David Madore's WebLog: Sur la notion d'« étendue » en optique et en géométrie

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(jeudi)

Sur la notion d'« étendue » en optique et en géométrie

Je voudrais essayer de parler ici d'un concept de géométrie (euclidienne), notamment important pour son application en optique, que je trouve à la fois joli pourtant trop peu connu[#] : celui d'« étendue ». En gros, l'étendue est une façon de mesurer la taille d'un ensemble de droites (disons, dans l'espace) de la même manière que le volume est une façon de mesurer la taille d'un ensemble de points. Mais pour commencer, et pour expliquer une façon dont cette notion apparaît, je veux parler des unités et grandeurs lumineuses que sont le lumen, le lux, la candela et la candela par mètre carré, et le lien entre ces unités, et ce qu'elles nous disent. Parce que même le grand public commence à avoir entendu parler des lumens (c'est écrit sur toutes les boîtes d'ampoules, de nos jours), et peut-être de lux (pour le niveau d'éclairement d'une pièce), mais ne sait pas forcément la différence entre les deux (divulgâchis : un lux, c'est un lumen par mètre carré).

[#] À titre d'exemple, je n'en vois pas de trace dans les programmes de classes préparatoires scientifiques françaises, ce que je trouve un peu surprenant. Et ce n'est pas une évolution récente parce que je ne crois pas qu'on m'en ait parlé quand j'étais moi-même en prépa.

La difficulté de l'exercice, c'est que comme je veux parler de divers concepts (l'étendue en géométrie euclidienne, l'étendue en optique géométrique, les unités de mesure photométriques, et quelques conséquences de tout ça) et ce à différents niveaux de vulgarisation, je mais certainement faire de la bouillie. En plus de ça, je suis infoutu de faire le moindre dessin, ce qui n'aide pas pour expliquer un concept éminemment géométrique.

Mais voilà, essayons quand même (bear with me), parce cette histoire de conservation de l'étendue est quelque chose qui me semble important pour comprendre les bases de l'optique, et c'est aussi un concept mathématique pas compliqué mais néanmoins digne d'être noté. Et j'en ai marre de toujours oublier ces choses, alors ce billet de blog est surtout un aide-mémoire pour moi-même.

*

☞ La « luminosité » décroît-elle avec la distance ? (Oui et non.)

Pour commencer, une observation toute simple qui me fascine depuis que je suis petit, qui n'est pas difficile à comprendre, et qui renferme l'essence de cette notion de conservation de l'étendue.

Considérez le Soleil, vu depuis la Terre, en plein jour (et par beau temps). Ne le regardez surtout pas directement, c'est très dangereux pour vos yeux (Newton a failli se rendre aveugle comme ça). Oui mais pourquoi est-ce si dangereux, au juste ? Parce que le Soleil est très brillant, bien sûr. Certes, mais il est aussi très loin : est-ce que la luminosité ne s'atténue pas avec la distance ? Après tout, l'étoile Sirius (enfin, Sirius A), qui est 23 fois plus lumineux que le Soleil mais 540 000 fois plus loin de nous, ne nous aveugle pas quand nous la regardons directement. Alors, oui et non : ça dépend surtout de ce qu'on appelle luminosité.

D'abord, il y a une absorption de la lumière par l'atmosphère terrestre, qui atténue surtout le bleu et l'ultra-violet. C'est important pour rendre le Soleil moins dangereux pour nous, mais ce n'est pas de ça que je veux parler, donc faisons comme si elle n'existait pas. Ensuite, il y a effectivement une décroissance de la luminosité avec la distance (quadratique : si on est 2 fois plus loin d'une étoile, elle apparaît 4 fois moins lumineuse), mais cette décroissance correspond précisément à une décroissance de la taille apparente (ou « angle solide ») de l'étoile : si on va 2 fois plus loin du Soleil, il apparaîtra 2 fois plus petit dans chaque direction, donc 4 fois plus petit en surface apparente (« angle solide »), et sa luminosité sera 4 fois plus faible juste pour cette raison, c'est-à-dire que la luminosité par unité d'angle solide (ou luminance) sera la même.

Quand l'objet qu'on regarde est suffisamment petit pour qu'il n'en reste qu'un seul point (on dit qu'il n'est pas « résolu optiquement »), on ne voit plus l'angle solide, et tout ce qui compte est la luminosité totale qu'on en reçoit[#2] (dont je vais dire qu'elle s'appelle correctement éclairement et se mesure en lux) ; mais si l'objet est de taille visible, ce qui est le cas du Soleil, alors ce qui compte est cette luminosité par angle solide (appelée luminance, et mesurée en lux par stéradian, ou ce qui revient au même, en candelas par mètre carré), et elle ne change pas avec la distance.

[#2] Je ne sais pas si je l'ai déjà raconté ici, mais depuis que je suis petit, quand je suis passager dans une voiture la nuit, j'aime parfois jouer à retirer mes lunettes. Comme je suis très très myope, chaque feu de véhicule devient alors une grosse tache (en gros l'image de mon cristallin qui, vu que c'est la nuit, est bien ouvert) : c'est très joli et assez poétique, ça fait une sorte de ballet hypnotisant de taches de couleurs rouges, orange et blanches. Ce qui est perturbant, c'est que la taille de ces taches ne change pas quand le véhicule s'éloigne, puisqu'elle est avant tout due à l'imperfection optique de mon œil : l'éloignement se manifeste non pas par une diminution de la taille mais par une diminution de la luminosité de la tache. C'est ce que j'appelle une situation non résolue optiquement. C'est pareil pour n'importe qui quand on regarde une étoile, mais dans mon cas les taches sont vraiment très grosses (d'ailleurs, du coup, sans mes lunettes, je ne peux absolument pas voir la moindre étoile).

