Comments on Quelques points de droit français

Poux (2024-08-27T22:38:31Z)

> Il n'y a généralement pas de juge compétent pour contrôler les tentatives de modifier les clauses supposément éternelles.

En France et jusqu'à présent. Les juges suprêmes italiens, allemands ou indiens se sont déclarés compétents par exemple.

> Le texte doit encore être adopté […] à défaut par une majorité qualifiée.

Fun fact : la Constitution dit "approuver" alors que le Règlement du Congrès impose au président la formule « Le Congrès a adopté ». Les juristes s'occupent comme ils peuvent.

> Il est difficile d'empêcher un autre président d'avoir recours à la même forfaiture.

Voir Hauchemaille (et ses obscurités).

> Ce serait complètement aberrant de prévoir deux procédures, dont l'une exige l'accord des deux assemblées et l'approbation par referendum et l'autre exige uniquement l'approbation par referendum.

Sauf que les choses ne sont pas égales par ailleurs ! L'article 11 pose un domaine de la révision ("organisation des pouvoirs publics", "politique économique"…) qui n'existe pas avec l'article 89 (et même une période de révision, puisque l'article 11 précise "pendant la durée des sessions"). Une des grandes idées des juristes qui ont soutenu de Gaulle est qu'il existe un voie générale de révision (article 89 ; fortes contraintes formelles, pas de contrainte matérielle) et une voie spéciale (article 11 : "tout projet de loi" ; plus faibles contraintes formelles mais contraintes matérielles). Le projet de loi de 1962 n'était d'ailleurs pas intitulé "projet de loi constitutionnelle" et prévoyait certaines mesures qui auraient pu être adoptées dans un projet de loi ordinaire. L'ironie de l'histoire est que le Conseil adopte exactement cette logique du général/spécial… en matière de domaine de la loi : domaine de la loi général (article 34) et domaine de la loi spécial (dès qu'il est fait mention d'une loi). Ça n'a pas l'air de gêner beaucoup les juristes opposés à la théorie gaullienne.

> Modifier la Constitution rentre très certainement dans la catégorie d'être contraire à la Constitution pour laquelle ce type de procédé n'est pas permis.

Erreur de lecture. L'antécédent de "qui, sans être contraire à la Constitution, aurait des incidences sur le fonctionnement des institutions" est évidemment "le traité", pas "tout projet de loi"…

> Une autre chose appréciable en droit français est que le Conseil constitutionnel censure systématiquement les cavaliers législatifs.

Appréciable, c'est toi qui le dis. La construction de la volonté générale chez Rousseau s'accommode très bien, pour ne pas dire appelle, les cavaliers législatifs. Je te donne ça, tu me donnes ça. Les Américains le font très bien.

> Une ordonnance est un texte de nature législative (donc, juridiquement c'est essentiellement une loi).

Uniquement si elle est ratifiée. Avant ratification (et à supposer le dépôt d'un projet de loi de ratification), c'est assez compliqué (déjà parce que "nature législative" n'est pas un terme juridiquement défini). Voir la décision Force 5.

> À quoi sert [la] distinction [arrêté-décret] ?

À rappeler que les ministres ne sont titulaires d'un pouvoir règlementaire que par habilitation spéciale (donc pas dans le silence de la loi) ou en tant que chef de service (où s'appliquent alors les contraintes de la jurisprudence Jamart) ?

> Le Conseil constitutionnel devrait être choisi de façon plus isolée du pouvoir politique, et ses membres devraient avoir l'obligation d'être des anciens juges judiciaires ou administratifs.

On devrait faire de même avec le Président de la République et le Parlement – le plus éloigné possible du peuple et obligatoirement énarques ou normaliens.

Cigaes (2024-08-14T11:47:49Z)

@Paul : je n'ai pas envie de redire ici tout ce que notre hôte pense de mal des grammairiens qui veulent leur discipline prescriptive.

Paul (2024-08-13T06:27:37Z)

@Cigaes: Je ne suis pas sûr de comprendre ce dernier commentaire. Quelle logique de la langue orale est violée par quoi ?

