David Madore's WebLog: Il faut qu'on parle des pubs en ligne et du financement du Web

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(mardi)

Il faut qu'on parle des pubs en ligne et du financement du Web

Ce qui motive ce billet (qui traîne depuis un moment dans mes cartons) est que j'entends de plus en plus de gens dire que YouTube s'est mis à bloquer leur bloqueur de pub. Le mien (Adblock Plus, à ne pas confondre avec AdBlock, ils n'ont pas plus de rapport qu'un lointain ancêtre commun, oui, c'est très confusant) continue à marcher, ou peut-être que YouTube a décidé de ne pas me servir de pub ou peut-être que je ne fais pas (encore ?) partie de la population sur laquelle il teste le bloqueur de bloqueur de pub, mais j'imagine que je vais tomber sur le problème tôt ou tard, et devoir soit me passer de YouTube soit perdre du temps pour trouver comment bloquer le bloqueur de bloqueur de pub, temps qui aurait été bien plus agréablement perdu à regarder YouTube. En tout cas je n'imagine pas du tout de regarder leurs pubs, et leur abonnement Premium coûte un prix complètement déraisonnable (eu égard à une estimation raisonnable à la fois du coût marginal que je leur fais subir et de ce que je pourrais leur rapporter en pubs) donc je ne l'envisage pas non plus.

Mais laissant de côté le cas particulier de YouTube, il faut dire clairement que le financement d'Internet est un problème fondamental auquel personne n'a de réponse satisfaisante. Je n'ai pas de lumière particulière à apporter, mais je peux au moins décortiquer le problème par le menu comme c'est la spécialité de ce blog.

☞ Le modèle de financement du Web est pourri

Je faisais remarquer il y a quelques mois dans cette entrée sur la préservation de l'information que pour rendre une information disponible sur le Web, il faut payer, et payer en permanence (si bien que quand un individu décède ou une compagnie fait faillite, les informations disparaissent) : c'est une conséquence structurale de la manière dont le Web fonctionne (voir cette autre entrée pour de la vulgarisation à ce sujet), à savoir que des serveurs doivent tourner en permanence pour être prêts à répondre aux requêtes des navigateurs. Par exemple, s'agissant de ce blog, il est hébergé sur un serveur que je loue avec de l'argent qui sort de ma poche : j'ai des raisons diverses de vouloir faire ça (allant de la vanité de disséminer mes idées à la commodité de pouvoir moi-même relire à tout endroit sur mon téléphone un truc qui me sert largement de bloc-notes) ; mais même si je voulais demander à mes lecteurs de participer au financement de son hébergement, ce ne serait pas du tout évident.

C'est complètement différent du modèle d'un livre où non seulement l'objet ne disparaît pas quand son auteur décède (je parle ici des vrais livres sur papier, pas les e-books qui disparaissent quand la compagnie qui vous l'a loué en faisant semblant de vous le vendre décide de vous retirer son bon vouloir), mais aussi, même si quelqu'un doit payer des frais d'édition initiaux, le lecteur contribue assez naturellement à les rembourser, même pour un livre pour lequel aucune propriété intellectuelle ne s'applique (i.e., le prix concerne le processus d'édition et pas la rémunération de l'auteur).

Il me semble que c'est un problème fondamental, dont les conséquences expliquent beaucoup des problèmes du Web à travers les moyens tous pourris qu'on a de contourner de problème. Hélas, je n'ai pas de meilleur système à proposer (les choses comme IPFS ont peut-être du potentiel, mais il faut reconnaître que ça ne marche pas pour l'équivalent d'un site Web, et en plus ce type de modèle est maintenant teinté par la culture toxique des cryptomonnaies).

☞ Les quatre modes de financement principaux

Les modes de financement du Web qu'on a trouvés pour contourner ce problème fondamental du il faut payer pour héberger et pas pour lire semblent se limiter aux suivants :

  • Baisser les bras, i.e., accepter la réalité du fait qu'il faut payer pour héberger. Cela peut s'expliquer si, par exemple, l'hébergeur est une institution qui a dans ses missions de communiquer (on comprend par exemple ainsi le fait que la Bibliothèque Nationale de France paye pour mettre en ligne énormément de livres qu'elle a scannés) ou si cette communication sert à sa mission ou lui est autrement profitable (le plus évident étant une entreprise commerciale qui a besoin d'exister en ligne pour que ses clients la trouvent). De tels sites Web sont donc gratuits et sans pub ni abonnement (ou éventuellement ils sont intégralement de la pub pour leur auteur ; je suppose qu'on peut aussi ranger dans cette catégorie tous les sites marchands où le site est gratuit parce que les produits qu'on y achète sont payants).