En bref, si vous étiez deux fois plus loin du Soleil, ce serait tout aussi dangereux pour vos yeux de le regarder directement et fixement : la surface de la rétine qui se ferait endommager serait plus petite, mais la surface qui serait endommagée le serait tout autant. (Bon, il y a plein de petits caractères à ajouter là : par exemple pour rappeler que je parle de regarder fixement pendant une certaine durée, parce que les yeux bougent toujours un peu tout le temps, ce qui aide justement à nous protéger contre le soleil.)

Inversement, en principe, même si vous étiez à cent mètres de la surface du Soleil, cette surface vous apparaîtrait aussi brillante (absorption atmosphérique mise à part) que ce que vous en voyez depuis la Terre — c'est juste que ça occuperait la moitié de votre champ visuel au lieu d'être un tout petit truc (de 68 microstéradians) dans le ciel. (Bon, bien sûr, à 100m du Soleil vous auriez plein de problèmes, et je déconseille très fortement d'y aller.)

Et ça, quand j'étais petit, ça me fascinait profondément, de me dire que nous voyons le Soleil vraiment lumineux comme il est, juste plus petit.

*

☞ Flux lumineux, éclairement, intensité lumineuse, et luminance

Bon, mais dans tout ça j'ai utilisé le terme de luminosité de façon très vague. Essayons d'être plus clair, en distinguant quatre notions, et en expliquant comment elles se relient et quelles sont les unités qui les mesurent (si vous trouvez ça trop verbeux, j'ai mis un résumé à la fin) :

  • La première, c'est la notion de flux lumineux, qui est mesuré en lumens (symbole : lm) dans le Système International. C'est analogue à la puissance lumineuse, c'est-à-dire la quantité d'énergie par unité de temps : donc c'est analogue à des watts (symbole : W).

    Je dis analogue, parce qu'un lumen n'est pas un watt : le lumen reflète le fait que notre œil est plus ou moins sensible à différentes parties du spectre électromagnétique, donc qu'on ne voit pas 1W dans le vert autant que 1W dans le rouge ou le bleu, et si c'est 1W dans l'ultraviolet ou l'infrarouge on ne le voit pas du tout : donc le lumen tient compte de cette différence de sensibilité en pondérant la puissance des différentes longueurs d'onde en fonction de la sensibilité de l'œil humain (mais à cette pondération près, c'est comme des watts).

    Le rapport maximum possible est (pour des raisons historiques un peu idiotes) de 683 lumens par watt pour la lumière verte : donc une source de lumière de 1W qui émet juste du vert au pic de sensibilité de l'œil humain, et dont toute l'énergie part dans cette lumière verte, fera 683 lumens, et on ne peut pas faire plus que ces 683lm avec 1W de puissance. Mais en général on fait nettement moins. Par exemple je vois chez moi une ampoule LED de 7W qui (si j'en crois l'emballage) fait 800lm, donc une efficacité de plutôt 115lm/W, parce que toute l'énergie ne part pas en lumière visible, et même ce qui part en lumière visible n'est pas au pic de sensibilité du vert, parce qu'on veut quand même que l'ampoule soit blanche.

    (Pour donner des points de comparaison de l'efficacité lumineuse, j'avais calculé autrefois que l'efficacité théorique maximale si on veut produire une apparence de blanc est de 435lm/W, et que l'illuminant de référence dit D65, c'est-à-dire le maximum si on veut un rendu parfait des couleurs, fait 185lm/W. Une ampoule incandescente traditionnelle était plutôt de l'ordre de 15lm/W, et une fluorescente dans les 60lm/W. Quant au Soleil, si je compare sa puissance totale rayonnée avec la luminosité qui reste dans le visible sous l'atmosphère, je lui trouve une efficacité lumineuse de 80lm/W. Pour les rayonnements du corps noir, je donnerai des valeurs plus bas, mais il y a une courbe ici.)

    Mais tout ce que je viens de dire là est assez hors de propos pour ce billet : il y a un facteur d'efficacité entre les watts et les lumens à cause de la différence de sensibilité de l'œil à telle ou telle longueur d'onde (couleur), mais ça n'a rien à voir avec les questions d'optique géométrique que j'essaie d'expliquer. Notamment, les lumens, les lux, les candelas et les candelas par mètre carré (unités que je vais discuter après) seront dans exactement le même rapport que les watts, les watts par mètre carré, les watts par stéradian et les watts par stéradian et par mètre carré, toujours avec ce rapport d'efficacité lumineuse, et peu importe que je parle du premier jeu (adapté à la vision de l'œil humain) ou le second (qui mesure la réalité physique de l'énergie véhiculée).

    D'ailleurs, on pourrait introduire un troisième jeu, basé sur les photons par seconde (ou plutôt, moles de photons par seconde pour avoir des chiffres pas trop délirants) : là aussi, il y a des facteurs de conversion entre chacune des trois unités watt, lumen, et (moles de) photons par seconde, qui dépendent de la longueur d'onde, mais ces facteurs n'ont rien à voir avec les questions géométriques que j'évoque ici. Donc si on veut, on peut remplacer lumen par photon par seconde comme on peut le remplacer par watt. Voir le tableau un peu plus bas pour à ce sujet.

    Toujours est-il que les lumens sont devenus une unité relativement familière du grand public, parce qu'ils sont maintenant indiqués sur toutes les ampoules (vu que les watts n'ont plus trop de sens à cause du grand gain d'efficacité lumineuse lors du passage aux LEDs). Pour parler de façon extrêmement simpliste, les lumens mesurent la quantité de lumière que l'ampoule émet au total.

  • Deuxième grandeur importante : l'éclairement, qui est mesuré en lux (symbole : lx) dans le Système International, et qui est le flux lumineux par unité de surface. (Un lux égale un lumen par mètre carré.)

