Comments on Comment le cerveau sépare-t-il les langues ?

Ruxor (2017-02-08T13:00:55Z)

@SB: Ben c'est juste une énième variation de l'hypothèse de Sapir-Whorf : c'est quelque chose qui n'est ni vrai ni faux, parce qu'il y a tellement de façons de l'interpréter ou de la reformuler qu'elle finit par ne plus rien vouloir dire du tout, mais son interprétation forte évidente a été largement discréditée. J'aime bien l'exposé suivant, par exemple, pour faire contrepoint au sapirwhorfisme : <URL: http://www.youtube.com/watch?v=QglKeIIC5Ds >. ⁂ S'agissant du propos attribué à Lafforgue (et que je soupçonne d'avoir été déformé et/ou pris hors contexte), je trouve qu'il est complètement pipo : même si je suis le premier à dire que l'anglais souffre d'ambiguïtés syntaxiques problématiques (<URL: http://www.madore.org/~david/weblog/d.2015-03-20.2284.html#d.2015-03-20.2284 >), je n'ai essentiellement jamais vu de cas où ces ambiguïtés posaient de réelles difficultés aux matheux. Il est vrai qu'il y a une tradition française des maths, très rigoureuse et pointilleuse, qui s'oppose par exemple à la tradition russe, beaucoup plus « impressionniste », mais je crois qu'il est complètement aberrant de vouloir chercher une explication de ces différences dans la différence entre les langues française et russe.

SB (2017-02-07T16:38:10Z)

Un avis sur ces propos de Claude Hagège ?: « Il faut bien comprendre que la langue structure la pensée d'un individu. Certains croient qu'on peut promouvoir une pensée française en anglais : ils ont tort. Imposer sa langue, c'est aussi imposer sa manière de penser. Comme l'explique le grand mathématicien Laurent Lafforgue : ce n'est pas parce que l'école de mathématiques française est influente qu'elle peut encore publier en français ; c'est parce qu'elle publie en français qu'elle est puissante, car cela la conduit à emprunter des chemins de réflexion différents. » ( http://www.lexpress.fr/culture/livre/claude-hagege-imposer-sa-langue-c-est-imposer-sa-pensee_1098440.html )

Decebal (2015-08-07T09:21:50Z)

Je vais vous faire part de mon expérience car je suis polyglotte. Je parle et écris 7 langues dont le hongrois, le bulgare et le chinois qui sont des langues très éloignées les unes des autres.

J'ai l'impression que mon cerveau fonctionne comme un jukebox c'est à dire que chaque langue est sur un disque. Chaque langue est sur sa 'couche' isolée et changer de langue c'est changer de disque.

Chez moi, le changement de disque est instantané ( à une nuance près que j'expliquerai plus bas ) , c'est à dire que je passe sans difficulté et immédiatement d'une langue à une autre. Ce qui est intéressant c'est que le changement de langue s'accompagne :
- d'un changement de timbre de voix
- d'un changement de la gestuelle : et ça c'est très représentatif de la notion de couche isolée où repose chaque langue. Par exemple quand je parle chinois mes gestes vont être ceux d'un chinois : je vais tendre les objets à 2 mains, je vais compter avec mes doigts à la chinoise, je vais tapoter de l'index sur la table pour dire merci. Quand je parle bulgare je vais opiner de la tête pour dire non.

Donc pour résumer chaque langue a son compartiment, son caisson étanche qui comprend non seulement sa logique ( sa grammaire ) et son lexique ( son vocabulaire ) mais aussi sa façon d'être.

Là où je rencontre des difficultés c'est sur certains couples de disques. Je m'explique : traduire de français ( ma langue maternelle ) dans toutes les autres langues que je connais ne pose pas de souci et vice versa. Par contre traduire du hongrois en chinois , je n'y arrive pas , alors que traduire du hongrois en bulgare est un jeu d'enfant.
Le couple chinois / anglais ne pose pas de difficulté alors que chinois / allemand je n'y arrive pas.

Je ne m'explique pas cela rationnellement.

Je m'arrête car je suis intarissable sur ce sujet qui me passionne.

Toutes vos expériences personnelles en la matière m'intéressent.

