Le Crépuscule des Dieux n'aura pas lieu

À propos de cette édition

Contenu

Ce qui suit est le texte complet d'une pièce de théâtre, écrite en 1992 David Madore. Il n'a subi que des modifications de nature éditoriale (dans la conversion du format Sprint au format HTML) par rapport à la version finale.

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Copyright

Copyright © 1992–1999 David A. Madore.

La copie et la diffusion de cet ouvrage est permise suivant les termes suivants:

Table des matières

ACTE I

Le théâtre est sombre.
Voix A :
Ah ! La représentation est commencée. Ce n'est pas trop tôt.
Voix B :
Oui, ils sont toujours en retard...
La lumière augmente très légèrement. On aperçoit une silhouette en arrière-plan. Silence. Elle paraît affairée. Un temps. Elle se tourne vers les spectateurs.
Silhouette :
Mais ils ont commencé ! Je dois me dépêcher ! (Avance vers l'avant-scène, trébuche et tombe avec un bruit sourd. À mi-voix.) Merde ! (Se relève. Haut.) Voilà. (Parvient à l'avant-scène. Regarde les spectateurs un long moment en toussotant. Un temps.) On nous regarde. (Un temps. Pensivement.) Qu'est-ce que je dois faire ? (Réfléchit.) Ah, oui ! (Fait quelques pas vers les coulisses.) Allumer les lumières. (Sort de la scène : on entend sa voix un peu étouffée.) Chauffage... Gaz... Eau... Électrocution des spectateurs... Où est ce foutu bouton ? Ah ! le voilà. (On entend un « Clic » très distinct.)
Les lumières s'allument vivement. Éclairage très fort. On voit la scène, très chargée. Dans le fond, sur le mur, une immense banderole, sur laquelle est écrit, en or sur rouge : « BIENVENUE AU VALHALA. » Le « BIENVENUE AU » a été rayé à la peinture blanche. Il manque une L à « VALHALLA ». Immédiatement devant, un immense fauteuil doré et resplendissant. Un petit écriteau le désigne comme le trône de Thor. À gauche pour les spectateurs, un synthétiseur, le plus moderne possible. À droite, une bibliothèque, la plus grande possible. Devant, à un très petit bureau sur lequel il n'y a qu'une feuille de papier et un pot d'encre, un petit personnage est attablé, une immense plume de soie à la main : c'est le Scribe. Il écrit quand un personnage parle, pour donner l'impression au spectateurs qu'il retranscrit tout ce qui se dit sur le théâtre. De temps en temps, il tourne la page, ou prend une autre feuille d'un immense tas posé à ses pieds que le public ne voit presque pas. En ce moment, il consulte une copie très ancienne est très déchirée du Petit Larousse, et murmure de quoi faire comprendre qu'il cherche l'orthographe de Valhalla. Le milieu de la scène est occupé par des divans bleus, blancs ou verts, arrangés de part et d'autre du trône. Entre les divans et devant le trône, une petite table d'acajou sur laquelle est posé un bouquet de fleurs de très mauvais effet, dont les couleurs jurent si possible entre elles, en tout cas avec les autres couleurs de la scène. Sous la table, un petit tapis moyennement propre. Le reste de la scène est occupé par des boites de carton, certaines vides, d'autres pleines de journaux, certaines renversées. Quelques journaux sales sont éparpillés sur le sol et crissent quand les acteurs marchent dessus. Sur les murs, des assortiments curieux de disques de couleur (soit projetés par des projecteurs soit dessinés sur papier et accrochés aux murs).
Le Scribe :
(À mi-voix.) Deux L à « Valhalla ». On dit un ou une L ? Ça me parait bizarre. (Écrit.) « Thor », ça s'écrit comment ? (Se tourne vers les spectateurs. Fort.) Il y a un H à Thor ? (Un temps.) Merci. (Écrit un long moment en silence. Finit en murmurant.) ...soit dessinés sur papier et accrochés au murs). (Fort, sans s'adresser à quiconque en particulier.) Vous avez lu la pièce, j'espère. (Replonge dans le silence, écrit encore un peu puis cesse.)
Un temps.
Silhouette :
(Des coulisses.) Très bien, c'est mieux comme ça. Ça a commencé à commencer. Commencer à ou commencer de ? (Il continue dans un charabia incompréhensible aux spectateurs, de plus en plus rapide et de moins en moins fort. Silence. Il pénètre sur scène ; il est entièrement habillé de noir de pied en cap ; juste deux trous pour ses yeux.) Quel bordel ! Il faudra ranger tout ça. (Il remarque le Scribe qui écrit extrêmement rapidement.) Salut, imbécile. (Le Scribe ne réagit pas, accélère juste un peu la cadence.) Que peut-il donc écrire ? Je ne parle pas si vite. (Il s'approche du Scribe et se penche par-dessus son épaule.) Commencer à... ou... commencer... de... Il y a deux M à « commencer », mon petit. (Le Scribe corrige.) Bien, continue comme ça. (Il recule, manquant de trébucher sur une boite, dont il éparpille le contenu : des journaux ou, mieux, des flocons de polystyrène expansé. Se tourne vers le bouquet, le renifle.) Beurk ! (Avance vers le trône, regarde la pancarte.) Le trône... de... Thor. Bien. Ce serait plutôt Odin, en fait. Mais admettons. (Il s'assoit.) Maintenant, c'est moi, Thor ! (Ramasse une immense épée au pied du trône, avec difficulté car elle est très lourde. Fait quelques mouvements avec, manque de cogner le vase.) Ouah ! Super, l'épée. (Se lève et se retourne. Il voit la banderole.) Bienvenue au Valhalla. Il manque une L. (Ramasse un pot de peinture blanche et un pinceau. Le pot est vide. Il le secoue pour voir si rien n'en tombe, mais les quelques restes ont depuis longtemps séché. Piteusement.) Dommage. (Se penche pour reposer le pot.) Ah ! une craie ! (Ramasse la craie. Rajoute une L après celle qui y est déjà, puis jette la craie. Il regarde son travail avec satisfaction, puis va s'asseoir sur un divan, à droite de la table. Les lumières baissent imperceptiblement. Silhouette semble s'assoupir. Un temps.)