  • Faire appel à la bonne volonté des visiteurs, i.e, leur demander de contribuer au financement du site sans pour autant en faire une condition sine quā non de son utilisation, soit en payant directement, soit en achetant des goodies (genre tee-shirts ou autocollants) dont on comprend bien qu'ils n'ont pas d'autre intérêt que de matérialiser une contribution financière. Wikipédia utilise ce modèle, ce qui prouve qu'il peut fonctionner à grande échelle ; mais il reste qu'il est très compliqué en pratique de payer une petite somme d'argent à plein de sites qu'on trouve un petit peu utiles (on ne sait pas faire fonctionner de système pratique de micropaiements), et c'est aussi assez horripilant d'être constamment bombardé de messages du type ce site est payé par vos contributions : s'il vous plaît, pensez à visiter la page de dons.

  • Fonctionner sur un système d'abonnements, i.e., le site n'est accessible qu'aux gens qui payent.

  • Ou enfin, bien sûr, mettre des pubs.

Toutes sortes de compromis sont possibles entre ces systèmes : par exemple, il est fréquent que le site soit payant mais que quelques parties soient quand même gratuites histoire d'allécher le client potentiel (les journaux en ligne payant mettent souvent une poignée d'articles en accès libre ainsi que le début de tous leurs articles, ou quelque chose come ça) ; ou inversement, le site est gratuit, mais pour inciter à donner on réserve quelques fonctionnalités supplémentaires aux donateurs/abonnés ; ou encore, le site est gratuit mais chargé de pubs et on peut payer pour avoir une version sans pubs.

☞ Ce qui ne va pas avec eux

Soyons bien clairs : tous ces systèmes sont pourris. Si je dois absolument choisir mon poison, le système le site est gratuit mais quelques fonctionnalités supplémentaires sont payantes ou le site est gratuit, mais les abonnés ont accès aux informations en avance me semble le moins mauvais, mais aucun des quatre grands systèmes que j'ai décrits ne fait plus que répartir la merde d'un problème fondamental. Il n'est pas normal qu'un site utile soit payé par ses auteurs, mais il n'est pas non plus normal qu'on ait à supplier les lecteurs (et donc les emmerder) ou les culpabiliser pour obtenir une petite obole ; les sites fonctionnant sur abonnement sont coupés du Web et cassent son modèle de partage de l'information ; et les pubs sont une calamité parce qu'elles transforment le lecteur en ennemi qu'il s'agit de duper, ce qui ne peut qu'aboutir à une guerre. Bref, ces quatre modèles sont complètement pourris : différemment pourris, mais complètement pourris quand même.

Pour détailler un petit peu, le premier problème avec les sites fonctionnant sur abonnement, c'est qu'ils empêchent de partager les informations par un lien. Si je m'abonne à un journal en ligne, je vais avoir accès aux articles de ce journal, mais ce qui m'intéresse n'est pas juste de pouvoir les lire mais aussi de les montrer à mes amis, de pouvoir les citer sur mon blog, ce genre de choses : le partage de l'information est le principe même du Web, et si je ne peux pas faire toutes ces choses, je préfère ne pas avoir accès à l'information du tout. Et symétriquement, de temps en temps je vois passer des liens sur les réseaux sociaux pointant vers des articles auxquels je n'ai pas accès : qu'est-ce que vous voulez que je fasse de choses comme ça ? Je ne vais pas m'abonner pour lire un unique article (encore une fois : les micropaiements ne marchent pas et c'est un drame), donc ce genre de liens ne font que m'irriter à la fois contre la personne qui me nargue avec un lien auquel je n'ai pas le droit d'accéder comme si elle me montrait une photo de l'intérieur de son club exclusif, et contre l'auteur du contenu.

Un système un peu plus malin est celui où chaque abonné, en plus du droit d'accéder à l'ensemble des contenus couverts par son abonnement, a le droit d'en partager un certain nombre, c'est-à-dire de créer des liens qui seront accessibles aussi par les non-abonnés. Mais ces systèmes ont forcément des limites, parce que les auteurs du site ont peur qu'un petit nombre de lecteurs se regroupent pour partager tous les articles et créent ainsi une version gratuite du site : probablement, chaque lien de partage ne marchera qu'un nombre donné de fois ou autre limitation à la con.