Je ne vois notamment pas en quoi ce serait "hypocrite" d'analyser comme préposition un adjectif ou un participe qui s'est figé dans un usage particulier et est devenu invariable. Un exemple plus consensuel (et où on entend l'accord) : "l'orage a détruit toutes mes plantes, sauf mes tulipes" veut dire que mes tulipes sont saines et sauves - peut-être même qu'on disait "sauves mes tulipes" à une époque.

Selon la plupart des grammaires normatives, les participes qui peuvent être utilisés avant le nom, comme "vu" ou "passé" (comme dans "passé quelques mois, ça ne se verra plus"), ne s'accordent pas, tandis que s'ils sont placés après le nom, on doit les accorder.

C'est bien légitime de se demander si c'est une règle spontanément suivie par les locuteurs, mais on se heurte à deux problèmes :

1. Il s'agit souvent de tournures formelles ou administratives, que l'on écrit bien plus souvent qu'on ne les dit ("Veuillez trouver ci-joint la facture", "Vu la loi XY" ou encore "excepté", qui me paraît bien plus soutenu que "sauf" ou "à part" et que personnellement, je n'utilise pas souvent à l'oral). Dans un écrit électronique (et je range dans cette catégorie le courrier imprimé que l'on reçoit par la poste de la part de l'administration ou d'une entreprise commerciale), on peut d'ailleurs imaginer que la personne a simplement collé une formule toute faite, sans s'interroger sur l'accord.

2. L'éventuel accord ne s'entendrait de toute façon que rarement : beaucoup de participes finissent par une voyelle, donc un e ne changerait pas la prononciation ; quant à une liaison avec l'éventuel s du pluriel, ce ne serait pas une liaison obligatoire et les liaisons facultatives tendent à disparaître dans la langue courante (du moins en France), donc ne sont pas un très bon indice…

En fait, dans les listes que je trouve, il n'y a guère que "y compris" que je peux envisager d'utiliser à l'oral et dont l'accord serait audible. Pour ma part, "J'ai rencontré toute la famille, y comprises les cousines éloignées" ne me plaît pas à l'oreille ; mais ce serait intéressant de voir si certains l'accorderaient spontanément.

Cigaes (2024-08-12T12:10:39Z)

@jeanas : On peut tout à fait défendre que ces grammairiens sont des hypocrites qui préfèrent inventer de toutes pièces des prépositions plutôt que d'admettre que la langue écrite à convergé vers une forme qui viole la logique de la langue orale.

jonas (2024-08-03T07:29:40Z)

> que quelqu'un se dévouât pour écrire un livre qui s'appellerait quelque chose comme <i>Le droit français expliqué aux scientifiques</i>

No! That book should not exist. The human mind cannot comprehend both mathematics and law. If promising young mathematician students read that book, their minds could be corrupted in a way that forever removes the possibility of them becoming a mathematician.

Luckily there are also very few people who could write such a book.

Miltøn (2024-07-28T14:46:19Z)

Dernière réaction qui me vient à la lecture de ce billet — puis, promis, je cesserai de monopoliser l’espace des commentaires — : l’amusante histoire des règlements d’administration publique (RAP). C’est de ces RAP que vient l’usage de la lettre R pour désigner les décrets en Conseil d’État dans les codes.

En substance, les RAP étaient une sorte de super-décret créé sous la IIIe République. Le législateur pouvait prévoir le recours à un RAP pour préciser les termes de la loi, exactement comme il le fait aujourd’hui pour un décret en Conseil d’État (DCÉ). L’adoption des RAP obéissait à une procédure particulièrement rigide, puisqu’ils devaient être délibérés par l’assemblée générale du Conseil d’État (et non simplement par l’une de ses sections). Enfin, jusqu’en 1906, le Conseil d’État considérait que, s’agissant d’une délégation du pouvoir législatif, il ne pouvait contrôler le RAP a posteriori.

La distinction entre le RAP et le DCÉ s’est progressivement estompée, au point de devenir inexistante dans les années 1960. Cependant, le législateur pouvait encore décider qu’un texte serait précisé soit par DCÉ, soit par RAP [1], et le Conseil d’État jugeait qu’un DCÉ ne pouvait pas modifier un RAP ni faire l’affaire lorsque la loi exigeait un RAP *alors même qu’il n’y avait plus de différence entre les deux catégories*. Autrement dit, il s’agissait d’une distinction purement formelle et sans plus aucun effet pratique, sinon d’entraîner des annulations de textes sans motif de fond.

