Comment pourrais-je m'amuser à chercher le secret des étoiles, ayant la mort et la servitude toujours présentes aux yeux ?Anaximène aurait posé cette question à Pythagore, si l'on en croit Montaigne. Peu importent les protagonistes, on peut en trouver d'autres : j'imagine Aristote et Platon dialoguant ainsi au centre de L'École d'Athènes de Raphaël, l'un montrant la terre, l'autre le ciel ; j'imagine Francis Bacon Verulam songeant en lui-même à l'avenir de l'humanité, j'imagine Anatole France croisant Henri Poincaré, j'imagine Albert Einstein et Linus Pauling interrogeant leur conscience. Cette question doit être — et a été — sans cesse répétée, car c'est la plus grave de toutes : c'est la question par laquelle l'Homme doit choisir son destin, ce qu'il veut être, ce qu'il doit être, et la place qu'il prétend conquérir dans l'indifférence glacée de l'Univers.Or il n'est sans doute pas de meilleur endroit au monde pour réitérer cette interrogation. Ces murs, ces vénérables murs, quels mystères n'ont-ils pas entendus débattus ? Et quel lieu aussi bien que celui-ci pourrait prétendre incarner le refus de la guerre et du despotisme ? Vous êtes les héritiers d'une tradition en laquelle l'entendement de l'Homme n'a pas à rougir de se voir représenté. Et c'est à ce titre que je me sens honoré de m'adresser aujourd'hui à vous pour ouvrir un travail peu commun.
Comment pourrais-je m'amuser à chercher le secret des étoiles, ayant la mort et la servitude toujours présentes aux yeux ?À cela, le mathématicien Jacobi fit une réponse superbe :Pour l'honneur de l'esprit humain.C'est à vous maintenant qu'il appartient d'en décider.
Ajout : pour m'éviter de rechercher les
références, la citation de Jacobi est extraite d'une lettre à Legendre
datée du 2 juillet 1830 (Carl Gustav Jacob
Jacobi, Gesammelte
Werke, band 1, Reiner, Berlin 1881,
Correspondance mathématique avec Legenre,
454–455, scan
ici), où il écrit la chose suivante : Il est vrai que
M. Fourier avait l'opinion que le but principal des mathématiques
était l'utilité publique et l'explication des phénomènes naturels ;
mais un philosophe comme lui aurait dû savoir que le but unique de la
science, c'est l'honneur de l'esprit humain, et que sous ce titre, une
question de nombres vaut autant qu'une question du système du
monde.
La référence à Montaigne vient, pour sa part, du livre I,
chapitre XXV (De l'institution des enfants
) [parfois
numéroté XXVI ?] de ses Essais
(scan
ici) : Anaximenes escrivant à Pythagoras :
De quel sens puis
ie m'amuser au secret des estoiles, ayant la mort ou la servitude
tousiours presente aux yeulx?