Over the Rainbow

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S'il y a un film qui a sans doute plus que tout autre marqué la culture américaine (un oxymore, diront certains), ce n'est pas Star Wars ; ce n'est pas non plus Autant en emporte le vent (pourtant le film « le plus populaire de tous les temps »), mais une autre œuvre du même réalisateur : The Wizard of Oz (Le Magicien d'Oz, 1939). Comédie musicale gentillette inspirée du roman publié au tournant du siècle par L. Frank Baum (et qui n'est que le premier volume de toute une série d'aventures dans le merveilleux pays d'Oz), elle raconte l'histoire, façon conte de fée, de la petite Dorothy, transportée par une tornade de son Kansas natal vers le pays d'Oz où elle se fait trois amis et combat une méchante sorcière avant de pouvoir rentrer chez elle. Diffusé et rediffusé jusqu'à la nausée (particulièrement à la période de Noël, pour une raison obscure), cité à tel point que nombre de ses répliques sont devenues proverbiales, pastiché, évoqué partout, des slogans publicitaires aux séries télévisées et des titres de journaux aux dessins humoristiques (« comics »), The Wizard of Oz est incontournable en Amérique du Nord comme les Quatre Saisons dans un supermarché, et il y a fort à parier que Dorothy Gale est aussi célèbre outre-Atlantique que Thomas Jefferson, autre grand héros américain.

Dorothy est jouée par une actrice à l'époque peu connue, et que ce rôle a propulsée en position de star : un peu par hasard, et parce que Shirley Temple ne pouvait pas se libérer, c'est Judy Garland (de son vrai nom Frances Ethel Gumm) qui le reçoit. À 17 ans, elle est déjà ridiculement âgée pour jouer la petite fille qu'est censée être l'héroïne ; mais peu importe : c'est comme les décors de studio en carton-pâte, la magie marche si on y croît. Ensuite, la vie et la carrière de Judy Garland se résument essentiellement à cinq mariages (dont un avec Vincente Minnelli duquel naîtront dans le milieu des années 40 quelques beaux rôles et une fille, Liza Minnelli), un chant du cygne dans Une Étoile est née (A Star is Born) en 1954, et la lente descente dans l'enfer de la drogue et des tentatives de suicide. Elle meurt le 22 juin 1969, à Londres, d'une overdose de somnifères.

Judy Garland fait partie de ce petit nombre de personnes que des raisons souvent inexpliquables ont transformées en icônes gay. Ses chansons comme Over the Rainbow ou The Man that Got Away deviennent des ralliements pour la communauté homosexuelle. C'est précisément dans la nuit et le matin suivant l'enterrement de l'actrice à Manhattan (22000 personnes se sont pressées devant sa dépouille), le 28 juin 1969, qu'un raid de police au bar gay Stonewall à Greenwich Village, New York, tourne à l'émeute, menée principalement par les drag queens. Cet événement est commémoré chaque année par les marches de la fierté homosexuelle (Gay Pride) dans le monde entier.

Parmi toutes les chansons de Judy Garland, Over the Rainbow, une de celle qu'elle chante dans The Wizard of Oz, est assurément la plus connue ; les paroles sont d'Edgar « Yip » Harburg et la musique de Harold Arlen (Hyman Arluck). C'est sans aucun doute en référence à ce morceau que l'arc-en-ciel est devenu un symbole gay. Le Rainbow Flag proprement dit a été conçu et réalisé à la main par le graphiste et activiste politique américain Gilbert Baker (originaire du Kansas comme Dorothy Gale !), alors âgé de 27 ans, pour la Gay and Lesbian Freedom Day Parade de San Francisco le 25 juin 1978. Le dessin initial comportait huit bandes horizontales de couleurs différentes, symbolisant, de haut en bas : le rose pour le sexe, le rouge pour la vie, l'orange pour la santé, le jaune pour le soleil, le vert pour la sérénité, le turquoise pour l'art, l'indigo pour l'harmonie et le violet pour l'esprit. Lors de la marche organisée en novembre suivant pour protester contre l'assassinat de Harvey Milk, le premier élu ouvertement gay de San Francisco, la Paramount Flag Company produisit des versions à sept bandes car le rose n'était pas disponible industriellement. Par la suite, Baker fit également supprimer le turquoise, pour maintenir un nombre pair de couleurs (une décoration de la rue devait comporter trois couleurs de chaque côté), et remplacer l'indigo par le bleu royal, formant le drapeau à six bandes (rouge, orange, jaune, vert, bleu, violet) qui est devenu définitif.

[Rainbow flag]


David Madore

Dernière modification : $Date: 2002/10/16 11:14:59 $