[1] Précisons qu’il est *toujours* possible, sous la Ve République, de préciser la loi par décret simple. Ce n’est que si la loi elle-même exige d’être précisée par un DCÉ que la consultation du Conseil d’État s’impose.

Le législateur (resp. le législateur organique, resp. le pouvoir réglementaire) s’est heureusement saisi de la situation et a adopté une loi n° 80-514 du 7 juillet 1980 (resp. une loi organique n° 80-563 du 21 juillet 1980, resp. un décret n° 820-621 du 31 juillet 1980) substituant à chaque mention dans la loi (resp. la loi organique, resp. les textes réglementaires) d’un RAP celle d’un DCÉ.

Ce que je trouve particulièrement amusant est que le Sénat relève que la loi adoptée n’a pas pour effet de supprimer la catégorie juridique des RAP : <URL : https://www.senat.fr/rap/1979-1980/i1979_1980_0332.pdf >. Elle se contente de supprimer toutes les exigences de RAP dans les textes existants. Ce qui implique que la catégorie des RAP est seulement tombée en désuétude, et pourrait à nouveau reparaître demain dans n’importe quel texte de loi.

Apokrif (2024-07-28T13:48:03Z)

@Miltøn sur la définition de la loi: pas retrouvé, mais il me semble avoir vu sur https://blogdroitadministratif.net/ une discussion sur la différence entre arrêté et décret.

Et contrairement à ce qui est écrit à https://x.com/bismatoj/status/723148608787210240 il arrice qu'une cour ne rende pas d'arrêt, ni selon les textes ni dans la langue courante (sujet abordé entre autres à https://web.archive.org/web/20060217075312/http://droitadministratif.blogspirit.com/archive/2005/12/12/faut-il-dire-l-arret-ou-la-decision-blanco.html ; pas retrouvé l'autre billet du même blog sur ce sujet; jugement contre arrêt: cf juge/conseiller, prévenu/accusé, tribunal/cour).

Abus de langage:"magistrat" pour "magistrat judiciaire", "magistrat administratif" pour "magistrat de TACAA" (les magistrats financiers sont administratifs et les présidents de CAA ne sont pas magistrats).

Miltøn (2024-07-28T12:53:46Z)

Sinon, quelques commentaires sur des points épars, en un seul billet pour éviter d’encombrer. =)

>> ‘R’ pour un décret en Conseil d'État, ‘D’ pour un décret simple, et quelque chose comme ‘R*’ et ‘D*’ s'ils sont aussi en conseil des ministres (à moins que ce soit une étoile pour un décret pris par le président de la République et deux étoiles pour un décret en conseil des ministres ?)

Les double-étoiles ont eu des sens très variables selon les textes (parfois pour désigner les décrets en Conseil d’État lorsque c’est l’assemblée générale du Conseil d’État qui s’est prononcée, parfois pour désigner des décrets en Conseil d’État *et* en conseil des ministres, etc.). Aujourd’hui, on en a supprimé pas mal (voir par exemple : <URL : https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/LEGIARTI000038955630/2019-08-24/ >).

>> et je crois qu'on trouve aussi ‘A’ pour un arrêté (mais je ne trouve pas d'exemple de code ayant de tels articles, donc peut-être que j'ai rêvé)

Je confirme qu’il existe des codes avec des parties d’arrêtés, par exemple le code de commerce <URL : https://www.legifrance.gouv.fr/codes/section_lc/LEGITEXT000005634379/LEGISCTA000020156274/ >.

>> Les articles de même nature sont regroupés ensemble (la convention n'est pas la même selon le code), et on tente de leur donner des numéros « parallèles », mais bon, ça n'a pas l'air vraiment systématique non plus.

Je confirme que lorsque les codes suivent la numérotation « moderne » de la commission supérieure de codification (c’est-à-dire avec un numéro comportant au moins un tiret et dont les nombres situés avant ce tiret représentent la position dans le plan), le parallélisme est respecté jusqu’au niveau du chapitre. Donc par exemple, s’il existe un chapitre V du titre II du livre III de la partie législative, alors il *doit* exister un chapitre V du titre II du livre III de la partie réglementaire, éventuellement vide. En revanche, si le chapitre de la partie réglementaire est divisé en sections, sous-sections et paragraphes, cela n’impose pas que le chapitre de la partie législative le soit, ni qu’elle suive le même découpage. Il y a quelques exceptions à ce principe, mais elles sont locales et assez faciles à comprendre : il peut y avoir une partie préliminaire dans la partie législative mais non dans la réglementaire (exemple du code de la commande publique), ou encore il y a la particularité du code des relations entre le public et l’administration (CRPA) dont le plan est une sorte d’OVNI légistique.