Ruxor (2015-06-01T21:18:12Z)

@cargo du mystère: C'est une question que je me pose souvent, en effet. Par exemple, pour me demander, entre l'espagnol et le portugais, l'allemand et le néerlandais, le russe et l'ukrainien ou le bulgare, le norvégien et le danois ou le suédois, l'arabe classique et l'hébreu, ou deux arabes dialectaux entre eux, quel est le couple de plus petite distance, celui de plus grande distance ? L'ennui, c'est qu'il y a quantité de choses qu'on peut vouloir prendre comme métrique : le plus évident, ce serait l'intercompréhensibilité sans apprentissage préalable (à l'oral ou à l'écrit), mais ce n'est probablement pas une bonne mesure, par exemple parce que deux langues peuvent être très proches mais avoir une prononciation et/ou une écriture très différentes qui s'apprendrait cependant très rapidement. L'intercompréhensibilité peut aussi être dissymétrique (je pense qu'un Français a beaucoup plus de facilité à comprendre l'italien parlé qu'un Italien le français ; et un Français du XXe siècle comprendrait sans aucun mal le français du XIXe alors que la réciproque est beaucoup moins évidente). Et il n'est pas du tout pareil de mesurer la difficulté à comprendre une langue qu'à la parler ou l'écrire.

En première approximation, j'aurais tendance à suggérer comme mesure "à quel point la connaissance parfaite de la langue X facilite-t-elle [par rapport à quelqu'un dont la langue maternelle est extrêmement éloignée] l'apprentissage de la langue Y, du point de vue de la compréhension, si on se donne comme objectif d'arriver à lire un journal et à comprendre un journal télévisé ?". Mais il reste beaucoup de problèmes avec cette définition, même avant d'envisager d'en faire des mesures précises.

cargo du mystère (2015-06-01T21:02:25Z)

Un peu hors-sujet: le néerlandais est incontestablement plus près de l'allemand que du coréen. Connais-tu une tentative un peu plus quantitative de formaliser ce genre d'évidence? Je pense à une "distance" entre langues (mais évidemment pas au sens naïf des espaces métriques!) qui tiendrait compte de quelques paramètres (peu nombreux) de la syntaxe, du lexique, de la phonologie,…

Dyonisos (2015-05-20T13:00:15Z)

@ SB Il y a un contre-exemple qui laisse songeur. J'ai rencontré cette année des jeunes bouclant leur lycée ayant un niveau d'anglais catastrophique alors que c'était leur première langue étrangère choisie. Sans être trop dépréciatif, c'est inférieur à ce que on pourrait raisonnablement pronostiquer après quelques semaines d'apprentissage (comment dit-on "au-dessus" en anglais ? par exemple ou bien daughter ça veut dire l'épouse ?). Et par hypothèse il y a eu des heures et des heures d'anglais pendant leur scolarité jusqu'à cette dernière année. Quelle vertu aurait ici cet étalement de l'apprentissage ? Il me semble au contraire que faute d'être jamais rentré avec un effort soutenu initial dans la langue, une espèce de complexe s'est développé et a découragé les initiatives ultérieures. Je crois d'ailleurs qu'on pourrait généraliser à bien des domaines (sinon à tous). Le cerveau ne suit pas un rythme proportionnel aux heures passées à apprendre, le qualitatif est primordial : il faut que le terrain soit au moins une fois un peu maîtrisé, que les connexions synaptiques soient actives et étoffées, et ensuite la dynamique vertueuse peut s'enclencher, éventuellement en ralentissant le rythme. Le papillonnage superficiel laisse la compétence en jachère, quand bien même des heures y fussent-elles consacrées au final.
.

SB (2015-05-19T17:53:42Z)

@Brain Trust et @Dyonisos: on dit pourtant que, pour apprendre une langue ou n'importe quoi d'autre, à volume horaire total, il vaut mieux *étaler* l'apprentissage ?

SB (2015-05-19T17:47:40Z)

Une idée originale de berabero89 dans http://how-to-learn-any-language.com/forum/forum_posts.asp?TID=36560&PN=8 : déjà, ne pas faire attention aux similitudes (facile à dire!) et imaginer un contexte différent (lié au pays en question) quand on pratique chaque langue (peut-être la même idée que quand on conseille aux couples bilingues que chaque parent parle une langue différente à l'enfant ?)

N (2015-05-19T17:46:37Z)

Pour moi, tout tourne autour des gens avec qui j'ai parlé.

C'est-à-dire que, pour moi, la «séparation» des langues vient du fait que je m'imagine parler à X quand je parle allemand, et à Y quand je parle italien, et donc c'est ça mon «contexte».

Donc je confonds souvent l'italien et l'espagnol (parce que je n'ai jamais vraiment parlé longtemps à un italien ou un espagnol, en tout cas pas suffisamment avec le même pour avoir une «référence»), mais jamais l'allemand et l'anglais (pour lesquels j'ai de multiples références).