Plus fondamentalement, le problème avec les sites sur abonnement, c'est qu'ils ne font pas vraiment partie du Web, c'est-à-dire du Web ouvert, public, recherchable et (certes imparfaitement mais néanmoins un peu) archivé. Les problèmes déjà pénibles d'accès et de préservation de l'information sur le Web sont donc encore empirés sur ce non-Web. Si je m'abonne à un site payant, je vais devoir mettre en place un mécanisme pour sauvegarder tout ce que je consulte dessus, parce que je risque de perdre l'accès si mon abonnement expire et parce que l'Internet Archive ne l'archivera pas pour moi : ça va me prendre plus de temps et d'efforts que l'abonnement n'en vaut, donc je préfère laisser tomber.

Reste la solution des pubs.

☞ Les problèmes avec les pubs

Je pense qu'il est inutile que j'explique pourquoi les pubs sont pénibles. Par définition, elles essayent de vous distraire de ce que vous essayiez de lire, elles essayent de monétiser votre attention, elles essayent de vous manipuler. À partir du moment où on commence à avoir des pubs sur un site Web, c'est une relation adversariale qui s'installe entre le site et ses lecteurs, et c'est forcément malsain.

Mais ce n'est pas tout : beaucoup de pubs en ligne ne sont pas juste pénibles, elles sont dangereuses : comme il n'y a aucune sorte de régulation ni de contrôle de qualité, cliquer dessus (même depuis un site a priori respectable comme YouTube) peut vous emmener vers des sites d'arnaques, de malware, de hameçonnage ou toutes sortes d'autres abus (qui sont ou qui devraient être illégaux). Bloquer les pubs n'est pas juste une façon de protéger son cerveau contre les tentatives de manipulation, c'est aussi une façon de protéger son ordinateur et son compte en banque.

☞ À quoi ressembl(erai)ent des pubs acceptables

Bon, nuançons quand même un peu. Il y a quelques sites qui me semblent ou me semblaient avoir trouvé un format de pub à peu près acceptable. Un exemple était Twitter avant son rachat par le cinglé de la conquête martienne : pubs insérées dans le flux des messages auxquels on est normalement abonnés, étiquetées comme pub mais sans autre format spécial, prenant la même forme qu'un tweet normal ce qui fait qu'elles ne peuvent pas être ni trop longues ni trop distrayantes (pas de vidéo qui démarre automatiquement, notamment) ; la qualité des pubs restait affligeant (malgré tout ce que j'ai écrit sur Twitter, il n'a jamais réussi à cibler correctement mes intérêts, c'est fascinant de nullité), mais au moins la forme était raisonnable et le contenu semblait passablement safe. (Bon, le racheteur de Twitter supposément génial a ensuite déclaré qu'il détestait les pubs, fait fuir tous les annonceurs mainstream (et les a même envoyés se faire foutre), il a augmenté la densité de pub au-delà du niveau acceptable, et attiré un nombre important d'arnaqueurs ou d'indélicats. Donc je ne considère plus du tout Twitter comme un exemple de pubs acceptables… mais il l'eut été.) D'autres exemples pourraient être Google (liens sponsorisés dans les réponses à certaines recherches) ou certains blogs qui publient occasionnellement un billet sponsorisé et correctement étiqueté comme tel.

Ma définition d'une insertion de pubs acceptable, pour moi, c'est un système où la majorité des lecteurs du site ne vont pas les trouver chiantes, ne vont pas se dire « si seulement j'avais un bloqueur de pub », bref, où ces pubs ne créent pas une relation adversariale entre le site et le lecteur. (Il y aura toujours des gens pour trouver toute forme de pub insupportable, mais si l'agacement moyen est suffisamment faible, il peut théoriquement être compensé par la satisfaction des rares lecteurs qui apprécient de tomber occasionnellement sur une pub qui matche leurs intérêts.)

Reste que l'écrasante majorité des pubs en ligne est pénible et même agressive, et les quelques rares exemples de bonne conduite servent surtout à montrer la distance gigantesque qui sépare ce qu'un lecteur (en tout cas tel que moi) considère comme acceptable et ce que la plupart des sites voudraient lui faire ingurgiter comme contenu : apparemment les pubs raisonnables de Twitter ne suffisaient pas (ou tout juste) à rendre le site rentable, donc peut-être qu'il n'est pas possible d'y arriver sans se comporter comme un goujat.