>> (Ces mots ne font d'ailleurs pas partie de la loi elle-même, je pense, mais plutôt de la promulgation de la loi. Et comme je l'ai dit plus haut, je ne sais pas si le terme de "visa" est approprié ici.)
Je confirme, ces mots ne font pas partie de la loi. Il s’agit de la formule de promulgation de la loi par le président de la République. En réalité, pour « promulguer » la loi, le président de la République signe un acte (qui se trouve être un décret, oui, oui…) disant « L’Assemblée nationale et le Sénat ont adopté, le Président de la République promulgue la loi dont la teneur suit : [suit le texte de la loi] ». Ce n’est donc pas à proprement parler la loi qui est publiée au JORF, mais son décret de promulgation. À ce sujet, voir l’amusant décret suivant : <URL : https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/JORFTEXT000000493002 >.

>> [#23] Enfin, j'espère ! Je reconstitue quelque chose que je devine, ici : pour qu'une règle de police de la circulation fasse effet, il faut qu'il y ait à la fois un arrêté valablement pris par le titulaire de l'autorité de police administrative sur l'axe routier concerner, et un panneau routier qui informe les usagers de la règle en question. Mais je n'ai aucune référence précise pour ce principe, donc si quelqu'un peut m'en fournir une, ce sera mieux.

C’est l’article R. 411-25 du code de la route : <URL : https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000006842087 >

>> Autrement dit, je plaide pour une sorte de référé législatif mais a posteriori, où on utiliserait chaque décision importante d'une juridiction suprême comme une injonction faite au législateur à éclaircir le droit pour qu'on puisse se passer de la jurisprudence la prochaine fois que ce type de situation se reproduit : que la règle soit claire en lisant le texte la prochaine fois[#27].

Y aurait-il une véritable différence avec la situation actuelle, où le législateur peut toujours se saisir après une décision de justice qui lui pose problème pour modifier la loi (cela arrive, voir par exemple la loi dite « anti-Perruche ») et est réputé ne pas voir de problème s’il décide de ne pas la modifier ? Car il faudrait de toute façon nécessairement que le législateur puisse décider de ne rien faire : le nombre de décisions « importantes » dont on voudrait qu’elles puissent faire l’objet de tels référés se dénombre au moins en dizaines, et ces décisions sont parmi les plus complexes, donc on doute que le Parlement pourrait souhaiter mener un processus législatif complet sur chaque décision un peu importante alors qu’il peine déjà à adopter 100 lois par an.

>> le Conseil constitutionnel devrait être choisi de façon plus isolée du pouvoir politique, et ses membres devraient avoir l'obligation d'être des anciens juges judiciaires ou administratifs

Vraie question : pourquoi exclure les universitaires, qui sont tolérés dans un grand nombre de juridictions étrangères et internationales ?

>> Il n'est pas non plus totalement clair (en tout cas pour moi, avec les renseignements que j'ai pu trouver par-ci par-là) ce qui se passe en cas de conflit entre une loi organique et une loi ordinaire (la loi organique doit sans doute l'emporter, mais est-ce au juge ordinaire de le constater ou est-ce réservé au juge constitutionnel ?)
De façon certaine, le juge constitutionnel peut le constater. Il le fait par exemple chaque année lorsqu’il censure des dispositions de la loi de finances qui sortent de son domaine (les « cavaliers budgétaires »), puisque le domaine de la loi de finances est défini par une loi organique (la LOLF).