Entrent Alexandrin, Un Homme et Musicalia.
Alexandrin :
(Très fort : il réveille Silhouette. Articule chaque syllabe, prononce fortement les « e » muettes. Silhouette compte sur ses doits.) Mais je vois qu'en retard sur l'horaire nous sommes ! / Silhouette, bravo ! Digne de Thor vous êtes ! / Je vois que vous au moins, ce que dites vous faites. / Vous êtes un brave homme et même un très brave homme.
Un Homme :
(À Silhouette.) Il est mauvais, n'est-ce pas, Silhouette ? (Silhouette acquiesce.) Très mauvais même. (Alexandrin semble réfléchir et n'avoir pas entendu ; il va s'asseoir.)
Musicalia s'assoit près du synthétiseur et commence à jouer la Lettre à Élise, sur un instrument qui ressemble à un mélange de cloches et de flute. Le Scribe a l'air fort gêné, hausse les épaules.
Un Homme :
(À Musicalia.) Ta gueule ! N'importe quoi sauf celui-là ! (Musicalia cesse et joue la Marche Nuptiale à l'orgue, mezzo-forte.) C'est mieux. (Un Homme s'installe sur le divan en face de Silhouette, à côté d'Alexandrin.) Alors, c'est ça le Valhalla.
Silhouette :
Faut croire.
Alexandrin :
Oui, c'est le Valhalla, la demeure des dieux, / Où Thor et où Odin envoient les valeureux.
Un Homme :
(À Alexandrin.) Tais-toi ! (À Silhouette.) Et maintenant ?
Silhouette :
Les autres vont venir, je suppose. (Tourne les pouces.)
Un Homme :
(Se lève, regarde distraitement un journal par terre, puis tente de se frayer un chemin jusqu'à la bibliothèque. Regarde sans grande attention les tranches des livres. À Silhouette.) Dis, tu es toujours habillé comme ça ?
Silhouette :
Bien sûr.
Un Homme :
Ce n'est pas un peu chaud ?
Silhouette :
Je meurs de chaleur.
Un Homme :
Pourquoi tu ne retires pas tout ça ?
Silhouette :
Ne sois pas si stupide ! Je suis un acteur. Si l'auteur a décidé de m'habiller comme ça et de m'appeler « Silhouette », c'est son problème.
Voix A :
Cela devient vraiment ennuyeux.
Un Homme :
Je suis de son avis. Et ce n'est pas encore terminé. Loin de là.
Musicalia termine son morceau. Il se lève, salue. Exit.
Un Homme :
Tiens, il est parti. (Retourne s'asseoir, cette fois-ci à côté de Silhouette. Un temps.) J'espère qu'ils ne vont pas tarder. (Silhouette hausse les épaules.)
Alexandrin :
Thor ne saurait tarder, il...
Un Homme :
Tais-toi, Alexandrin ! Je t'interdis de parler en vers !
Alexandrin :
Mais je ne puis pas faire autrement que cela. / Car j'y suis condamné, que je le veuille ou pas.
Un Homme :
Alors, tais-toi ! Complètement !
Entre l'Auteur. C'est impérativement le même acteur que Musicalia. Il rentre par la droite.
Silhouette :
(Se retourne et aperçoit l'Auteur.) Tiens, revoilà Musicalia.
Un Homme :
Ce n'est pas Musicalia ; c'est juste le même acteur.
Silhouette :
Alors qui est-ce ?
L'Auteur s'approche du Scribe, lui donne une petite tape dans le dos.
L'Auteur :
(Au Scribe, à voix basse.) Bien, continue comme ça. Tu te débrouilles correctement. (Il reste un long moment auprès du Scribe.)
Un Homme :
Je crois que c'est l'auteur de la pièce.
Silhouette :
De quelle pièce ?
Un Homme :
Mais celle dans laquelle nous sommes, pardi !
Silhouette :
Je n'imaginais pas qu'une telle pièce ait un auteur.
L'Auteur :
(À Silhouette. Criant, surtout pour le mot « Eût ».) Eût un auteur !
Silhouette :
(L'ignorant.) Elle me semble si mauvaise. Cet endroit ne ressemble pas du tout au Valhalla, d'ailleurs.
L'Auteur :
(Au public.) Parce qu'il y est déjà allé, peut-être ?
Silhouette :
Et puis, comment peut-il être le même acteur que Musicalia si c'est l'Auteur ?
Un Homme :
Le théâtre est très pauvre. L'Auteur n'est pas venu en personne, c'est un acteur qui le joue. Et comme ils ont peu d'acteurs, c'est le même qui joue Musicalia. C'est pourquoi il est parti.
Silhouette :
Je vois bien que le théâtre n'est pas riche. Regardez-moi ce décor ! Minable ! Enfin, pourquoi il est venu, l'Auteur ? Je ne savait pas que ce fût (Ce mot est prononcé avec beaucoup d'insistance.) prévu dans la pièce...
Un Homme :
Il va sûrement nous le dire.
L'Auteur :