    De façon extrêmement simpliste, votre source de lumière balance des lumens dans toutes les directions, et ces lumens vont heurter des surfaces et les éclairer : le lux mesure la densité de lumens sur les surfaces éclairées.

    Par exemple, si vous mettez une source de 1lm qui éclaire autant dans toutes les directions au milieu d'une sphère de rayon 1m, donc de surface 12.6m² (plus précisément 4π×1m²), vous récoltez 1lm/12.6m² soit environ 0.080lx, d'éclairement en tout point de l'intérieur de cette sphère. Là j'ai supposé que ma source éclaire uniformément dans toutes les directions, et du coup que la surface est éclairée autant partout, mais en général, l'éclairement c'est le flux lumineux reçu par un petit élément de surface, divisé par cette surface.

    L'éclairement, c'est ce que mesure un luxmètre. C'est aussi grosso modo l'éclairement moyen là où nous sommes qui détermine notre impression qu'il fait clair ou sombre.

    Il fait dire que l'œil est adaptable à une étendue impressionnante de niveaux d'éclairement. L'éclairement solaire direct en plein jour a une valeur de 109 000 lx (c'est-à-dire, pour une surface perpendiculaire au Soleil, directement éclairé par lui, un jour de parfait beau temps). Une nuit dégagée de pleine lune c'est plutôt quelque chose comme 0.15 ou 0.20 lx (et on a quand même l'impression de bien voir !) ; l'œil humain commence à voir à l'ordre du microlux (mais je trouve des chiffres assez incohérents en ligne, donc je ne sais pas être plus précis). Un bureau correctement éclairé est autour de 200lx : au-dessous de 100lx il devient fatigant de lire. L'éclairement au sol un jour nuageux peut varier entre quelques centaines et peut-être 20 000 lx.

    L'éclairement est aussi la manière dont on mesure la « luminosité » d'un source de lumière tellement petite qu'elle n'est pas résolue optiquement. Par exemple, l'étoile Sirius vue depuis la Terre a une luminosité de quelque chose comme 7 microlux, c'est-à-dire qu'une surface orientée perpendiculairement à elle et qui ne serait éclairée que par elle recevrait cet éclairement-là. (Les astronomes parlent en magnitude, qui est une échelle logarithmique, parce que c'est plus commode, mais ce n'est pas non plus exactement pareil parce que je ne sais pas si ça tient compte de la sensibilité de l'œil humain ou juste de la puissance lumineuse reçue.) Mais dès lors que la source de lumière est suffisamment grosse pour avoir une surface apparente visible, il faut bien distinguer sa luminosité totale exprimée en lux, et sa luminosité par unité d'angle solide, ou luminance, dont je vais parler plus bas (et qui s'exprime en lux par stéradian ou ce qui revient au même en candelas par mètre carré).

  • Troisième grandeur importante : l'intensité lumineuse, qui est mesuré en candelas (symbole : cd) dans le Système International, et qui est le flux lumineux par unité d'angle solide. (Une candela égale un lumen par stéradian.)

    L'intensité lumineuse correspond au flux lumineux dans une direction donnée (alors que le flux lumineux est un total dans toutes les directions) : on va dire que c'est le flux lumineux reçu par un petit élément d'angle solide, divisé par cet angle solide.

    Mais pour ça, il faut d'abord que je parle un peu d'angle solide et du stéradian.

    Un angle plan, je suppose que tout le monde sait ce que c'est : on peut mesurer ça en degrés d'angle, mais en maths ou en physique on préfère généralement le radian, qui vaut 180/π degrés (c'est-à-dire à peu près 57.3°), défini comme l'angle défini au centre d'un cercle par une partie de la circonférence de longueur égale au rayon du cercle. L'avantage du radian, c'est que du coup, on calcule tout de suite la valeur de n'importe quel petit angle : un objet de 1m vu perpendiculairement à 300m de distance aura un angle apparent de 1/300 radians, par exemple, c'est beaucoup plus facile qu'en degrés. (Bon, en principe il y a un arcsinus ou une arctangente dans l'histoire — selon la manière dont l'objet est placé. Mais comme 1/300 est « assez petit », on peut ignorer ça et dire juste 1/300.)

    Un angle solide, c'est aux surfaces ce que l'angle plan est aux longueurs.

    On mesure les angles solides en stéradian, et l'idée générale c'est que, par exemple, une surface de 1m² vue perpendiculairement à 300m de distance va avoir un angle solide de 1m²/(300m)², soit 1/90000 stéradians.

    Voici un exemple d'usage de ces deux unités : le Soleil a un rayon de 700 000 km et il est à 150 000 000 km de la Terre (j'arrondis pour simplifier). Donc son rayon apparent depuis la Terre est un angle de 700 000 / 150 000 000 radians, c'est-à-dire 0.0047 radians (donc son diamètre apparent est le double : 0.0093 radians, ou 0.53° si on préfère les degrés) ; mais sa surface apparente du disque solaire depuis la Terre se mesurera comme un angle solide : on peut la calculer (si tous les angles sont assez petits…) par la même formule que la surface d'un disque, π·r² en mettant pour r le rayon apparent du disque solaire, je viens de dire 0.0047 radians, donc 0.000 068 stéradians, ou 68 microstéradians (qu'on peut noter 68µsr). La Lune a essentiellement la même taille apparente vue depuis la Terre (comme on le sait par le fait que pendant une éclipse elle couvre pile-poil le disque solaire, parfois un tout petit peu moins ou un tout petit peu plus selon le hasard des orbites, mais en gros pareil), donc on peut dire aussi 0.0047rad de rayon apparent, 68µsr de surface apparente.