J’ignore si un autre juge en a ou non le pouvoir ; la question est honnêtement assez difficile. Disons que j’imagine assez facilement qu’en interprétant la loi, le juge retiendra toujours une interprétation compatible avec la loi organique (par exemple, si une loi sur le statut des agents publics omettait de traiter le cas des fonctionnaires et se retrouvait en contradiction avec l’ordonnance organique portant statut de la magistrature). En cas de contradiction frontale, si était en jeu un droit ou une liberté que la loi organique garantit, il pourrait raisonnablement transmettre une QPC. Mais si l’on n’était pas dans le domaine des droits et libertés que la constitution garantit (je pense par exemple au statut des collectivités d’outre-mer de l’article 74 de la Constitution, régi par une loi organique), je ne sais pas ce qu’il se passerait.

Miltøn (2024-07-28T11:21:14Z)

>> Dans l'ordre juridique français, les traités sont négociés et signés par l'exécutif (en l'espèce, c'est de la responsabilité du président de la République), et ils sont ratifiés par le parlement au moyen d'une loi.

Attention, petite imprécision, le traité est ratifié par le président de la République également. Simplement, cette ratification ne peut, dans certains cas, intervenir qu’après une autorisation donnée par le Parlement. Cela ressort de la lettre de la constitution (article 52), et se retrouve dans celle des lois autorisant la ratification (voir par exemple : <URL : https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000046150407 >).

Miltøn (2024-07-28T10:56:06Z)

Merci pour ce billet qui met des mots précis sur mes *souffrances* lorsque j’essaye de préparer mes cours d’introduction au droit (que je donne chaque année) alors que je viens initialement d’une formation mathématique, et que je me demande toujours comment définir certaines choses fondamentales.

Petite réaction amusée à la phrase « Autant la différence entre la loi et le règlement est assez claire » : je trouve qu’elle l’est beaucoup moins que ce qu’il semble, surtout sous la Ve République. Enfin si, il est facile de distinguer quels sont les textes qui s’appellent « lois » (les textes votés dans les mêmes termes par les deux assemblées, ou adoptés par référendum, et promulgués par le Président de la République). Mais beaucoup plus compliqué de répondre à la question de ce qu’est un texte législatif, et de ce qu’est une disposition législative.

Le pouvoir législatif appartient en principe au Parlement, mais l’article 16 permet au Président de la République de l’exercer ponctuellement (auquel cas ses décisions législatives sont appelées simplement « décisions », cf. Conseil d’État, 2 mars 1962, Rubin de Servens).

Les ordonnances permettent au Gouvernement d’intervenir dans des mesures « qui sont normalement du domaine de la loi », mais aucun texte ne dit clairement que les dispositions comprises dans les ordonnances et qui interviennent dans le domaine de la loi sont des dispositions législatives. Elles échappent au contrôle du Conseil d’État une fois le délai d’habilitation passé, mais est-ce suffisant pour définir un texte de nature législative ? Il est admis qu’une ordonnance peut modifier une loi qui serait sortie du domaine de la loi, mais les dispositions modifiées par cette ordonnance sont-elles couvertes par les dispositions de l’article 38 de la Constitution précisant qu’à l’expiration du délai d’habilitation, « les ordonnances ne peuvent plus être modifiées que par la loi dans les matières qui sont du domaine législatif » ?

D’autres normes, sans être appelées formellement « loi », sont également considérées comme des dispositions législatives par le Conseil d’État, par exemple certains textes appelés « ordonnances » et datant de régimes politiques précédents (Ancien Régime, Restauration, Monarchie de Juillet et CFLN principalement), ou encore les « ordonnances » de l’ex-article 92 de la Constitution. Note que tous ces textes appelés « ordonnances » obéissent à des régimes assez variés. Mais pourtant, les décrets pris sur délégation de la loi, eux, ne sont pas des dispositions législatives mais bien réglementaires.

Et tout cela n’est pas pure spéculation, puisque le fait de savoir ce qu’est une disposition législative a des conséquences sur l’entité qui a le droit de contrôler (aujourd’hui, Conseil d’État ou Conseil constitutionnel ?) et sur la constitutionnalité de certaines dispositions (dans tous les cas où la Constitution prévoit qu’une règle doit être déterminée « par la loi »). Le récent revirement de jurisprudence du Conseil constitutionnel sur le contrôle des ordonnances non encore ratifiées (CC, n° 2020-843 QPC du 5 mai 2020, Force 5 ; CC, n° 2020-851/852 QPC du 3 juillet 2020, M. Sofiane A) l’illustre bien.