(S'avance vers le public. Très cérémonieusement et très vite : le Scribe a visiblement des difficultés.) Messieurs et Mesdames, je me présente : je suis l'auteur de la pièce de théâtre dont vous observez en ce moment la représentation. Je suis venu vous présenter mes excuses pour le fait que l'action n'avance pas, la raison en étant que mon inspiration est en ce moment un peu limitée et que je suis contraint à avoir recours à des artifices théâtraux dont je ne doute pas que d'aucuns les jugeront mauvais, comme de faire rentrer l'Auteur lui-même sur scène et s'excuser, et vous assurer que l'action réelle va bientôt commencer. Si vous voulez, tout ce que vous avez vu jusqu'à dans quelques minutes n'était qu'une espèce de... divertissement sans grand intérêt si ce n'est de vérifier que le décor était bien en place, et pour corriger la faute d'orthographe à « Valhalla ». D'ailleurs, à l'exception du Scribe, là (Le désigne du doigt.), tout les personnages que vous voyez sur scène vont sortir pour laisser place à de nouveaux personnages qui vont jouer les rôles principaux. Je ne sais même pas si les personnages que vous voyez en ce moment, qui sont secondaires, ne l'oubliez pas, interviendront de nouveau dans la marche de l'action, n'oubliez pas que je n'ai pas encore fini la pièce. Enfin, voilà, tout ceci pour annoncer : L'ACTION !
Voix A :
Enfin !
Exit l'Auteur.
On entend sept coups rapides, puis trois lents.
Silhouette :
C'est bien ça, sept rapides et trois lents. Ce n'est pas huit rapides ?
Voix C :
Exeunt Silhouette, Un Homme et Alexandrin.
Un Homme :
Je ne sais pas. Je n'ai pas beaucoup d'expérience théâtrale.
Voix C :
Ohé, vous n'avez pas entendu ce que j'ai dit ? (Crie.) Exeunt tous sauf le Scribe.
Voix A :
Vraiment, quelle désobéissance.
Voix B :
Oui, je suis d'accord avec vous.
Voix C :
Alors, ça vient ?
Voix B :
Les spectateurs s'impatientent !
Un Homme :
Oui, oui, tout de suite.
Alexandrin :
Nous sortons tout de suite et à votre requête, / Mais à notre retour que la scène s'apprête.
Exeunt tous sauf le Scribe.
Voix C :
Interlude. Voix D, à vous !
Voix D :
Merci, Voix C. Vous voyez, il faut un interlude le temps que les acteurs changent de costume (car nous avons peu d'acteurs) et surtout que l'auteur invente la suite du texte, car il ne sait pas trop bien quelle sera l'intrigue. Comme cet auteur n'est pas très bon, ça peu lui prendre du temps. Regardez : il n'est pas capable d'écrire de vulgaires alexandrins et pour atténuer sa nullité, il s'en moque. Mais personne n'est dupe.
Voix A :
Personne, en effet !
Voix D :
Silence, Voix A ! Donc l'auteur ne sait même pas pourquoi il a situé l'action au Valhalla, mais il est évident que...
Voix C :
(Le coupe très brutalement, mais sans méchanceté.) Merci, Voix D. Cela suffit. Les voilà.
N'importe qui :
(Très fort.) Les voilà !
Une voix :
(Assez fort et très pompeusement.) Place pour son excellence le dieu Thor !
Entre Odin, et, derrière lui, dans l'ordre, une Walkyrie, Adam et le Guerrier. Odin est vêtu d'une grande toge vaguement romaine ; la Walkyrie et le Guerrier sont armés. Adam est nu à l'exception d'une large feuille de vigne au pubis.
Odin :
Je suis Odin, imbécile, pas Thor.
Tous s'installent : Odin s'approche du trône, regarde la pancarte, soupire et s'assoit. La Walkyrie et Adam s'assoient à gauche, la Walkyrie au fond, donc juste à la droite d'Odin (pour celui-ci). Le Guerrier s'installe à droite pour les spectateurs, en face d'Adam. Odin tente de redresser l'épée pour qu'elle tienne contre le trône, échoue et abandonne. Tous se regardent un très long moment.
Odin :
Eh bien quoi ? Personne n'a rien à dire ? Qui doit commencer ?
Adam :
C'est que nous n'avons pas nos textes. L'auteur devait envoyer quelqu'un...
Il s'interrompt. N'importe qui rentre sur scène, tentant ridiculement de ne pas se faire voir, et donne à chacun un morceau de papier.
Odin :
Ô toi, Ô grand Odin ! je viens te demander / À toi qui du savoir es le dépositaire / À toi qui es le père du grand dieu guerrier Thor / À toi qui sans erreur règnes sur Valhalla / Je viens te demander...
Voix B :
Vous avez vu, ce sont des alexandrins !
Voix A :
Mais ils ne riment pas.
Voix B :
Cependant ils sont un peu mieux qu'avant.
Voix A :
Vous trouvez ? Je les juge encore pire !
Odin :
Silence dans la salle ! (Les voix se taisent.) « Ô toi, Ô grand Odin » ? Il y a un problème. C'est moi Odin. N'importe qui a du se tromper de feuilles.
Pendant que les voix parlent, les acteurs échangent silencieusement leurs feuilles, pendant un long moment. Ils se retrouvent finalement avec les mêmes qu'au départ, ce qui, si possible, doit être rendu évident par un indice quelconque laissé à la discrétion du metteur en scène.
Voix A :
Cette fois, j'en ai vraiment assez ! Combien de temps ce petit jeu va-t-il durer ?
Voix B :
Du calme, c'est presque commencé.
Voix A :
C'est ridicule. Nous sommes ici depuis une éternité et ils en sont toujours au même point. D'ailleurs, le décor est absurde. À-t-on jamais vu le Valhalla comme ça ? Comme si je ne voyais pas qu'Adam fait les yeux doux à la Walkyrie.
Les acteurs ont cessé d'échanger leurs papiers et reprennent le jeu.
Guerrier :
Ô toi, Ô grand Odin ! je viens te demander / À toi qui du savoir es le dépositaire / À toi qui es le père du grand dieu guerrier Thor / À toi qui sans erreur règnes sur Valhalla / Je viens te demander...