    De même que l'angle plan correspondant à la totalité des directions autour d'un point mesure 2π radians (c'est-à-dire 360°) parce que la circonférence d'un cercle est 2π fois son rayon, l'angle solide correspondant à la totalité des directions autour d'un point mesure 4π stéradians parce que la surface d'une sphère est 4π fois le carré de son rayon.

    Donc, par exemple, si vous prenez une source lumineuse qui éclaire autant dans toutes les directions, et que son flux lumineux émis total est de 1lm, comme il y a 4π (soit environ 12.6) stéradians dans toutes les directions autour d'elle, c'est que son intensité lumineuse vaut 1lm/12.6sr soit environ 0.080cd, dans n'importe quelle direction.

    Mais en fait la plupart des sources n'éclairent pas uniformément dans toutes les directions. Un lampadaire éclaire plutôt vers le bas (par exemple grâce à un réflecteur qui renvoie vers le bas tout ce qui partait vers le haut), par exemple, si bien que les lumens qu'il émet sont dispersés sur moins de stéradians, donc plus de candelas (vers le bas !) à nombre de lumens (et notamment, de watts) égal. Le cas extrême est celui d'un laser, qui émet dans un angle extrêmement petit, ce qui peut signifier qu'il a un nombre de candelas dans la direction de son faisceau qui est colossal, tout en ayant un nombre de lumens pas énorme.

    Candelas et lux ont un rapport, bien sûr : si vous éclairez avec une source d'intensité lumineuse I dans une certaine direction une petite surface située à la distance d dans cette direction et positionnée perpendiculairement à elle, vous obtenez un éclairement de I/d² de cette surface, tout simplement parce que chaque petit élément de surface σ correspond à un angle solide σ/d² depuis la source (par définition de l'angle solide), qui reçoit donc un flux de I·σ/d² (par définition de l'intensité lumineuse), ce qui donne donc un éclairement de I/d².

  • Quatrième grandeur importante : la luminance, qui est mesuré en candelas par mètre carré (symbole : cd/m²) dans le Système International, parfois appelés nits (symbole : nt ; mais pour une raison incompréhensible le SI n'a pas standardisé cette unité-là). On peut voir la luminance de deux façons différentes (à la source ou à la cible), et c'est justement la coïncidence de ces deux façons de voir qui reflète la conservation de l'étendue dont je veux parler, car il s'agit en fait d'une unité de flux lumineux par étendue. Expliquons-nous.

    Premier point de vue : à la source. J'ai une source de lumière qui a une certaine taille (non-ponctuelle) : chaque petit élément de surface de la source a une intensité lumineuse dans telle ou telle direction ; la luminance de la source (en candelas par mètre carré) est l'intensité lumineuse (dans une direction donnée, exprimée en candelas) divisée par la surface (exprimée en mètres carrés).

    Par exemple, le Soleil a une luminance (après absorption atmosphérique) d'environ 1.6 milliards de candelas par mètre carré dans la direction perpendiculaire. Ça signifie que chaque mètre carré du Soleil se comporte comme une source d'intensité lumineuse de 1.6 milliards de candelas (dans la direction perpendiculaire).

    Maintenant, deuxième point de vue : à la cible. J'ai dit plus haut que l'éclairement d'un bout de surface est égal au flux lumineux reçu par ce bout de surface, dans toutes les directions, divisé par la surface (d'où des lumens par mètre carré, qu'on appelle lux) : maintenant, de même qu'une source n'éclaire pas forcément uniformément dans toutes les directions, une cible ne reçoit pas forcément uniformément de toutes les directions (par exemple, un bout de sol en plein jour reçoit essentiellement d'une direction : celle où est le Soleil). Si on divise l'éclairement par le bout d'angle solide d'où il vient, on obtient des lux par stéradian.

    Et justement, un lux par stéradian, c'est pareil qu'une candela par mètre carré : 1lx/sr = 1cd/m². Au moins au niveau de l'homogénéité.

    Mais ce n'est pas juste le cas au niveau homogénéité : regardons un bout de sol éclairé par le Soleil directement au zénith. Il reçoit un éclairement de 109 000 lx, venant de la direction du Soleil, lequel mesure 0.000 068 stéradians d'angle solide : donc environ 1.6 milliards de lux par stéradian dans cette direction. C'est la valeur que j'ai donnée pour la luminance du Soleil en candelas par mètre carré. Ce n'est pas un hasard : c'est justement tout le propos de cette histoire de conservation de l'étendue : la luminance du soleil mesurée à la source ou à la cible est la même (abstraction faite de l'absorption atmosphérique, qui ne m'intéresse pas ici).

    À la base, ce n'est pas compliqué du tout, et ça se voit sur un calcul tout bête : mettons pour simplifier que le Soleil soit un disque (plutôt qu'une sphère) de rayon R = 700 000 km orienté perpendiculairement à direction de la Terre, et que la Terre aussi soit un disque (aussi orienté perpendiculairement puisque je considère que le Soleil est au zénith) de rayon r = 6400 km : alors il y a πR² = 1.5×1018 mètres carrés de surface du Soleil qui éclairent πr² = 1.3×1014 mètres carrés de surface de la Terre ; la distance Terre-Soleil d étant la même que la distance Soleil-Terre (duh !), la Terre voit le Soleil comme πR²/d² = 6.8×10−5 stéradians d'angle solide et le Soleil voit la Terre comme πr²/d² = 5.7×10−9 stéradians d'angle solide. Si chaque bout de surface du Soleil a la luminance L de 1.6×109 cd/m² dans la direction de la Terre, alors le Soleil tout entier a l'intensité lumineuse L·πR² = 2.4×1027 cd dans la direction de la Terre, qui en reçoit donc (L·πR²)×(πr²/d²) = 1.4×1019 lm de flux total, qui se divisent en (L·πR²/d²) = 109 000 lx d'éclairement, laquelle vient d'un angle de πR²/d², donc la Terre voit bien L = 1.6×109 cd/m² d'éclairement par unité d'angle solide venant de la direction du Soleil. Pour résumer, soit je divise le flux total par πr²/d² et par πR², soit je le divise par πR²/d² et par πr², je vais bien tomber sur la même valeur, parce que je suis en fait en train de diviser par πr²·πR²/d² — c'est cette dernière quantité qui s'appelle l'étendue.