Et réussir pour moi à passer d'une langue à l'autre, c'est avoir eu souvent à gérer des situations où des X et des Y devaient se comprendre autour de moi…

Par ailleurs, j'ai des copains franco-américains, et j'adore les dîners chez eux, parce que :
* les parents parlent dans leur langue maternelle tout le temps. (Ils se répondent l'un l'autre comme ça presque tout le temps, le père parle anglais, la mère français.)
* les enfants parlent entre eux dans un sabir franco-anglais… et une langue plus «pure» à leur papa et leur maman (resp. anglais et français.)
… quelque part, c'est un métier. Et si tu n'as pas eu à gérer régulièrement ce genre de situations, il n'y a aucun intérêt à développer l'oreille nécessaire pour déterminer si c'est de l'anglais ou du français qu'on entend, et encore moins d'intérêt à développer l'art de la traduction instantanée.

En tout cas dans cette famille, ça donne des conversations très rapides où tout le monde passe de l'anglais au français tout le temps, ça m'émoustille le cerveau, j'adore… sans parler du délicieux sabir des petites (mais quand elles parlent à leur mère, soudain c'est 99% académie française.)

J'ai beaucoup aimé lire /Le langage et son double/ (au sujet de bilinguisme) de Julian Green, où il raconte par exemple l'anecdote suivante : un homme incroyablement cultivé était traducteur de Shakespeare en->fr. Il connaissait des centaines de milliers de mots. Et il rencontre Julien Green, et lui dit, soudain, un peu terrorisé «qu'est-ce que je dois demander au chauffeur de bus, pour avoir un ticket ?» Et Julian Green de conclure que ce n'est pas tout, les mots, la grammaire, etc…. Il y a des infinies dimensions à ce qu'est «parler une langue».

Mon idéal de «parler une langue», c'est simplement utiliser avec plaisir une langue pour découvrir quelqu'un d'autre.

Dyonisos (2015-05-19T16:49:52Z)

"Le cerveau peut séparer les langues. Chez les polyglottes atteints d'aphasie, par exemple suite à un AVC, les différentes langues sont le plus affectées mais il existe des exceptions dans lesquelles on observe une aphasie prédominant sur l'une des langues, voire un antagonisme alterné, le patient exprimant ses idées en mélangeant les deux langues."
Je comprends mal: s'il y antagonisme alterné et mélange, à l'évidence, la thèse de la séparation n'y trouve pas de grain à moudre. Et si l'aphasie se borne à être prédominante dans une des langues, ou dans plusieurs d'entre elles, c'est donc que dans le reste elle est par hypothèse aussi atteinte, quoique de manière (éventuellement beaucoup, ça ne change rien) moins marquée. Et donc là encore, c'est la faculté linguistique en bloc qui est atteinte de manière implicite et le cerveau n'est pas analogue à un meuble dont les différents tiroirs seraient parfaitement étanches les uns par rapport aux autres.
En laissant ce point de côté, je crois qu'il faudrait aussi faire place à une (relative ! j'y tiens) séparabilité à l'intérieur de l'apprentissage d'une même langue (évidemment lié au mode retenu) : pour ma part par exemple, quelques légers efforts d'apprentissage du danois en jetant un coup d'oreille à la prononciation n'ont jamais réussi à me faire un tant soit peu maîtriser cette dernière alors que pour le vocabulaire et la grammaire, glaner quelques bribes est aisé.

Typhon (2015-05-18T19:49:52Z)

« C'est-à-dire, en démarrant l'apprentissage d'une nouvelle langue, convaincre le cerveau qu'il va falloir créer un nouveau contexte, à séparer de ceux qui existent déjà. Si la langue est très différente, ça ne devrait pas être trop difficile »

J'ai des interférences du russe quand je fais du finnois. Les deux langues n'ont rien à voir.
Comment le cerveau sépare-t-il les langues ? Mal, en tout cas en ce qui me concerne.

Et selon toutes probabilités, il doit y avoir de grosses variations individuelles dans le domaine de l'apprentissage des langues secondes.

Régis (2015-05-18T11:01:15Z)

Le cerveau peut séparer les langues. Chez les polyglottes atteints d'aphasie, par exemple suite à un AVC, les différentes langues sont le plus affectées mais il existe des exceptions dans lesquelles on observe une aphasie prédominant sur l'une des langues, voire un antagonisme alterné, le patient exprimant ses idées en mélangeant les deux langues.

ama (2015-05-17T20:01:41Z)

Ayant eu l'occasion de côtoyer des handicapés mentaux, et habitant en Alsace où le dialecte est très vivant, je me suis étonné de constater que presque tous maîtrisaient et le français et l'alsacien (à l'oral). Ils passaient sans problème de l'une à l'autre, alors que certains ne savaient pas dénombrer au-delà de deux ou confondaient carottes et tomates; très peu d'entre eux savaient lire ou écrire. Mystère et puissance de notre cerveau !