Odin :
Je ne parlerai qu'en présence de mon hydromel.
N'importe qui entre, portant un plateau couvert de verres d'un liquide qui pourrait, à la rigueur, être de l'hydromel, en tend un verre à chacun, puis ressort. Le tout, très vite. Les acteurs boivent une gorgée chacun, reposent leurs verres sur le plateau.
Odin :
Bien. Reprenons.
Guerrier :
À toi qui sans erreur règnes sur Valhalla / Je viens te demander la signification / De ce que vis ce soir, du haut de nos remparts / À savoir que j'ai vu se diriger vers nous...
Odin :
Ce soir ? Du haut de nos remparts ? Mon œil. Tu étais chez la belle...
Adam :
Paix, grand Odin. L'heure est grave.
Odin :
Ah, ça, oui, pour être grave, elle l'est !
Guerrier :
(Poursuit comme s'il n'avait rien entendu.) À savoir que j'ai vu se diriger vers nous / La troupe des Géants armés jusques aux dents / Venue nous attaquer des confins de la terre ! / Crépuscule des dieux est venu, grand Odin / Les Ases tomberont, les Vanes tomberont / La trompe de Gjallar annoncera la fin / Des dieux, de l'Univers... (Vite, légèrement gêné.) et puis de tout le reste / La prophétie posée par la sage voyante / Se réalise enfin, et tout tire à sa fin / Fenrir t'engloutira, Midgard tuera ton fils / Il faut donc réunir guerriers et Walkyries / Guerriers du Valhalla, venez à ton secours !
Odin :
Qu'est-ce que c'est que tout ce charabia ?
Guerrier :
Ça veut dire, bon sang de merde, qu'on va tous crever !
Odin :
Ah ! Et alors ?
Guerrier :
(À Adam.) Moi j'abandonne. Essayez si vous voulez.
Adam :
Écoute, Odin. Si tu meurs, tu risques de ne plus pouvoir... (Légèrement embarrassé.) bénéficier des charmes de...
Odin :
(L'interrompt très brusquement.) Hein ? Les géants ? Aux armes ! Aux armes !
Exeunt omnes, sauf le Scribe. Adam enlève le plateau portant les verres d'hydromel.
L'intensité de l'éclairage baisse. Si possible, la lumière est concentrée sur le centre de la scène, de manière à plonger le Scribe dans une quasi-obscurité. De toute manière, le regard des spectateurs ne doit pas se poser sur lui mais sur les prochains personnages à rentrer en scène. Éventuellement, brouillard sur le théâtre. Atmosphère mystérieuse. Silence. Autant ce qui précède doit donner un effet comique, autant cette scène ne doit pas prêter à rire.
Entre la Vie, vêtue de blanc ou de gris clair. Elle porte un long bâton de bois clair sous le bras, un grand échiquier dans les mains. Elle s'avance jusqu'à la table centrale, pousse ou retire le vase, pose l'échiquier. Celui-ci est en une matière noble, marbre ou, encore mieux, albâtre ; les pièces noires sont noir ébène, et les blanches d'un blanc très pur. La vie s'assoit du côté des pièces blanches, à droite pour les spectateurs.
Entre la Mort, vêtue de noir, portant une longue faux. Elle s'assoit sans mot dire en face de la Vie, du côté des pièces noires.
Entre Dieu, habillé en bleu, portant une longue barbe blanche. Il s'assoit sur le trône, face à l'échiquier, et ne bouge pas.
Les coups de la partie d'échecs sont annoncés clairement et de manière bien audible. La Mort parle d'un ton calme et froid, en particulier pour la fin. La voix de la Vie tremble un peu au début, puis va vers le découragement. Tout cela ne doit surtout pas être exagéré. Les coups sont joués au même moment qu'ils sont annoncés, à intervalles réguliers et sans laisser de temps à la réflexion. La Mort place ses pièces mécaniquement, la Vie les déplace à la surface (quand cela est possible). Le nom des pièces est différent des échecs classiques, et l'échiquier les représente si possible. Les pièces prises sont placées en ordre sur le côté de l'échiquier.
La Vie :
E2–E4.
La Mort :
E7–E5.
La Vie :
F2–F4.
La Mort :
E5 prend F4.
La Vie :
Ange F1 en C4.
La Mort :
Reine D8 en H4.
Dieu :
Échec.
La Vie :
Roi E1 en F1.
La Mort :
B7–B5.
La Vie :
Ange en C4 prend B5.
La Mort :
Chevalier G8 en F6.
La Vie :
Chevalier B1 en C3.
La Mort :
Chevalier F6 en G4.
La Vie :
Chevalier G1 en H3.
La Mort :
Chevalier B8 en C6.
La Vie :
Chevalier C3 en D5.
La Mort :
Chevalier C6 en D4.
La Vie :
Chevalier en D5 prend C7.
Dieu :
Échec.
La Mort :
Roi E8 en D8.
La Vie :
Chevalier en C7 prend sorcier en A8.
La Mort :
F4–F3.
La Vie :
D2–D3.
La Mort :
F7–F6.
La Vie :
Ange B5 en C4.
La Mort :
D7–D5.
La Vie :
Ange en C4 prend D5.
La Mort :
Démon F8 en D6.
La Vie :
Reine D1 en E1.
La Mort :
F3 prend G2.
Dieu :
Échec.
La Vie :
Roi en F1 prend G2.
La Mort :
Reine en H4 prend chevalier en H3.
Dieu :
Échec.
La Vie :
Roi en G2 prend reine en H3.
La Mort :
Chevalier G4 en E3.
Dieu :
Échec.
La Vie :
Roi H3 en H4.
La Mort :
Chevalier D4 en F3.
Dieu :
Échec.
La Vie :
Roi H4 en H5.
La Mort :
Démon C8 en G4.
Dieu :
(Lentement et gravement.) Échec et mat.
À cet instant exact les lumières sont toutes coupées. Noir complet.
Voix E :
(Avec rythme.) 'Tis all a Chequer-board of Nights and Days / Where Destiny with Men for Pieces plays : / Hither and thither moves, and mates and slays, / And one by one back in the Closet lays.