Et tout cela provient malheureusement du fait qu’aucun texte ne donne de réponses claires aux questions : « qu’est-ce qu’une loi ? », « qu’est-ce qu’une disposition législative ? » et « qu’est-ce que le pouvoir législatif et qu’a-t-il le droit de faire ? ».

Bouly (2024-07-28T05:59:33Z)

>> en droit par le prêteur

c'est "préteur" au lieu de "prêteur" (rien à voir avec un prêt).

jeanas (2024-07-27T17:44:49Z)

> [#22] Ma tentative pour imaginer une raison : historiquement, les lois ont été typographiées sans accents sur les capitales parce que c'était techniquement problématique.

C'est bien l'explication donnée sur Wikipédia. <URL:https://fr.wikipedia.org/wiki/Usage_des_majuscules_en_fran%C3%A7ais#Accentuation_des_majuscules_et_des_capitales>

Pour moi, cette perpétuation de la prétendue « règle » de ne pas mettre d'accents sur les majuscules/capitales (partout, pas juste dans le droit), est idiote vu qu'il n'y a plus de raison technique (si ce n'est la persistance des claviers qui n'ont pas les touches ad hoc, phénomène auto-entretenu ?), mais je me sens bien seul là-dessus. Les gens en font souvent un totem de la bonne orthographe, dans le genre « mais si, je t'assure, j'ai appris ça à l'école primaire ». Après, ce qu'il faut faire quand on modifie un corpus de dizaines de milliers de textes est une question différente, bien sûr.

jeanas (2024-07-27T17:19:29Z)

> Les textes cités par « vu » (qui, soit dit en passant, est invariable : ils écrivent « vu la Constitution » alors que moi j'écrirais « vue la Constitution »)

C'est censé être une règle d'orthographe générale, pas propre au droit (je me suis fait reprendre quelques fois là-dessus). Apparemment, ce « vu » est une préposition, donc invariable, et pas un participe passé.

Je suppose que l'usage finira par normaliser l'accord à plus ou moins long terme, de même que « malgré que », etc.

Apokrif (2024-07-27T15:37:45Z)

Cela fait belle lurette que le Conseil d'Etat ne s'exprime plus par considérants :-)

On pourrait aussi parler de l'accessibilité des conclusions de RAPU et d'avocats généraux (dont ceux de la CJUE) et des rapports des rapporteurs de la Cour de décision, utiles pour comprendre les décisions.

Apokrif (2024-07-27T15:08:04Z)

Ressources juridiques de bonne qualité accessibles à plein de gens de l'ESR:
https://cours.unjf.fr/

Apokrif (2024-07-27T15:05:10Z)

"Lorsque le texte a effectivement force juridique, on dit qu'il est en vigueur, et quand il la perd, on dit qu'il est abrogé"

Ou retiré, ou annulé (difficulté: on n'a que 4 mots pour remplir un tableau 2x2).

La meilleure introduction au raisonnement juridique que je connaisse, par le professeur Simplet: https://www.maitre-eolas.fr/post/2008/05/30/969-n-y-a-t-il-que-les-vierges-qui-puissent-se-marier#c55316
"Après avoir lu 711 commentaires, je crois comprendre
- Que le juge aurait aussi bien pu décider l'inverse de sa décision, tout en respectant la lettre du droit.
- Que pour certains, la jurisprudence a force de loi, et pour d'autres, qu'on s'en fout.
- Que le législateur fait la loi, qui s'impose aux juges, mais que ceux ci peuvent l'interpréter à leur convenance, à condition toutefois que leur convenance convienne.
- Qu'on est libre de contracter mariage pour les raisons qu'on veut, mais pas n'importe quelle raison quand même.
- Que ce sont les parties qui décident ce qui est essentiel pour elles, mais que le juge peut décider ce qu'il appelle essentiel

… :-(((

J'ai la forte impression d'un habillage de rationalité, pour masquer une totale subjectivité."

