Comments on Fragment littéraire gratuit #40 (une interrogation)

Zelda (2005-04-28T08:03:06Z)

«C'était un /baiser/ russe, de l'espèce de ceux que l'on échange dans ce vaste pays plein d'âme, aux sublimes fêtes chrétiennes, comme une consécration de l'/amour/. Mais commme c'était un jeune homme notoirement "malin" et une jeune femme ravissante, au pas glissant, qui l'échangeaient, cela nous fait penser malgré nous à la manière si adroite, mais un tantinet équivoque, dont le docteur Krokovski parlait de l'/amour/, dans un esprit légèrement vacillant, de sorte que personne n'avait jamais su avec certitude si c'était un sentiment pieux ou quelque chose de charnel et de passionné. L'imitons-nous, ou Hans Castorp et Claudia Chauchat l'imitaient-ils dans leur /baiser/ russe? Mais que dirait le lecteur si nous nous refusions tout bonnement à aller au fond de cette question? À notre avis, il serait sans doute de bonne analyse, mais, pour reprendre l'expression de Hans Castorp, "très maladroit" (et ce serait vraiment témoigner peu de sympathie pour la vie), si on voulait distinguer nettement entre la piété et la passion. Que signifie ici "nettement"? Que veut dire "incertitude" et "équivoque"? Nous ne cacherons pas que nous nous moquons franchement de ces distinctions. N'est-ce pas bon et grand que la langue ne possède qu'un mot pour tout ce que l'on peut comprendre sous ce mot, depuis le sentiment le plus pieux jusqu'au désir de la chair? Cette équivoque est donc parfaitement "univoque", car l'/amour/ le plus pieux ne peut être immatériel, ni ne peut manquer de piété. Sous son aspect le plus charnel, il reste toujours lui-même, qu'il soit joie de vivre ou passion suprême, il est la sympathie pour l'organique, l'étreinte touchante et voluptueuse de ce qui est voué à la décomposition. Il y a de la charité jusque dans la passion la plus admirable ou la plus effrayante. Un sens vacillant? Eh bien, qu'on laisse donc vaciller le sens du mot "amour". Ce vacillement, c'est la vie et l'humanité, et ce serait faire preuve d'un manque assez désespérant de malice que de s'en inquiéter.»
Thomas Mann, in La Montagne magique.


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