    J'ai pris un Soleil plat et une Terre plate dans mon exemple pour éviter le problème des angles sous lesquels les rayons partent et arrivent. Au niveau de la Terre c'est justifié par le fait que j'ai considéré un point tel que le soleil soit au zénith. Au niveau du Soleil, c'est justifié par le fait que le Soleil n'a pas une luminance uniforme dans toutes les directions mais qui suit approximativement la loi de Lambert (voir plus bas), laquelle a justement pour effet qu'il se comporte comme si c'était un disque de même rayon que la sphère, et orienté perpendiculairement à qui le regarde. (Et notamment, en première approximation, le Soleil a la même luminance, vu depuis la Terre, au centre qu'au bord. En fait ce n'est pas tout à fait vrai non plus, mais là aussi ça dépasse le cadre de ce que je veux évoquer ici.)

    Donnons quelques autres valeurs de luminance. D'abord, il y a le spectre du corps noir, c'est-à-dire un objet physique idéalisé qui émet un rayonnement électromagnétique du simple fait de sa température : ce spectre a une luminance qui dépend uniquement de la température, par exemple à 2040K (la température de fusion du platine, je prends cette valeur précise parce que c'est la définition d'origine de la candela) le corps noir a une luminance de 600 000 cd/m² ; à 3000K ça monte à 30 millions, à 4000K à 250 millions, à 5000K à 925 millions, et à 6000K à 2.2 milliards de candelas par mètre carré. Comme je viens de le signaler, ces valeurs peuvent servir à calibrer la candela.

    (Il y a deux phénomènes là-dessous : d'une part la loi de Stefan-Boltzmann qui prédit une augmentation en puissance quatrième de la température de l'intensité radiante, c'est-à-dire le nombre de watts par mètre carré et par stéradian. D'autre part, on s'approche de la sensibilité de l'œil humain, donc un même nombre de watts donne aussi plus de lumens : ce facteur « biologique » passe de 1.9 lm/W pour 2040K à 21 lm/W pour 3000K, à 55 lm/W pour 4000K, à 82 lm/W pour 5000K et à 94 lm/W pour 6000K, la courbe est ici sur Wikimédia. Si le Soleil est moins lumineux que ce qu'on attendrait de ces chiffres, c'est parce que ce n'est pas vraiment un corps noir, mais aussi et surtout parce que la valeur que j'ai donnée de la luminance du Soleil est après absorption par l'atmosphère.)

    Pour donner d'autres exemples de valeurs de luminance, la pleine lune a une luminance de l'ordre de 2500 cd/m². Pour un écran d'ordinateur typique, c'est autour de 200 cd/m². Si une surface est éclairée par une source de lumière, elle se comporte à son tour comme une source de lumière : lorsque la surface est réfléchissante, cela se fait en suivant les lois de la réflexion de l'optique géométrique (angle réfléchi égal à l'angle incident), mais pour une surface matte, le flux lumineux réémis total est égal au flux lumineux incident fois une constante appelée albédo, mais avec une répartition différente, approximativement modélisée par la loi de Lambert, et qui a notamment pour effet que la luminance dans la direction perpendiculaire vaut 1/π fois le produit de l'albédo et de l'éclairement reçu.

    (Du coup on devrait pouvoir en déduire une estimation de l'albédo de la Lune. Le calcul devrait ressembler à ceci : aux endroits où le Soleil est au zénith, la lune reçoit 109 000 lx du Soleil, comme la Terre — qu'il faudrait diviser par l'absorption atmosphérique, mais ce facteur se simplifiera donc oublions-le. Là-dessus, si elle se comporte comme un réflecteur lambertien, elle va réémettre 1/π fois l'albédo dans la direction perpendiculaire. Mais la valeur de 2500 cd/m² pour la luminance de la pleine lune est une moyenne sur l'ensemble du disque lunaire : la partie centrale, où le Soleil est au zénith, est plus lumineuse que le bord, et la moyenne doit être de la moitié du maximum pour la même raison que la loi de Lambert donne une intensité lumineuse égale à π fois la luminance dans la direction perpendiculaire, et pas 2π comme on pourrait le croire en multipliant par les 2π stéradians d'un demi-espace. Donc je suppose que c'est 5000 cd/m² au centre, qui doit valoir 109 000 lx fois 1/π fois l'albédo : ceci donne un albédo de 0.14, qui est bien la valeur que je trouve en ligne.)

☞ Résumé : le flux lumineux est une sorte de quantité de lumière totale, l'éclairement divise le flux par la surface à la cible, l'intensité lumineuse le divise par l'angle solide à la source, et la luminance revient soit à diviser l'intensité lumineuse par la surface de la source soit par diviser l'éclairement par l'angle solide à la cible, les deux reviennent au même parce qu'en fait on a divisé le flux total par une quantité appelée étendue qu'il faut que je définisse plus précisément.