RIDEAU


ACTE II

Même décor ; l'échiquier est toujours sur la table, mais les pièces prises ont été retirées. Le plateau avec l'hydromel est revenu, avec les mêmes verres. Un Homme et Silhouette sont avachis sur les divans, face à face, le regard vague, Silhouette du côté où était la Mort, un Homme du côté de la Vie (soit le contraire de leur position au premier acte). Entre Musicalia, s'assoit devant le synthétiseur et commence à jouer Land of Hope and Glory, première marche de Pompe et de Circonstance d'Elgar.
Un Homme :
(Après un moment. Très doucement au début, puis de plus en plus fort, donc voix d'une intensité normale à la fin. Ton posé, contrastant avec les paroles.) Terre de Gloire et d'Espoir ! Il ne va pas en rester longtemps, de la gloire ni de l'espoir quand les corbeaux et les chacals se déchireront nos corps encore fumants. (Un temps. Sans brutalité.) Joue autre chose.
Musicalia coupe proprement le morceau et entame la « Marche Funèbre sur la Mort d'un Héros » de Beethoven ; il partira quand il aura fini, sans dire mot.
La Walkyrie traverse la scène en courant et se cogne en passant dans une caisse.
Silhouette :
C'est reposant de les regarder s'agiter sans cesse. Alors que nous allons tous mourir. Sans exception.
Un Homme :
Ne t'inquiète pas, Silhouette ; si nous mourons...
Silhouette :
N'en doute pas !
Un Homme :
Même les destins peuvent se tromper ! Si nous mourons, nous aurons tout le temps de nous reposer. (Avec insistance.) Tout le temps.
Silhouette :
(Regardant l'échiquier.) Je vois qu'on a joué aux échecs ici.
Un Homme :
(Ironique.) Surprenante déduction ! (Silhouette tente de retirer le roi noir, mais il n'y parvient pas : il semble collé à sa case.) Tu sais qu'il t'arrive de m'étonner.
Silhouette :
Avec raison. Je me demande qui a joué.
Un Homme :
Mais voyons, c'est évident !
Silhouette :
Qui ?
Un Homme :
Les blancs contre les noirs.
Silhouette :
(Un temps, semble réfléchir. Air un peu triste.) Les blancs ont perdu. Je me demande qui étaient les joueurs.
Un Homme :
Il n'y en avait pas. Ce n'était pas un jeu.
Un temps.
Silhouette :
Que de questions sans réponses. Voilà le problème. Tout le mal du monde vient des questions sans réponse.
Un Homme :
Pas du tout. Il y a toujours réponse à tout. Ça n'existe pas, une question sans réponse, malheureusement. Ce serait trop beau. Le mal du monde, ce sont les réponses sans question. (Aux spectateurs.) Vous vous promenez dans la rue et paf ! une réponse vous tombe dessus par surprise. Et voilà, pas moyen de s'en débarrasser, il faut trouver la question qui va avec, ce qui n'est pas facile, même quand il y en a une. (À Silhouette.) Quelle est la question à « 42 » ?
Silhouette :
(Du tac au tac.) Quelle est la racine carrée de 1764 ?
Un Homme :
Bien joué.
Silhouette :
(À mi-voix.) La Vie, l'Univers et Tout. (Haut.) Alors, nous allons mourir.
Un temps. Musicalia rentre en scène, portant une partition. Il s'assoit au synthétiseur et joue des extraits divers de l'Anneau des Nibelungen, à commencer par une transcription de la mort de Siegfried.
Silhouette :
(Répète d'un ton neutre.) Alors, nous allons mourir.
Un Homme :
C'est triste, n'est-ce pas ?
Silhouette :
Absolument pas.
Un Homme :
C'est vrai... Dommage. J'aurais aimé un superbe spectacle de bravoure guerrière, d'héroïsme, de héros envoyant à leur femme un dernier baiser avant de succomber sous les coups... (De plus en plus emporté.) De dieux qui tombent devant leurs propres fils, de revanche. De désespoir ! Un spectacle grandiose ! (Il se lève, fait de grands gestes, manque de faire tomber le vase s'il est resté sur la table.) Le dernier cri de l'agonie d'un monde qui meurt dans le chaos de l'armée des géants ! Le...
Silhouette :
(Le coupe ; ton neutre, pas très fort.) Ne sois pas ridicule ; nous sommes au Valhalla. Les héros n'emmènent pas leurs femmes avec eux. D'ailleurs, les géants veulent simplement voler l'hydromel d'Odin qui le prépare si bien. C'est à cause d'Odin que tout va dégénérer.
Un Homme :
On ne peut pas éviter ça ? (Silhouette hausse les épaules, lève les yeux au ciel.) On se précipiterait entre Odin et Fenrir ! Nous serions les sauveurs de l'Univers. (Exalté.) Les Sauveurs ! Les plus grand héros de tous les temps ! Nous serions... (Soudainement très calme ; se rassoit.) Non, évidemment. Il n'y a rien à faire. (À Silhouette.) Il n'y a vraiment rien à faire ?
