence et la solitude de la nuit.
Toutes mes excuses à C. B. pour ce pastiche minable. Mais je lui rends sa plume : si les faits racontés sont techniquement corrects, l'esprit et le ton dans lesquels ils sont rapportés sont commandés par l'exercice, et ne reflètent pas la réalité. La réalité, tout simplement, dispose d'un excellent sens de l'humour, que j'apprécie beaucoup. Les gens, quant à eux, sont vraiment admirables (si, si, je le pense honnêtement).