Quand j'étais petit, j'ai essayé de comprendre la physique. (Et c'est pour ça que je suis devenu mathématicien. )
Il faudra que je raconte une autre fois comment
j'ai appris un peu de physique classique —
dans ce
livre (destiné, je crois, aux étudiants américains en médecine).
Et surtout comment je me suis jeté avec passion sur la relativité
générale, comment je suis devenu mordu de trous noirs et que j'avais
pour projet j'avais pour projet de réaliser un jeu informatique dont
le but serait de contrôler un vaisseau au voisinage d'un trou noir en
rotation. (Il s'est avéré que, vers 1990, les logiciels de calcul
formel n'arrivaient pas à simplifier convenablement les symboles de
Christoffel de l'espace-temps de Kerr, du coup c'était inextricable.
Ce n'est finalement que l'an dernier que j'ai codé le programme
d'intégration des géodésiques, et je n'ai plus trop envie d'en faire
un jeu. Par contre, je garde dans un coin de ma tête l'idée de
réaliser des vidéos de différents processus concernant un trou noir de
Kerr, comme celle de ce que voit un observateur qui tombe librement et
émerge dans un autre monde feuillet d'espace-temps
différent.) Mais ceci est une autre histoire.
La physique des particules m'a fasciné très tôt. Notamment quand j'ai appris que les protons et les neutrons étaient formés chacun de trois petits machins appelés quarks ; et que ces quarks venaient en combinaisons de couleurs (trois possibles : rouge, vert et bleu) et saveurs (six possibles, up, down, strange, charm, beauty et truth[#] — enfin, à l'époque on n'en avait observé que cinq) ; et qu'en en mettant trois ensemble, dont nécessairement un de chaque couleur, on formait un baryon (à savoir up-up-down pour le proton, et up-down-down pour le neutron) : tout ça a éveillé ma curiosité, ne serait-ce que combinatoire, et j'ai voulu en savoir plus. Pendant longtemps, tous les deux ans, mon père m'a rapporté du labo une copie du nouveau Review of Particle Properties (à la fois en version pavé et en version livret[#2]) : au début, je ne lisais essentiellement que les listings de baryons et mésons, je voulais comprendre comment « fonctionnaient » ces machins fabriqués à partir de trois quarks ou d'un quark et d'un antiquark.
Rapidement j'ai compris qu'il y avait plus à comprendre que la
combinatoire de choisissez trois saveurs de quarks parmi les six,
et vous obtenez un baryon
(ou une saveur et une anti-saveur pour
un méson). Par exemple, le neutron est up-down-down, mais le
Δ0 aussi, et ce ne sont pas du tout la même
particule : il y a une différence de spin (mais je ne crois pas que je
comprenais bien ce qu'était le spin, à l'époque), et aussi d'isospin
(idem…), et accessoirement le Δ0 survit
160000000000000000000000000 fois (cent soixante millions de milliards
de milliards, tout de même) moins longtemps que le neutron (mais je ne
sais pas si je savais extraire cette information
du Review of Particle Properties, parce
qu'elle est cachée sous forme de largeur
) et il a une masse 30%
plus importante. Bref, dire up-down-down
ne suffit pas. À
l'inverse, je devais reconnaître qu'il n'existait pas trois neutrons
différents, un dont le quark up serait rouge (les deux down étant vert
et bleu), un dont le up serait vert et un dont il serait bleu : bon,
là il était assez facile d'imaginer que les quarks échangeaient tout
le temps leurs couleurs (tout en gardant un rouge, un vert et un
bleu), ce qui n'est d'ailleurs pas trop faux, comme image. Autrement
plus difficile à comprendre était la composition en quarks du méson
π0
(le pion neutre) : ce
n'est ni un quark up et un anti-quark (anti-)up, ni un down et un
anti-down, mais une combinaison linéaire des deux (et selon
qu'on fait la combinaison linéaire avec un + ou un −, on
n'obtient pas la même particule : pour le pion, c'est − ; du
coup, l'idée naïve que la paire quark-antiquark passe son temps à
alterner entre up+anti-up et down+anti-down, elle est, justement,
naïve).
⁂
Je suis devenu mathématicien et pas physicien. Donc certainement je n'ai pas de difficulté fondamentale — maintenant — à comprendre une combinaison linéaire, ou à saisir l'idée que quand deux opérateurs hermitiens ne commutent pas, on ne peut pas les diagonaliser simultanément[#3], et autres évidences mathématiques qui ont une grande importance en physique quantique. Pour autant, l'intuition ne vient pas forcément avec. Et même quand elle vient, la connexion entre le sens mathématique et le sens physique n'est pas facile à faire.