@Hugo: "de l’autre côté de la barrière, je répugne à utiliser le même type d’arguments"

https://www.reddit.com/r/AntiTaff/comments/otcdn6/sokal_au_bureau/ (un lien brisé renvoie au maire de Champignac)

Je sais de source sûre que des vraies décisions de justice prises "au feeling" ont été rédigées avec ce genre de pipotron-Busiris dans une vaine tentative de faire croire qu'elles reposent sur des motifs objectifs:
https://pbs.twimg.com/media/Fp7R7k8XgAAERNC?format=jpg&name=medium

Hugo (2024-07-27T11:36:19Z)

Merci David pour ce long billet qui fait bien le point sur la problématique. En tant que scientifique de formation (scolarité assez similaire à la tienne) et aujourd’hui haut fonctionnaire, je reste assez choqué par le manque de compréhensibilité de nos textes légaux et réglementaires et de l’absence de prévisibilité qui en découle. En tant qu’habitués à une démarche logique, à une pensée axiomatique (deux traits malheureusement très peu partagés dans la population générale), nous devrions être privilégiés dans notre compréhension du droit. Et de fait, ce n’est pas le cas. Ce qui dit beaucoup sur l’absence d’intelligibilité de l’ensemble du dispositif législatif, ce qui est à mon sens un grave problème démocratique.

J’ai déjà personnellement rédigé des arrêtés, et pourtant la façon dont certains textes peuvent ou non interagir avec d’autres de même niveau ou de niveau supérieur reste souvent pour moi ou mes collègues un mystère. On en est réduits à demander à des juristes qui font essentiellement de l’agitation de mains pour conclure un truc qui me semble rarement logique. Et puis de toute façon, si on demande à un autre juriste le lendemain, la réponse pourra être différente. On gère en probabilités, en espérant que si contentieux le juge administratif valide notre position. Juge administratif qui d’ailleurs favorise très souvent l’Administration (sauf peut-être dans le domaine des libertés publiques, qui est de toute façon moins mon domaine).

Pour illustration j'ai, quand j’étais syndicaliste, perdu au TA un contentieux totalement imperdable en termes de logique pure. Je résume, car au-delà de l’anecdote, je trouve que ça en dit beaucoup sur notre droit et sur la façon dont il est contrôlé :

- Constitution : « la récolte des Foobars est garantie pour tous, dans le cadre des lois qui la règlementent »
- Loi : « les Foobars dorés étant une ressource nécessaire à la sécurité nationale, leur récolte donnera lieu à un préavis de 10 jours envoyé à l’autorité compétente. Elle pourra alors être limitée en nombre dans les endroits A, B et C ».
- Décret : « La limite imposée à la récolte de foobars dorés permise dans les endroits A, B et C par la loi ci-dessus ne pourra en aucune cas être inférieure à 2 par jour ».

Or, j’étais dans le cas où je voulais faire de la récolte de foobars dorés chez D. J’envoie mon préavis et en réponse l’Administration me dit que comme c’est le jour de l’élection de Miss Trifouillis-lez-oies (je ne peux pas être plus précis, devoir de réserve tout ça…, mais c’était vraiment de ce niveau là d’importance), je n’ai pas du tout le droit de récolter des foobars dorés à D. J’attaque évidemment au TA car j’estime que mon droit constitutionnel est bafoué et qu’on est complètement hors cadre, à tous les niveaux. Je perds au prétexte que l’élection de Miss Trifouillis-lez-oies est un événement d’importance nationale qui justifie des mesures exceptionnelles, et que de toute façon je n’apporte pas la preuve que ma récolte de foobars dorés ne porte pas atteinte à la sécurité nationale (oui, oui, renversement de la charge de la preuve…).

De façon plus générale, j’ai rencontré un grand nombre de fois l’argument « le texte dit X, mais comme ce sont des Circonstances Exceptionnelles (TM), là on fera ce qu’on veut, bisous ». Insupportable. Depuis, de l’autre côté de la barrière, je répugne à utiliser le même type d’arguments, mais beaucoup de mes homologues n’ont pas les mêmes pudeurs… C’est pourquoi j’ai malheureusement un peu de mal à me sentir entièrement en France dans un Etat de droit.