☞ La guerre entre sites et utilisateurs

Dans ces conditions, il n'est pas surprenant que les utilisateurs cherchent à se protéger avec des bloqueurs de pubs. Et dès lors, il est inévitable que les sites déploient des bloqueurs de bloqueurs de pubs, et ainsi de suite dans une sorte de jeu de chat et de souris complètement futile : si on traite ses visiteurs comme des ennemis, ce qui est le principe des pubs, il n'est pas surprenant que ça tourne en guerre.

De ce que je comprends, dans le cas de YouTube on en est au point où les bloqueurs de pub sont mis à jour quotidiennement, et Chrome (qui est développé par Google/Alphabet, qui possède YouTube : je ne comprends d'ailleurs pas pourquoi Google/Alphabet ne se fait pas séparer en plusieurs morceaux pour l'abus de position dominante que ce genre de manœuvres démontre) fait exprès de ralentir leur mise à jour.

Cette guerre est contre-productive quel que soit le point de vue qu'on adopte. Pour les lecteurs du site, c'est évident que c'est pénible qu'on leur fasse la guerre. Mais c'est aussi contre-productif pour le site de traiter ses lecteurs comme des ennemis (duh!) : si ça ne les fait pas fuir, ça va les disposer défavorablement contre tout produit dont ils voient la pub malgré tous leurs efforts pour ne pas en voir, et qui vient interrompre le contenu qu'ils ont envie de voir. (Le strict minimum de non-bellicosité est d'avoir un bouton « fermer » — ou « sauter » dans le cas d'une vidéo — sur toute pub qu'on montre. Si l'utilisateur n'a pas envie de voir votre pub, au fond, c'est que votre pub est de la merde.)

Pour le dire de façon plus concise : si quelqu'un n'a pas envie de voir vos pubs, il n'aura pas non plus envie d'acheter vos produits ; et s'il n'a pas envie d'acheter vos produits, vous n'avez pas intérêt à lui montrer des pubs.

☞ La complexité de la responsabilité

Les questions légales sous-jacentes sont assez complexes. Certains ont avancé l'argument que la propriété intellectuelle sur un site Web interdit qu'on le modifie pour, notamment, en retirer les pubs. C'est le genre d'arguments fondé sur une interprétation scandaleusement maximaliste de la notion de propriété intellectuelle, un peu comme les architectes qui prétendent avoir un droit de regard sur l'usage qu'on fait des bâtiments qu'ils ont conçus, qui devrait faire rire… si ce n'était que les lois sur la propriété intellectuelle (adoptées à grands coup de lobbying) sont effectivement maximalistes au-delà de ce que toute morale ou raison ne saurait justifier : donc peut-être bien que l'argument est juridiquement tenable (sur le plan éthique, évidemment, il mérite juste qu'on en rie). Mais même légalement, ce n'est pas clair, dans le cas où les pubs sont fournies par un service tiers dont il est très difficile de prétendre qu'il s'inscrit dans une démarche artistique ou créative de conception du site. Et surtout, ce n'est pas clair que les auteurs du site aient envie d'être considérés comme les auteurs des pubs (pour pouvoir invoquer un argument de propriété intellectuelle autour du droit d'auteur), à cause du risque d'être aussi tenus aussi pour juridiquement responsables du contenu de ces pubs.

Parce que c'est là un autre élément qu'il faut souligner sur les pubs en ligne : il y a tellement d'intermédiaires entre l'auteur du site qui héberge des pubs et l'utilisateur, entre les auteurs des pubs et les différents agents qui vendent de l'espace publicitaire, qu'on ne sait pas qui est responsable de quoi (et qui attaquer lorsque l'utilisateur se voit présenter des pubs dangereuses, trompeuses, haineuses ou illégales pour n'importe quelle raison).

☞ À la recherche d'une solution

Bon, alors qu'est-ce qu'on peut faire dans tout ce merdier ? Je répète que je n'ai pas de solution, et certainement pas de solution magique.