Je crois que je comprends maintenant assez bien les idées physiques de base de ce qui s'appelle collectivement le modèle standard de la théorie des particules (et qui décrit l'ensemble des particules élémentaires observées plus un encore hypothétique boson de Higgs, regroupées en interactions électrofaible et forte plus champs de matière), et je comprends comment tout un tas de ces choses s'organisent mathématiquement. Mais une brique essentielle me manque depuis toujours : je ne comprends pas du tout, malgré un assez grand nombre de tentatives pour y arriver, la théorie quantique des champs.
D'une certaine manière, c'est très excusable, parce qu'il y a effectivement beaucoup de difficultés mathématiques, parfois très profondes, pour définir rigoureusement la théorie quantique des champs (et certaines théories comme celle de l'électrodynamique quantique n'ont probablement pas de sens mathématique, tandis que d'autres comme la chromodynamique quantique, en ont probablement un mais c'est un problème à $1000000 de le définir rigoureusement). Mais en fait, ce que je ne comprends pas est beaucoup plus basique que les difficultés subtiles (l'apparition de quantités infinies à foison, dont il est difficile de se débarrasser proprement) auxquels je fais allusions. Je n'arrive pas à comprende les idées clés de la théorie quantique des champs. Ce qui est dommage, parce que c'est ce qui manque pour faire le lien entre des maths que je comprends et de la physique dont j'ai une petite idée (et qui me fascinait quand j'étais petit, et qui continue à me fasciner[#4]).
Assez récemment, je me suis acheté un livre assez
monumental[#5]
appelé Quantum
Field Theory (I. Basics in Mathematics and Physics
)
par Eberhard
Zeidler. Assez monumental, parce qu'il fait environ 1000 pages,
que le volume II (que je n'ai pas encore acheté, mais je risque de le
faire) en fait autant, et qu'il y a encore quatre volumes prévus
derrière. Je crois que si j'avais la patience de digérer tout ça, je
finirais par comprendre quelque chose à cette théorie, mais
malheureusement, je manque de temps ! Tellement de choses à
découvrir, tellement peu de temps à y consacrer…
Je me console avec un livre au format beaucoup plus petit,
les Lectures on Quantum Chromodynamics
d'Andrei Smilga, qui sans éclaircir vraiment ce que je ne comprends
pas fondamentalement dans la théorie quantique des champs,
m'apprennent tout un tas de choses physiquement fascinantes sur les
quarks et les gluons.
[#] Maintenant on est
censé dire bottom
et top
pour beauty
et truth
, mais je trouve ces deux derniers termes à la fois
beaucoup plus poétiques et beaucoup plus cohérents avec les autres
(alors que bottom
et top
, ça invite vraiment à la
confusion avec down
et up
, dont ils sort certes des
analogues dans la 3e famille). Et on peut même traduire les mots en
français, parler de quark étrange, charmant, beau et vrai alors que
distinguer les quarks top
et up
en traduction, c'est pas
évident.
[#2] Le Review est une sorte de bottin des particules connues, avec une fiche signalétique pour chacune qui décrit toutes ses caractéristiques mesurées, et aussi plein de tables diverses qui récapitulent toutes sortes de choses importantes en physique des particules. Ça existe en version complète, qui représente un livre assez épais, en fait (et de plus en plus épais chaque année), et aussi en version livret de poche, pour avoir tout le temps sur soi des renseignements auss importants que la masse du muon ou la durée de vie du Ω−.
[#3] Remarque qui tombe un peu comme un cheveu sur la soupe, certes. Mais c'est important pour comprendre, par exemple, tous les mystères qui entourent les kaons neutres : les vecteurs propres d'étrangeté, d'interaction faible, ou d'invariance CP, sont à chaque fois deux vecteurs différemment orientés dans l'espace (de dimension 2) des kaons neutres.
[#4] Dans le genre de choses que je trouve complètement mind blowing, il y a le diagramme des phases de la chromodynamique quantique : cet article de vulgarisation (qui s'adresse cependant à des gens connaissant un peu de physique au préalable !) donne un petit aperçu de ce dont il s'agit (et de quel peut être le comportement étrange des quarks au cœur des étoiles superdenses).
[#5] Et par ailleurs très intéressant et localement très bien écrit (les explications sont très claires, et pour un matheux c'est vraiment parlant). Son principal défaut est d'être assez brouillon (il part dans tous les sens, et on finit par se perdre complètement dans son plan).