Dyonisos (2024-07-26T22:57:34Z)

J'ai commencé par étudier le droit et j'en garde un bon souvenir quoique certaines notions m'apparaissaient très contradictoires et décrétées sur un ton on ne peut plus dogmatique (comme ce cercle carré de l"obligation de résultat"). Juste un mot latéral par rapport à ton post mais en écho avec son commencement pour remarquer, qu'ici comme ailleurs, autre chose est la tendance générale (que je pense tu décris correctement), autre chose l'existence de singularité d'exceptions notamment dans le traitement "scientifique" de la discipline juridique. Un des cas les plus intrigants et captivants qui me semble exister ( je ne le connais que très superficiellement encore) depuis peu est le travail de Alf Ross dont le sillon se creuse à l'enchevêtrement du positivisme (entendu non à la façon de Comte mais du Cercle de Vienne, enfin pour lui ça remonte à l'école suédoise de Hägerström (sa thèse ayant été refusé par sa fac de droit danoise, il dut s'"exiler" dans le département de philosophie en Suède avant d'occuper un poste… de professeur de droit de nouveau au Danemark)) et de la discipline juridique : il a une manière toute scientifique de procéder, très suspicieuse envers tout ce qui déborderait un domaine de valeurs hétérogènes aux faits et il tente non seulement de penser le droit dans un strict effort de rendre compte des données juridiques mais aborde de front des notions comme celles de validité ou de logique déontique en relation avec ses préoccupations qu'on pourrait parfois qualifier de typiquement logiciste. A lire !

Typhon (2024-07-26T20:47:03Z)

Sur la constitution de 1958, je pense que tu dis des choses qui sont un peu fausses :

Premier point : le fait qu'elle fait référence à des choses sans les définir. Comme c'est le cas pour une grande quantité de textes juridiques, c'est difficile d'arguer comme tu as l'air de le faire que la constitution de 1958 est mal écrite *pour cette raison*, ou du moins que c'est un exemple qui montre qu'elle serait plus particulièrement mal écrite que le reste de la loi. (c'est toute la loi qui est mal écrite)

(Ma sœur me donnait comme exemple qu'aucun texte de loi ne définit ce qu'est un ministère, alors que plein de lois y font référence)

Deuxièmement, quand tu écris :

« Notamment : "Le Président de la République nomme le Premier ministre. Il met fin à ses fonctions sur la présentation par celui-ci de la démission du Gouvernement." C'est criminellement vague, ça ! La première phrase ne dit rien sur l'obligation du président de la République de tenir compte de l'équilibre politique du parlement »

Ce n'est pas une question d'être vague ça. C'est INTENTIONNEL. Le président de la république a le pouvoir de nommer qui il veut comme premier ministre, point. La constitution est muette sur cette obligation parce que cette obligation n'existe pas. On peut penser que c'est mal mais c'est comme ça.

Le contrôle du parlement sur le gouvernement s'exerce via la censure (pour le coup parfaitement définie dans l'article 49). C'est la seule limite au pouvoir de nomination du président d'un point de vue juridique (avec l'article 68).

(La cohabitation est une invention de Mitterrand, prévue nulle part)

(Ça explique l'absence de délai explicite pour la nomination du reste : le PM sert à la discrétion du président, même si j'admets que ce point là est plus vague, mais je suis à peu près sûr que la notion de "gestion des affaires courantes" n'a aucune base juridique non plus ou du moins rien qui aurait une vraie nature contraignante)

Troisièmement :

« ce sont des tentatives de clauses d'éternité, mais c'est juste un vœu pieux parce qu'aucun mécanisme n'est prévu pour garantir ces clauses, et de toute façon si on ne voulait on pourrait procéder en deux étapes, d'abord les supprimer et ensuite faire la révision voulue »

Cette procédure en deux étapes qui est facile à imaginer quand on envisage un peu trop le droit comme un jeu formel, mais je pense que c'est quand même un peu trop prendre les juristes pour des billes.

Le seul but plausible de supprimer l'alinéa de l'article 89 qui garantit que le gouvernement doit rester républicain (sans le remplacer par un truc équivalent), ce serait de supprimer le gouvernement républicain, donc ce serait déjà y attenter.

Je pense donc que c'est ni plus ni moins un "vœu pieux" que le reste de la constitution, qui comme tout texte de loi, ne tient que dans la mesure où y a des gens qui ont les moyens et la volonté de l'appliquer.


You can post a comment using the following fields:
Name or nick (mandatory):
Web site URL (optional):
Email address (optional, will not appear):
Identifier phrase (optional, see below):
Attempt to remember the values above?
The comment itself (mandatory):

Optional message for moderator (hidden to others):

Spam protection: please enter below the following signs in reverse order: 47fd6e


Recent comments