Silhouette :
(Lui montre l'échiquier.) Tu as vu ? Essaie !
Un Homme :
(Essaie de déplacer une pièce. Rien à faire.) Impossible, tu as raison. (Soupir.) Alors attendons.
Apparaît Loki.
Loki :
Messieurs.
Silhouette :
Je suis Silhouette, et voici un Homme. À qui avons-nous l'honneur ?
Loki :
Ce n'est pas vraiment un honneur... Mais je suis Loki.
Une voix :
Pour les ignares, Loki, fils de Farbauti et de Laufey est un dieu rattaché à la famille des Ases, qui a juré fraternité avec Odin, mais qui s'est également fréquemment allié avec les Géants ; il a engendré le serpent Midgard, le loup Fenrir, la gardienne des morts, Hel, et Sleipnir, le coursier d'Odin. Il ne connaît aucune morale, n'a aucune conscience et trahit sans scrupules, tant les dieux que les géants. Il fut maintenu prisonnier par les dieux depuis un banquet mémorable chez Aegir maître des mers, ou il les injuria tous tour à tour, et ce, jusqu'à... (Hésitation.) aujourd'hui, jusqu'au jour de sa grande revanche, où il tuera son éternel ennemi, Heimdall, quitte à succomber ensuite de ses blessures.
Loki :
J'espère, messieurs, que vous ne croyez pas un mot de tous ces racontars !
Un Homme :
Pas un mot ! N'est-ce pas, Silhouette ?
Silhouette :
(Souriant.) Bien sûr. (Ironique.) Bien sûr.
Loki :
Très bien. On raconte tant de choses sur moi, c'est effrayant ! Si vous saviez comme les dieux sont menteurs. (Il va s'asseoir sur le trône.)
Silhouette :
Oh ! Nous savons ! Nous ne le savons que trop bien.
Loki :
Alors, nous sommes faits pour nous entendre.
Silhouette :
Mais pas pour longtemps !
Un temps.
Loki :
Allons, où irons-nous, une fois morts ?
Silhouette :
Où irons nous ? Qu'est-ce que c'est que cette question ? Où irons nous ? Mais nulle part, voyons ! Ou bien quelques pieds sous la terre. Pourquoi ne demandez-vous pas si nous aurons légèrement mal à la tête d'être morts ?
Loki :
Ça sera sûrement le cas, d'ailleurs ! (Silhouette hausse les épaules.) J'avais pris de l'aspirine, mais Thor me l'a volée. Il en donne aux ennemis après les avoir frappé de son marteau, comme pour s'excuser.
Un Homme :
Nous nous demandions à l'instant si nous pouvions faire quelque chose pour éviter le carnage.
Loki :
Bien sûr. Ce serait même très facile. (Il se dirige vers l'échiquier, soulève sans aucune difficulté le roi noir, le soupèse, et le remet en place. Un Homme regarde, fasciné, Silhouette, désintéressé.) Très facile. Mais je dois ça à Heimdall. Il y a... comment dire ? un froid entre nous. Nous nous réconcilierons une fois morts.
Un Homme :
Pourrions-nous envisager de vous convaincre ?
Loki :
Libre à vous de tenter l'impossible ; si vous voulez y passer les dernières heures de votre vie, je ne vous en empêcherai pas.
Silhouette va sur le devant de la scène et s'adresse aux spectateurs, pendant qu'un Homme et Loki quittent la scène en parlant à voix basse.
Silhouette :
Et voilà. Le mécanisme inéluctable de la fin est pleinement en marche à présent. (Il se dirige vers la bibliothèque et en retire le texte de la pièce.) Ceci est le texte de la pièce. Je l'ouvre à la dernière page, et je lis :
« RIDEAU, sur la scène jonchée de cadavres ». Voilà. C'est inéluctable. Vous allez voir les dieux se débattre, crier, gesticuler, pleurer. Mais il n'y a rien à faire. Le sort est fixé, le destin est arrêté. La seule vraie question est : « Est-ce triste ? » Je laisse ce point à votre jugement. Mais à tout moment, rappelez-vous que vous aussi, un jour, vous servirez d'engrais. Nous nous retrouverons de l'autre côté de l'Achéron. Tôt ou tard. Déjà, les jeux sont faits, Acta est Fabula.
Exit Silhouette, sans un mot de plus.
Pendant un long moment, la scène reste vide.
Entrent Odin, la Walkyrie, le Stratège, le Guerrier, Adam. Ils s'assoient comme ils étaient placés au premier acte, le Stratège à droite du Guerrier, donc à gauche d'Odin (pour ce dernier), et en face de la Walkyrie. Il semble gêné car le Guerrier prend beaucoup de place.
Odin :
Alors, Stratège, quels sont vos plans ?
Stratège :
