Avant de rencontrer J***, je n'avais jamais imaginé que le qualificatif
gentilpouvait être un compliment. On dit de quelqu'un qu'il estgentilquand il est légèrement demeuré, ou ennuyeux à mourir, ou cul-bénit, ou, en fait, qu'il a cette propriété exaspérante que de ne pas avoir de défaut facilement identifiable si bien qu'on en est réduit à le ridiculiser par une de ses qualités. On peut éventuellement dire en bonne part qu'untel est agréable ou aimable, certainement qu'il est jovial ou drôle, maisgentilme semblait définitivement relégué au registre du mépris condescendant (sauf peut-être pour parler d'un enfant sage). Et j'ai rencontré J*** et j'ai compris que la gentillesse pouvait véritablement être une qualité brillante, aussi formidable qu'elle est rare. Nous sommes tellement habitués à considérer le trait d'ironie — et jusqu'au sarcasme acerbe — comme synonymes de l'intelligence qu'il y a quelque chose de profondément désarmant à voir une personne dont la finesse d'esprit ne fait aucun doute mais qui ne la manifeste jamais en se moquant ni en se faisant valoir aux dépens d'autrui, au contraire, qui la met au service de la conciliation et d'une recherche de bonne entente entre tous. J'ai pris conscience alors que l'art de tenir des propos gentils qui soient intéressants ou drôles est autrement plus difficile que celui de dire des méchancetés, et que ceux qui ne savent que blesser le font par facilité, par paresse ou par frustration.
Je pense à une ou deux personnes réelles en écrivant ce fragment
(qui fait pendant à un précédent ?).
En fait, surtout à une personne en particulier, qui m'a vraiment fait
prendre conscience du fait que gentil
pouvait être un
compliment. Mais comme c'est assez embarrassant tout de même, je
préfère taire son nom (si on commence à répéter que j'ai dit d'un
éminent prof de maths qu'il était gentil
, on ne va pas
comprendre ça correctement, et d'ailleurs il a d'autres qualités si
bien que ce serait dommage de le réduire à ça, tout gentil
qu'il est).