(Je vais essayer de ne pas spoiler, ou en tout cas pas sur quoi que ce soit d'important.)
Je crois que j'ai toujours aimé les intrigues à rebondissements (je
ne sais pas quel mot convient le mieux en
français, rebondissements
, révélations
…
l'anglais plot twist
est sans doute le plus
proche de ce que je veux dire) : les histoires où on découvre que le
grand méchant est en fait le père du héros, que celui qu'on croyait
gentil est en fait un méchant traître, que (et ce sens-là est à mon
avis beaucoup plus intéressant et plus difficile à mener correctement)
celui qu'on prenait pour un méchant est en fait un gentil, qu'on
s'est totalement trompé sur la
nature de X
ou Y, que les intentions
d'Untel n'étaient pas du tout ce qu'on pensait, que tel personnage est
en fait tel autre déguisé, que tel personnage est en fait deux
personnes différentes, que quelqu'un
apparaît à un moment inattendu ou
bien réapparaît, que tel
personnage, tel lieu ou tel objet n'a jamais
existé, ou bien le contraire,
que le général que la princesse doit
épouser est une femme ou au contraire
que la princesse avec laquelle le héros
a couché est un général, que celui
qu'on croyait fou ne l'est pas, ou le contraire, que le meurtrier
qu'on recherchait est en fait le détective / le narrateur / la victime
elle-même, que la femme que le héros a épousé est sa mère tandis que
l'homme qu'il a tué est son père, bref, ce genre de choses. Quand on
aime ce genre de choses, il est difficile de ne pas apprécier les
films de Christopher Nolan, et je pense que c'est beaucoup pour ça
qu'il plaît — pas seulement à moi. Je l'ai découvert, je crois,
quand je suis allé
voir Le
Prestige ; j'ai aussi beaucoup
aimé Shutter
Island [correction : on me fait remarquer
que celui-ci n'est pas de Nolan, comme dans
l'univers parallèle dont je viens,
mais de Scorcese — il faut croire que c'est le plus nolanien des films
de Scorcese], et un peu moins (et pour des
raisons un peu
différentes), Inception.
Je ne prétends pas que tous ses films soient forcément bourrés de
rebondissements, mais on peut révéler sans trop spoiler qu'au moins un
ou deux des éléments de rebondissement que je viens de citer ont servi
quelque part dans un film de Nolan.
Interstellar en a aussi sa part, même si ce n'est sans doute pas le plus important dans un film plutôt riche et qui semble hésiter entre plusieurs genres (dont l'un à part entière est sans doute le genre « hommage à 2001 »). Cela ne m'a pas empêché de l'apprécier. Je précise aussi, car c'est très important pour moi dans un film qui doit peut-être recevoir une suite, qu'il y a une véritable fin, on ne nous laisse pas en plan avec une intrigue à moitié achevée (chose que je déteste) : on voit que le film fait potentiellement partie d'un ensemble plus grand, mais il peut très bien se suffire à lui-même. (Et je reciterai cet exemple à ceux qui me prétendent parfois que c'est impossible de concilier les deux.)
Je ne révélerai pas quel est le point de vue du réalisateur sur la
conquête spatiale (on sait quel est le
mien), d'autant moins que je ne sais pas ce qu'il est : le film
reste sans doute volontairement ambigu, et les personnages n'ont pas
tous la même idée à ce sujet. Il pose néanmoins, d'ailleurs peut-être
malgré lui, et en ayant l'intelligence de ne pas vraiment chercher à y
répondre, une ou deux questions éthiques intéressantes, notamment sur
ce que cela signifie de nous perpétuer en tant qu'espèce, ou quel but
cela doit avoir (cf. l'entrée liée ci-dessus). Tout ça pour dire que
la tagline mankind was born on Earth: it was never
meant to die here
est un peu simpliste.
Ce qui est sûr, en revanche, c'est qu'il faut bien accrocher sa suspension of disbelief, notamment en ce qui concerne la physique (ou d'autres lois de la nature, d'ailleurs). Pas que le film soit plus plein d'invraisemblances que d'autres films de SF, mais il donne l'impression de prétendre à plus de vraisemblance. J'ai eu quelque espoir en la matière en voyant que l'extérieur du trou de ver n'était pas ridicule, que certaines images de trou noir étaient inspirées d'images sérieuses (apparemment fournies avec la collaboration de Kip Thorne ; dommage qu'il ne soit pas tombé sur mes vidéos à ce sujet, j'aurais peut-être pu rencontrer M. Nolan). Mais au final, on a droit à la ration standard de bêtises, que ce soit le blabla sur la 5e dimension qui semble inévitable dès que quelqu'un évoque la courbure de l'espace-temps (mais noooooon ! pitié !) ou encore d'une planète près d'un trou noir sur laquelle il suffit de se poser pour que le temps subisse un ralentissement d'un facteur 60000 par rapport aux observateurs juste à côté (allô la Terre ?), et je ne parle même pas de planétologie, d'intelligence artificielle (soupir !), ou de simples ordres de grandeurs sur la taille des choses dans l'univers ou même de vraisemblance interne vis-à-vis de cette physique farfelue (par exemple, si le temps s'écoule 60000 plus lentement sur une planète, une sonde arrivée dessus va sembler envoyer ses bips 60000 fois plus lentement, je crois que tout le monde peut deviner ça). En revanche, j'ai bien envie de voir des images fixes des tableaux noirs remplis d'équations qu'on aperçoit dans quelques scènes du film, parce qu'il y a l'air d'avoir des choses rigolotes dessus (j'ai repéré quelques équations standard de la relativité générale transformée avec des lettres cyrilliques comme indices, je me demande s'il faut y voir une private joke).