*

☞ Précision sur les mesures du flux

Digression 1 : Je ne sais pas si j'ai été super clair là-dessus, alors je réessaie : chacune des quatre grandeurs « géométriques » que je viens de lister se décline aussi en (au moins) trois mesures de flux : le flux lumineux c'est-à-dire ajusté pour la sensibilité de l'œil humain, le flux énergétique, et le flux de photons. On a donc douze unités sensées pour mesurer une forme de luminosité :

Flux Flux par surface Flux par angle solide Flux par étendue
Lumineux Flux lumineux
lm
Éclairement
lx = lm/m²
Intensité lumineuse
cd = lm/sr
Luminance
lm/m²/sr = cd/m²
Énergétique Flux radiant
W
Irradiance
W/m²
Intensité radiante
W/sr
Radiance
W/m²/sr
Photonique Flux de photons
mol/s
?
mol/s/m²
Intensité photonique ?
mol/s/sr
?
mol/s/m²/sr

Pour un spectre donné, par exemple « la lumière solaire reçue au niveau du sol sur Terre un jour de beau temps avec le Soleil au zénith », les rapports entre les lignes sont constants. Pour une situation géométrique donnée, c'est le rapport entre les colonnes qui sont constants.

Pour un ordre de grandeur, le Soleil à sa surface émet quelque chose comme 1.8×109 cd/m² ou 2×107 W/m²/sr ou 150 mol/s/m²/sr de photons (colonne de droite) ; sur Terre en plein jour par beau temps avec le Soleil au zénith on reçoit quelque chose comme 1.1×105 lm ou 1.1×103 W/m² ou ~7×10−3 mol/s/m² de photons (deuxième colonne). Je ne suis pas sûr de la précision : il est apparemment impossible de trouver une source fiable donnant tous ces chiffres de façon cohérente entre eux (c'est extrêmement rageant), mais au moins les ordres de grandeurs devraient être bons.

(Et tout ça c'est sans compter les densités spectrales de toutes ces grandeurs !)

Digression 1½ : J'aurais du ajouter quelque part la remarque que la sensibilité de l'œil humain varie évidemment un peu, mais notamment que la sensibilité en conditions diurnes (vision photopique, où ce sont les cônes de la rétine qui réagissent) et nocturnes (vision scotopique, où ce sont les bâtonnets de la rétine qui réagissent) sont quand même assez différentes. Il faudrait donc sans doute plutôt parler de scotolumen, scotolux, etc., pour les faibles éclairements, parce que ce n'est pas directement comparables à des lumens, lux, etc., puisque la pondération est différente. Mon estimation de Sirius à 7µlx est faite à la louche, par exemple, je n'ai pas eu la patience de prendre le spectre de Sirius et de l'intégrer (avec l'absorption atmosphérique) contre la courbe de sensibilité scotopique : j'ai juste pris le rapport de puissance reçue du Soleil et de Sirius, et multiplié par un facteur approximatif de rendement du corps noir (parce que Sirius est plus chaud que le Soleil) : si quelqu'un veut faire plus précis, qu'il n'hésite pas à me dire.

*

☞ La loi de Lambert

Digression 2 : J'ai fait plusieurs fois référence à la loi de Lambert. J'aurais sans doute dû le faire de façon plus cohérente, donc cette note tente de réparer un peu les choses (surtout que je ne cesse moi-même de m'embrouiller à ce sujet).

La loi de Lambert (qui est suivie dans certaines conditions, par exemple par un corps noir idéalisé ou par une surface matte idéalisée, qu'on appelle donc des sources lambertiennes), donc, affirme que la luminance de certaines sources lumineuses étendues (à un point de surface et dans une direction donnée) suit une loi en cos(θ) où θ est l'angle entre la normale de cette surface (au point considéré) et la direction considérée. Mais par convention, quand on parle de luminance sans précision supplémentaire, on parle de luminance dans la direction perpendiculaire, donc si la source est lambertienne il faut implicitement ajouter ce cos(θ).

La loi de Lambert a la propriété que si on intègre ce facteur cos(θ) dans toutes les directions extérieures à la surface (2π stéradian, donc, pour un demi-espace), on tombe sur π. C'est-à-dire que pour convertir des candelas par mètre carré (de luminance dans la direction perpendiculaire) en lux (d'émission totale) il faut multiplier par π et pas par 2π.

Mais voici une autre propriété intéressante : si on regarde une source lumineuse sphérique et lambertienne depuis un point ⏿ suffisamment loin de celle-ci, le disque qu'on voit depuis ce point ⏿ a une intensité lumineuse constante sur sa surface apparente. Ceci est dû au fait que le facteur cos(θ) dans la loi de Lambert est compensé par un facteur 1/cos(θ) qui est simplement dû au fait qu'il y a plus de surface de sphère par unité d'angle solide quand on s'éloigne de son centre. Moralité : une sphère de rayon r qui est une source lumineuse lambertienne avec luminance L dans la direction perpendiculaire se comporte, vue depuis ⏿, exactement comme un disque de rayon r, perpendiculairement à la direction de ⏿, et qui soit aussi de luminance L dans la direction perpendiculaire (i.e., dans la direction de ⏿).

Tout ça c'est dit pour la source (quand celle-ci est une surface plutôt qu'un point). Pour la cible, si celle-ci est une surface plutôt qu'un point, on a aussi un facteur cos(θ) analogue dans l'éclairement, simplement dû au fait que l'éclairement est par unité de surface éclairée par le flux lumineux, et que si vous inclinez la surface vous avez plus de surface éclairée par le même flux. Il y a peut-être un raisonnement sioux basé sur la seconde loi de la thermodynamique qui explique le fait qu'on ait cos(θ) dans les deux cas, mais en tout cas mathématiquement ça fait partie des propriétés de l'étendue d'avoir ce facteur à la source et à la cible, cf. ce que je vais dire plus bas sur l'étendue de l'ensemble des droites rencontrant deux disques Δ₁ et Δ₂.

☞ L'étendue en géométrie euclidienne

Tout ceci étant dit, c'est quoi l'étendue ? Là je retire ma casquette de physicien de pacotille et je remets celle du matheux.