(Montre à Odin une carte dont les spectateurs voient le dos, et peut-être une certaine quantité de signes mystérieux, par transparence.) Nous pourrions attaquer par le point X23, afin d'obtenir un certain avantage sur la légion 5 de nos ennemis. Ceci permettrait d'acculer la troisième manipule au point Z, grâce à la cohorte des Walkyries. Ce plan est nettement avantageux par rapport au précédent.
Guerrier :
Avec celui-ci, nous gagnons ?
Adam ricane.
Stratège :
Non, bien entendu. Il n'en est pas question. Nous nous faisons tous tuer. (Avec emphase.) Mais nous tuons quinze géants de plus.
Odin :
Excellent. C'est juste ce qu'il me faut. (À la Walkyrie.) Mon tableau de chasse est-il prêt ?
La Walkyrie :
(Très sèchement.) Oui.
Odin :
Parfait.
Stratège :
Mais, Odin, tu ne vas tuer personne ! Tu vas être englouti par Fenrir.
Odin :
Alors, ça ne va pas du tout. Il faut changer le plan !
Stratège :
Demandez aux géants ; ils consentiront peut-être à déplacer Fenrir, ou à vous laisser le temps de tuer quelques géants mineurs.
Odin :
À part ça, vous avez trouvé où placer Loki et Heimdall ?
Stratège :
Oui, cette fois-ci, ça colle : ils seront au point Y2. À moins qu'ils ne préfèrent le point K.
Adam :
Et qui mettez-vous au point Y1 ?
Stratège :
Il n'y a pas de point Y1.
Adam :
Bien sûr ! J'aurais dû m'en douter. Y a-t-il un quelconque problème avec cette nouvelle stratégie ?
Stratège :
Presque rien. Il y a seulement que les combats de Thor contre Midgard et de Vidar contre Fenrir se déroulent au même endroit : si on les place tous les quatre en quinconce, cela devrait pouvoir coller. Hélas, pour Freyr contre Surt, je n'ai pas trouvé d'arbitre.
Odin :
Et pour le vainqueur du tournoi, vous avez trouvé quelque chose ?
Stratège :
Une coupe pleine d'hydromel.
Adam :
(À mi-voix.) C'est pour ce trophée que les géants nous attaquent ! Ironique, n'est-ce pas ? Mais quoi... (Haut, au Stratège.) Autre chose ?
Stratège :
Les préliminaires ont déjà commencé. Nous avons gagné douze points.
Odin :
Parfait. Quelqu'un a-t-il quelque chose à rajouter ? (Silence.) La séance est levée. (Ils commencent à se lever, mais Odin les rappelle.) À propos : si vous voulez écrire un testament, j'ai reçu du parchemin spécialement jauni pour faire plus vrai. Le Scribe, là-bas (Geste.) peut vous servir de scribe si vous ne savez pas écrire. Évidemment, il n'y a personne à qui léguer quoi que ce soit, mais on se débrouillera sans. Ite, missa est.
Exeunt tous sauf le scribe.
Silence sur la scène vide pendant un assez long moment.
Voix E :
Alike for those who for TO-DAY prepare, / And those that after a TO-MORROW stare, / À Muezzín from the Tower of Darkness cries / « Fools ! your Reward is neither Here nor There. »
Éclairage comme pour la fin du premier acte.
Voix C :
Entrent sur scène l'Homme (sous les traits d'Adam) et l'Univers (sous les traits de Dieu).
Entrent sur scène l'Homme (sous les traits d'Adam) et l'Univers (sous les traits de Dieu).
L'Homme :
L'Homme est seul face à l'Univers et se pose sans cesse cette question : « Pourquoi suis-je ici ? » Il s'adresse à l'Univers, mais l'Univers ne lui répond pas. Seul l'écho de sa voix lui revient, et l'homme se sent seul.
L'Univers :
L'Homme regarde autour de lui et y cherche les réponses. Il scrute les infinis en espérant y trouver la lumière. Mais jamais une seule seconde il ne songe à regarder là où les réponses sont.
L'Homme :
Dis-moi, ô toi, mystérieux Univers, où sont ces réponses ?
L'Univers :
Les réponses sont dans le créateur de leur question. Les réponses sont dans l'Homme lui-même. S'il se penchait une seule seconde sur son propre cœur plutôt que de chercher au loin, au loin, là-bas, il saurait. Plonge-toi en toi-même, Homme, et trouves-y la raison de ton être.
L'Homme :
Je ne comprends pas.
L'Univers :
C'est que tu ne veux pas comprendre. Tu inventes des questions là où il n'y en a pas. Il est logique que les réponses soient au même endroit. Écoute la musique de ton cœur plutôt que de chercher la lumière dans les profondeurs de la nuit cosmique ! Mais ce ne sont pas les réponses que tu cherches, ce sont les questions. Les questions sont ta Raison d'être, Homme, et tu refuses de voir les réponses en toi, tu tentes de les étouffer et tu les cherches là où elles ne peuvent pas être. Cependant, le jour arrive où les réponses s'imposeront, et après le règne des Questions viendra celui de la Connaissance.
Noir.