Dans le modèle actuel, je le disais plus haut, le moins merdique à mes yeux est sans doute de proposer un système d'abonnement payants où la version payante propose des avantages divers. Reste à savoir quels avantages : l'absence de pubs dans la version payante semble tout à fait insuffisante, parce que ça débouche sur la même relation adversariale avec les gens qui installent un bloqueur de pubs (ou alors il faut acter de façon réaliste le fait que ces utilisateurs-là ne veulent vraiment pas voir de pubs et ne rapporteront pas de revenus publicitaires de toute façon). Ça peut être l'accès à des contenus avant les autres, ou quelque chose de ce genre. Si j'étais Monsieur YouTube, par exemple, j'arrêterais de faire la guerre aux bloqueurs de pubs et je proposerais plutôt un abonnement pour pouvoir voir des vidéos en résolution supérieure à 720p (disons), sans doute avec différents niveaux de prix, un truc de base vraiment pas cher (calculé selon une estimation raisonnable du coût marginal, bref pas du tout comme YouTube Premium) permettant de voir du 1080p ou plus, et des niveaux plus élevés qui donnent accès à des contenus vraiment payants. Ceci permettrait de dire que les vidéos YouTube continuent à faire partie du Web et sont accessibles gratuitement de tous, mais pour les voir en haute qualité il faut payer, ce qui n'est pas déraisonnable. Je continuerais à mettre des pubs sur YouTube pour les non-abonnés, mais en proposant une façon simple de les sauter, et sans faire de guerre aux bloqueurs de pubs, dans la logique que ces gens ne rapporteront de toute façon pas d'argent en pubs. (Notons que je décris ici ce que je ferais si j'étais à la place de YouTube : je ne prétends pas que ça me plairait en tant qu'utilisateur si YouTube faisait ça, mais ce serait toujours moins déplaisant qu'une vraie guerre.)

☞ La piste d'une licence globale payée par redevance

Bon, mais si je devais proposer un changement un peu plus profond du Web, j'ai aussi quelques idées, qui prennent essentiellement la forme d'une licence globale financée sur les abonnements Internet.

En gros, ce qu'il me semble, c'est que les internautes devraient payer pour financer le contenu du Web sous forme de redevance sur le prix de leur abonnement Internet. Cette redevance (obligatoire) devrait représenter une proportion fixe du prix de l'abonnement, mais la distribution serait ensuite librement fixée par l'internaute qui la paye, en fonction de ses propres goûts ou des sites/contenus auxquels il veut apporter une contribution. (Je parle ici plutôt des sites ouverts qui tendent actuellement à être financés par de la pub ou des appels à contributions bénévoles, pas forcément des choses comme Netflix qui ont un modèle différent et pour lesquels le modèle par abonnement se défend plus même s'il y a des choses à en dire aussi.)

☞ Une description un peu plus précise d'une proposition possible

En un peu plus précisément, ça pourrait prendre concrètement la forme suivante :

Mettons qu'un pays comme la France (ou, mieux, l'Union européenne) décide de mettre en place ce système de redevance pour licence globale. Les sites qui choisissent d'y participer s'enregistrent dans un registre national qui leur permettra de toucher une part de la redevance : les formalités doivent être minimales pour qu'un simple particulier blogueur puisse les remplir (donc pas d'obligation d'être une entreprise ; mais ça peut imposer, par exemple, de montrer qu'on est sujet à la loi du pays en question, soit parce qu'on y réside soit parce qu'on y a une représentation légale sérieuse). Ils placent dans les en-têtes techniques du site un numéro d'inscription dans ce registre. Une extension ad hoc du navigateur va alors noter le temps que l'utilisateur passe sur le site en question : ces statistiques ne sont pas envoyées à qui que ce soit, elles sont simplement collectées localement par le navigateur pour aider l'utilisateur à faire ses propres décisions de répartition.

En contrepartie de leur réception d'une partie de la redevance, les sites ne doivent montrer aucune sorte de pub aux utilisateurs venant des pays dont ils affichent un numéro de registre (la pénalité serait une désinscription du système) : je n'aime pas la géolocalisation en général, mais le principe de ne pas montrer des pubs dans les pays qui ont mis en place un système de redevance me semble acceptable de ce point de vue-là.

Tous les ans, l'utilisateur doit remplir un formulaire de répartition de sa redevance, laquelle représente une part fixe du prix de l'abonnement Internet : c'est-à-dire qu'il doit décider à qui cette redevance sera versée, parmi les sites inscrits au registre. Pour simplifier le travail, l'extension du navigateur évoquée peut préremplir (au moins outil par outil : ordinateur, tablette, smartphone) une répartition proposée par défaut (au temps passé), sachant que l'utilisateur reste le maître total de la répartition, peut décider d'exclure n'importe quel site, ou d'en inclure un autre, ou de changer n'importe quoi — sauf le montant total, qui est fixe. L'idée c'est que l'écrasante majorité des utilisateurs se contenteront de cliquer sur accepter ce que l'extension du navigateur leur propose comme formulaire prérempli : donc le choix par défaut a beaucoup d'importance, et c'est essentiel qu'il contienne des stats raisonnables.