Dyonisos (2015-05-17T15:36:24Z)

Tout à fait d'accord avec Brain Trust. Tant qu'il n'y a pas un point critique franchi (sans doute transposable en langage neurologique), l'effort du cerveau pour autonomiser ses connaissances de langues différentes est très largement inopérant. Par contre, je doute qu'il soit un jour parfaitement atteint et que l'étanchéité puisse être absolue: on connaît des cas d'Alzheimer ou d'autres maladies dégénératives où des individus maîtrisant excellemment des langues différentes (la maternelle et celle du pays dans lequel ils vivent depuis des décennies par exemple) commettent des confusions au soir de leur vie.

Brain Trust (2015-05-17T11:48:59Z)

Mon grand-père disait qu'il fallait six mois de travail intensif pour apprendre une langue ; le saupoudrage ne sert à rien … je suppose que le cerveau a besoin d'être plongé dans un bain continu de connexions neuronales répétées jusqu'à ce qu'elles soient inscrites définitivement.

Ruxor (2015-05-17T01:16:45Z)

@zEgg: J'ai corrigé "den starke mannen" (j'avais justement changé en un nom masculin pour avoir cette terminaison et j'ai oublié de la mettre, c'est con, mais ce n'est pas un coup de malchance ; mais bon, ça n'a vraiment rien à voir avec le fond dont je parlais).

Sinon, le fait que « les maisons » soit « husen » en suédois n'est pas spécialement confusant. Certes, c'est « die Häuser » en allemand, mais c'est « de huizen » en néerlandais.

Enfin, je ne sais pas si le fait de trouver une prononciation ou une intonation plus proche de l'allemand aiderait à ne pas mélanger les langues, j'ai plutôt tendance à croire le contraire, que la différence de prononciation aide à créer la catégorie mentale différente. Mais bon, c'est un peu le problème que je me pose, comment le cerveau fonctionne sur ce genre de choses.

zEgg (2015-05-17T00:39:05Z)

Bon, concernant le suédois, il faut quand même souligner que tu parles clairement du groupe de dialectes sveamål (parlée dans la région rose de cette carte : <URL: http://www.grundskoleboken.se/wiki/Fil:Simplified_map_of_dialects_in_Sweden.png > ).

Dans certains dialectes le genre commun est subdivisé en un féminin non marqué, par défaut (c'est-à-dire le contraire du français qui marque le féminin), et en un masculin, marqué par un -e à la fin des adjectifs à la place du -a. Tu n'as pas de bol, "man" est justement un mot pour lequel même en sveamål, on garde souvent cette forme figée: den starke mannen. D'ailleurs quand je google "den starka mannen" google me suggère d'essayer plutôt "den starkE mannen" même si il y a moins de résultats. "Den store mannen" (le grand homme) a en revanche plus de résultats que "den stora mannen".

" "ett hus" signifie "une maison" en suédois. (Si on veut dire "une maison" en néerlandais, c'est "een huis", l'article indéfini étant le même pour les deux genres ; et si on veut dire "la maison" en suédois, c'est "huset".)

Sur d'autres mots, je vais être gêné par le fait que l'article défini postposé suédois -(e)n évoque très fort un pluriel allemand (le pluriel suédois ayant plutôt tendance à être en -r pour ces mots)."

Au fait, comment dit-on "les maisons" en suédois? :)

Pour le côté tonal ainsi que pour le r modifiant la prochaine consonne, si tu as du mal, tu peux toujours faire comme en scanien (en jaune sur la carte liée ci-dessus) où les deux sont comme en allemand. Pour le reste de la phonétique scanienne c'est plus chaud (imagine un spiddekauga coincé dans une contrebasse, ça devrait faire un bruit assez proche).

Enfin pour "bröd" oui le d est sonore… quand il est prononcé ! Les d finaux sont très souvent omis ("brö"), voire par exemple ici <URL: http://jagpratarsvenska.com/pronunciation/omitting-d-g-t-k-l/ > où "bröd" est justement listé. Pour être un peu plus précis, j'ai l'impression que dans la plupart des cas, soit il n'est pas prononcé, soit on entend dans la voyelle que la langue se place en position de d, mais on ne le fait pas "exploser".


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