L'étendue, c'est une mesure sur l'ensemble des droites de l'espace (Euclidien affine, plus généralement de dimension m mais je vais prendre m=3 pour simplifier la discussion). De même que le volume sert à mesurer des ensembles de points, l'étendue sert à mesurer des ensembles de droites.

Il y a toutes sortes de façons de la définir, plus ou moins sophistiquées. En voici une que j'espère pas trop compliquée. Supposons que j'ai un ensemble 𝒞 de droites dont je veux calculer l'étendue. Pour chaque direction de droite D, je regarde les droites de 𝒞 ayant la direction D : ces droites sont toutes parallèles entre elles (puisqu'elles ont toutes la même direction, justement), et je considère leur réunion (qui est donc une sorte de cylindre de direction D), puis l'intersection de cette réunion avec un plan perpendiculaire aux droites (i.e., perpendiculaire à D), c'est-à-dire la base de ce cylindre, si on veut : ce qui m'intéresse est l'aire de cette intersection : appelons ça la « section » de 𝒞 dans la direction D. Maintenant je somme ça (i.e., j'intègre) cette valeur de section sur toutes les directions D possibles, avec la convention de normalisation que l'ensemble de toutes les directions a une mesure égale à la moitié de l'aire de la sphère unité (c'est-à-dire 2π [stéradians] lorsque l'espace est de dimension 3).

Autrement dit, on regarde pour chaque direction possible quelle est l'aire coupée perpendiculairement par les droites ayant cette direction, et on ajoute toutes les directions possibles.

Bon, peut-être que ce serait plus propre de définir l'étendue pour un ensemble de droites orientées, auquel cas on a tout naturellement 4π stéradians de directions possibles, et ça évite d'avoir un doute d'un facteur ½ sur la valeur finale. Surtout que les rayons, en optique, ont vraiment une direction. Sur les droites non-orientées, j'ai pris la convention que si on leur donne une orientation, mais une seule, on trouve la même étendue.

Là j'ai défini l'étendue en disant qu'on somme sur toutes les directions possibles et que, pour chacune, on regarde l'aire coupée perpendiculairement par les droites ayant cette direction. Mais on peut aussi faire le contraire : on fixe une fois pour toutes un plan Π de section, et pour chaque point p de ce plan Π on regarde l'ensemble des droites de 𝒞 qui passent par le point, mais cette fois-ci il faut intégrer avec un facteur cos(θ) où θ est l'angle entre la direction de la droite considérée et la direction perpendiculaire à Π (i.e., les droites perpendiculaires à Π comptent maximalement, et celles presque parallèles à lui ne comptent presque pas ; noter que si toutes les droites passant par p sont dans 𝒞, on va obtenir π pour ce point, puisque la moyenne de cos(θ) sur la demi-sphère supérieure vaut ½). L'égalité des deux expressions que j'ai données pour l'étendue résulte du théorème de Fubini-Tonelli, une fois observé que, si les plans Π et Π′ forment un angle θ, l'aire de la trace sur Π d'un paquet de droites perpendiculaires à Π′ est égale à l'aire de leur trace sur Π′ divisée par cos(θ). (Ce serait vraiment plus clair si je savais faire une figure.)

Notez que si toutes les droites passent par un même point l'étendue sera nulle (si vous voulez mesurer un tel ensemble de droites il faut juste prendre un angle solide), de même que si toutes les droites ont la même direction (si vous voulez mesurer un tel ensemble de droites il faut juste prendre une surface). L'étendue sert pour mesurer des ensembles de droites qui s'étalent en direction et en espace.

À titre d'exemple, si je considère B une boule de rayon r dans l'espace (fermée, disons), et que j'appelle 𝒞 l'ensemble des droites qui rencontrent B, alors quelle que soit la direction D on trouve un disque de rayon r comme section dans la direction D, c'est-à-dire qu'elle est d'aire πr², donc l'étendue de cet ensemble 𝒞 vaut exactement 2π²r². En revanche, si je considère un disque (plat !) Δ de rayon r dans l'espace (toujours fermé pour fixer les idées), l'ensemble 𝒞′ des droites qui rencontre Δ est cette fois d'étendue exactement π²r² (la moitié du cas précédent), ce qui va se voir avec la seconde description, car dans le plan qui contient Δ, pour chaque point p, soit on a pΔ et toutes les droites par p sont dans 𝒞′ (auquel cas le point pèse π comme je l'ai expliqué) soit pΔ et aucune droite de 𝒞′ ne passe par p (sauf des droites complètement dans le plan et qui comptent pour 0).

Pour prendre un autre exemple, si B₁ et B₂ sont deux boules (fermées, disons) de rayons respectifs r₁,r₂ dans l'espace, dont les centres sont distants de d > r₁+r₂, et que j'appelle 𝒞 l'ensemble des droites qui rencontrent à la fois Bet B₂, l'étendue de 𝒞 vaut asymptotiquement π²·r₁²·r₂²/d² lorsque d est beaucoup plus grand que r₁ et r₂ : le raisonnement ici est que vue depuis B₁ la boule B₂ apparaît sous l'angle solide π·r₂²/d², et que B₁ a une section π·r₁² perpendiculairement à cette direction reliant les centres des deux boules. (J'espérais une expression exacte, mais les réponses que j'ai obtenues à cette question MathOverflow suggèrent que ça ne doit pas exister.)

Si en revanche Δ₁ et Δ₂ sont deux disques de rayons respectifs r₁,r₂ dans l'espace, dont les centres sont distants de d > r₁+r₂, et θ₁,θ₂ sont les angles entre les normales à Δ₁,Δ₂ et la droite reliant leurs centres, l'étendue de l'ensemble 𝒞′ des droites qui rencontrent à la fois Δet Δ₂ vaut asymptotiquement π²·cos(θ₁)·cos(θ₂)·r₁²·r₂²/d² (le fait que Δ₁ et Δ₂ soient des disques n'a pas de pertinence ici : si ce sont de petits éléments de surface d'aire σ₁,σ₂ on trouve l'étendue cos(θ₁)·cos(θ₂)·σ₁·σ₂/d² pour l'ensemble des droites qui les rencontrent toutes les deux).