Pour permettre une couche d'anonymat (car, après tout, si je veux verser ma redevance à un site porno, je n'ai pas forcément envie que ça se sache ; et je profite de cette parenthèse pour rappeler que le porno n'a rien d'illégal ni d'immoral et que c'est un bon « canari » des libertés sur Internet au sens où tout ce qui menace le porno est généralement le signe qu'on compte menacer autre chose aussi mais qu'on commence par le porno parce que personne n'aime se lever pour le défendre en disant qu'on en regarde), et pour éviter que ce soient les fournisseurs d'accès Internet qui fassent la répartition de la redevance, il vaut mieux que chaque abonnement internet reçoive un numéro d'anonymat créé par le fournisseur : l'agence de répartition de la redevance (ou les agences si elles relèvent du secteur privé concurrentiel) reçoit des fournisseurs d'accès le montant des redevances la concernant, et reçoivent des internautes, sous forme anonymisée par leur numéro la répartition qu'ils souhaitent donner à leur redevance, et elles opèrent alors cette redistribution aux sites inscrits dans le registre national (en prélevant une part fixée légalement pour leur propre fonctionnement, parce que tout ce système a évidemment un coût).

☞ Ce n'est certainement pas une solution parfaite

Tout ça est assez évident, et quiconque réfléchit cinq minutes au problème arrivera certainement à des idées équivalentes. Donc je ne prétends pas avoir décrit là une solution, mais une piste de moindre merdicité. Ce système souffre de pas mal de défauts évidents, et on peut apporter un certain nombre de correctifs (par exemple imposer une proportion maximale de la redevance de chaque internaute qui aille vers un site donné, pour éviter de se rétropayer en créant un site Web bidon, même si honnêtement, quelqu'un qui va faire l'effort de faire ça, autant le laisser). Mais ces divers inconvénients me semblent toujours moins graves que le système catastrophiquement pourri dans lequel on est maintenant, où des sites Web comme YouTube font la guerre à leurs propres utilisateurs et où on en est à parler de casser les fondements mêmes du Web à travers des choses comme la Web Integrity (j'en ai parlé dans un bout de ce billet récent).

En outre, il est intéressant de remarquer que le modèle de redevance sur les abonnements Internet pour payer une partie du contenu est déjà plus ou moins ce qui a cours en France (je ne sais pas bien à quel point c'est valable dans d'autres pays), mais pour un type de contenu assez étroit, et ce, à deux niveaux. D'abord, quand on prend un abonnement Internet pour particuliers, on se retrouve par défaut avec une « box » qui en plus de faire point d'accès Internet propose aussi des chaînes de télé diverses (au-delà de celles qui sont diffusées par la TNT) : je suppose que les fournisseurs d'accès payent les chaînes de télé en question : ce que je propose c'est essentiellement qu'un système de ce genre puisse servir à payer des contenus choisis par l'internaute (et pouvant aller de YouTube à un webcomic ou simple blog de particulier) au lieu d'un bouquet de chaînes télé standardisé par l'opérateur.

L'autre niveau, c'est qu'il est régulièrement question en France (je ne sais pas ce qu'il en est sur les abonnements Internet, mais c'est déjà le cas sur toutes sortes d'autres choses comme les disques durs, cartes SD et autres supports mémoire) d'une taxe versée aux artistes-créateurs appelée pudiquement et hypocritement redevance sur la copie privée. En fait, je ne suis pas par principe contre ce système (comme je l'explique au-dessus) : mais ce qui est scandaleux dans l'histoire, c'est que les bénéficiaires de cette redevance sont décidés par un système complètement opaque et pas par les votes des internautes (ou acheteurs de disques durs, etc.) : c'est-à-dire que, comme la France en a le secret, c'est en fait un système quasi-mafieux qu'organise le ministère de la Culture au nom de l'« exception culturelle ». Donc ma proposition est principalement qu'on abolisse ce comité, qu'on laisse les internautes décider eux-mêmes qui ils veulent payer avec leur taxe, et que les sites Web quelconques soient éligibles à condition de ne pas avoir de pub.

Bon, j'arrête ici ce rant, qui commence à me gonfler, mais terminons quand même par un lien vers cette vidéo YouTube sur essentiellement le même sujet et qui poursuit la réflexion dans une direction un peu différente de moi.

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