RIDEAU


ÉPILUDE

La scène est couverte de cadavres, et ce sont les seuls éléments présents. Tous autre décor a été retiré. Même le Scribe est parti.
Entre Silhouette.
Silhouette :
Vous avez raté le plus beau ! Vous arrivez trop tard ! La trompe de Gjallar a sonné. Le coq à crête d'or a chanté, le coq rouge de Hel a chanté, le loup Garm a déchiré ses liens et s'est enfui. Le tronc d'Yggdrasil, le plus vieux de tous les arbres, a tremblé. Un fils de Fenrir a dévoré le Soleil. La terre tremble, les montagnes se déchirent. Trois vaisseaux sont arrivés : du nord, le navire de Loki qui vient avec Fenrir, dont la bouche touche le ciel et la terre, dont les yeux et les narines crachent du feu. De l'ouest, le vaisseau des fantômes, dirigé par Hrym et porté par le Serpent du Midgard. Du sud, le bateau de Surt et des géants du feu. Odin est rentré dans la geule de Fenrir, Vidar l'a vengé. Freyr a été tué par Surt. Thor et le Monstre du Midgard se sont entre-tués, comme Loki et Heimdall. Il ne reste plus que ce spectacle de désolation. Tous les grands dieux sont morts. Plus rien. Je suis le seul encore vivant, et plus pour longtemps. On m'a seulement laissé quelques instants de plus, pour que je pusse vous raconter. Regardez, là, Odin. Ici, Thor, Freyr, Heimdall. Là, Freyja et Njörd, Hoeni, Bragi, Mimir, Vidar, Vali, Baldr, Ull, Gefjon et Nerthus. Mais les Géants sont morts aussi. Loki, là, ainsi que le monstre du Midgard, Fenrir, Aegir, Garm, Hrym et Surt. Et même Hel elle-même est tombée ! Même l'Auteur. Et Musicalia, et Un Homme. Et N'importe qui. Et Adam, et la Walkyrie et le Guerrier. Et le Stratège. Et le Scribe, et Alexandrin. Et Voix A, B, C, D et E. Cette fois, la pièce est bel et bien jouée. Il n'y a plus rien à faire, à voir. N'applaudissez pas : quand votre tour viendra, vous penserez peut-être autrement. Sur ce, je n'ai plus qu'à mourir. Alors, ADIEU !
Se couche par terre et cesse de bouger.

RIDEAU, sur la plaine jonchée de cadavres