De façon plus sophistiquée, on peut définir l'étendue comme la mesure (finie sur les compacts et non nulle sur les ouverts) sur la Grassmannienne des droites de l'espace qui soit invariante par rotations et translations, avec la bonne normalisation donnée par un quelconque des calculs ci-dessus ; c'est-à-dire, comme la Grassmannienne peut se voir comme un quotient du groupe des isométries euclidiennes affines de l'espace par le sous-groupe de celles qui stabilisent une droite, qu'il s'agit de la mesure quotient de la mesure de Haar sur le groupe des isométries euclidiennes affines. (Mais bon, les lecteurs qui comprennent tout ça n'ont probablement pas besoin que je leur dise, donc je ne sais pas très bien pourquoi je le dis.)

La forme la plus simple de la conservation de l'étendue, c'est le fait que, dans la deuxième description que j'en ai faite, elle ne change pas quand on change le plan Π où on la mesure.

En optique, il faut voir ça comme une forme de mesure sur un paquet de rayons de lumière : la conservation de l'étendue sous la forme simple que je viens d'énoncer dit que (quand vous prenez un paquet de rayons qui se propagent en ligne droite dans le vide) quel que soit l'endroit où vous faites la mesure, l'étendue ne change pas — les rayons ne se perdent pas et n'apparaissent pas. Et la luminance que j'ai définie ci-dessus est une mesure de flux lumineux par étendue de rayon, c'est-à-dire la densité du flux lumineux dans l'espace des rayons.

Pour ce qui est des unités, l'étendue s'exprime en mètres carrés stéradians, puisqu'il s'agit d'une intégrale de mètres carrés sur toutes les directions possibles, ou de stéradians sur la surface d'un plan. Il est donc normal que la luminance s'exprime en lumens par mètres carrés stéradians, i.e., en candelas par mètres carrés ou en lux par stéradian.

☞ L'étendue en optique

Mais en optique, il y a mieux : ce que j'ai évoqué, là, c'est le cas trivial de la propagation en ligne droite dans le vide (ou dans l'air, en tout cas, dans un milieu unique d'indice de réfraction constant). Or la conservation de l'étendue s'applique même en cas de réflexion, et, à condition de changer un tout petit peu la définition de l'étendue, de la réfraction. Le petit changement c'est que pour définir l'étendue optique, on prend l'étendue géométrique que j'ai définie ci-dessus et on la multiplie par l'indice de réfraction du milieu où se propagent le paquet de rayons.

Ce facteur d'indice de réfraction n'a pas d'importance si on considère les rayons dans l'air en entrant et en sortant d'un jeu de lentilles (l'étendue à l'intérieur des lentilles va être affectée par le facteur, mais en sortie il se compense, et comme l'indice de réfraction de l'air est très proche de 1 on peut identifier étendue optique et géométrique). Donc n'importe quel jeu de lentilles et de miroirs va préserver l'étendue, et, du coup, la luminance comme le flux lumineux total. Ou plus exactement, va préserver l'étendue des rayons qui ne sont pas perdus (parce que si vous en absorbez un bout, forcément c'est une autre histoire : des rayons peuvent être partiellement absorbés auxquels cas leur luminance décroît, ou peuvent se perdre hors du système optique auquel cas l'étendue décroît). Mais globalement, la conservation de l'étendue signifie que si vous concentrez les rayons en angle vous devez les écarter en espace et si vous les concentrez en espace vous devez les écarter en angle.

Là aussi, il y a des façons savantes de dire les choses. Par exemple, la conservation de l'étendue doit être un cas particulier du théorème de Liouville sur la conservation du volume d'espace des phases dans la formulation hamiltonienne de l'optique géométrique, c'est certainement écrit quelque part sur Wikipédia… oui, c'est écrit sur Wikipédia. Peut-être qu'il y a aussi moyen de relier la dernière phrase du paragraphe précédent avec le principe d'incertitude de Heisenberg (si on veut savoir où vont les rayons on ne peut pas savoir où ils sont, et vice versa), mais je ne sais pas si je ne pipote pas, là.

En tout cas, une conséquence de la conservation de l'étendue dans les systèmes optiques est la suivante : on ne peut pas utiliser la lumière de la Lune pour démarrer un feu avec une loupe, un fait très bien expliqué par xkcd What If. Dans le cas du Soleil, on 1.6 milliards de candelas par mètre carré de luminance avec laquelle travailler, ou plutôt, comme c'est le flux énergétique plutôt que le flux lumineux qui importe, quelque chose de l'ordre de grandeur de 15MW/sr/m² de radiance (= analogue énergétique de la luminance) par beau temps sous l'atmosphère, et ce n'est pas difficile de s'en servir pour faire brûler quelque chose, parce que la loi de Stefan-Boltzmann nous dit que c'est en équilibre avec un corps noir à quelque chose comme 5400K ; en revanche, dans le cas de la Lune, on a plutôt quelque chose comme 2500cd/m², ou 24W/sr/m² si je suppose une bête proportionnalité entre flux énergétique et flux lumineux (je ne sais pas si c'est bien justifié ici, mais ça ne doit pas être trop délirant), et ce serait donc en équilibre avec un corps noir à… 190K, soit −83°C, même pas assez pour faire fondre de la carboglace. Et vous aurez beau faire tous les dispositifs optiques que vous voulez, vous ne pouvez pas changer cette luminance (ou radiance), à cause de la conservation de l'étendue, donc impossible de démarrer un feu à la lumière de la Lune avec une loupe.

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