David Madore's WebLog: Réchauffement climatique et événements extrêmes

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(mardi)

Réchauffement climatique et événements extrêmes

Je veux ici apporter quelques embryons de réponse, mais surtout beaucoup d'interrogations, sur la question suivante : dans quelle mesure et pourquoi le réchauffement climatique est-il responsable d'événements extrêmes (canicules, sécheresses, pluies très fortes, vents violents, etc., et même, éventuellement, épisodes de froid intense) ? C'est une question très importante, qu'il faut arriver à communiquer correctement au public, et je trouve que ce n'est pas du tout bien fait, à tel point que même en disposant d'une — ahem — culture générale que j'espère correcte en thermodynamique, planétologie et météorologie, je ne trouve vraiment pas la réponse très claire.

Le problème quand on parle de réchauffement climatique de 1°C, 2°C, 3°C, 4°C par rapport à la période pré-industrielle, c'est qu'il s'agit de températures globales moyennes (moyennées sur l'ensemble de la surface de la Terre et sur une période assez longue). Il est tentant de se dire que si les températures augmentent de 2°C en moyenne, les pics de chaleur augmenteront aussi de 2°C, et comme zéroième approximation ce n'est pas stupide ; mais le fait est que même si on soustrait 1.5°C (ce qui est une borne supérieur du niveau actuel de réchauffement, au moment où j'écris, par rapport aux niveaux pré-industriels) aux records de chaleur récents, ils continuent à paraître extrêmement exceptionnels en comparaison aux données historiques. Ceci est le résultat de possiblement trois effets différents :

  • le changement climatique n'est pas uniforme dans l'espace : certaines régions du globe se réchauffement moins que d'autres (très sommairement, les terres émergées se réchauffent plus que les océans, l'hémisphère nord plus que l'hémisphère sud, et l'Europe et l'Amérique plus que l'Afrique et l'Asie du Sud-Est) ;
  • le changement climatique n'est pas uniforme dans l'année (très sommairement, les températures minimales ont tendance à augmenter plus que les températures maximales, ce qui devrait au contraire avoir tendance à faire que les extrêmes augmentent moins que la moyenne, mais cette tendance n'est pas forcément vraie partout) ;
  • le changement climatique n'est pas uniforme en probabilité, au sens où il n'effectue pas une simple translation de la distribution de probabilité des températures à une date et un lieu donnés, mais augmente peut-être aussi leur variance.

Concernant le dernier point, il n'y a aucune contradiction a priori à ce que les extrêmes de froid deviennent de plus en plus froids en même temps que les extrêmes de chaud deviennent de plus en plus chauds dans le cadre d'une augmentation générale de la moyenne ; cela pourrait être vrai de façon systématique, ou à certains endroits (par exemple, en Europe, si le gulf stream diminue en intensité et que le climat européen devait être moins tempéré par l'influence océanique, on pourrait très bien imaginer que, dans un contexte de réchauffement climatique global, Paris se retrouve avec un climat proche de Winnipeg qui est, après tout, à peu près à la même latitude) ; néanmoins, à ce que je comprends, ce n'est pas le cas, les extrêmes de froid devraient devenir moins extrêmes à peu près partout sur la planète.

Les informations sur tous ces points sont assez difficiles à trouver, surtout s'il s'agit de donner des ordres de grandeur chiffrés, et notamment une séparation des trois effets que je viens de lister. Les modèles climatiques sont très bons pour des moyennes, mais pas très bons pour prévoir des phénomènes localisés dans l'espace, et encore moins les événements rares ; ils sont tellement coûteux en puissance de calcul qu'on ne peut pas les faire tourner un nombre considérable de fois (avec des petites perturbations initiales) pour obtenir une distribution raisonnable de probabilités.

Cette vidéo de Sabine Hossenfelder (dont j'ai déjà dû dire du bien un certain nombre de fois) explique assez bien les enjeux de la question et la difficulté à attribuer au changement climatique la responsabilité des événements externes précis, donc il faut au moins que je la mentionne au passage.

Par ailleurs, même une fois des informations calculées par les modèles, il reste encore la question pas du tout évidente de comment les présenter (surtout s'il s'agit de tenir compte à la fois du lieu, de la période de l'année, de l'horizon temporel, du scénario de réchauffement climatique envisagé, et de la borne de probabilité considérée : il n'est pas évident de rassembler en un seul graphique des informations comme à Paris, entre juin et août, sur la période 2040–2070, dans un scénario d'émissions standardisé conduisant à un réchauffement global de 4°C, les températures maximales typiques sur un intervalle de 10 ans vont augmenter de x°C avec un intervalle de confiance à 95% de y°C — il y a un peu trop de paramètres à rassembler).

Voici néanmoins trois sources qu'on m'a signalées et qui offrent au moins une vue d'ensemble sur ce à quoi on peut s'attendre :

  • Le chapitre 11 (Weather and Climate Extreme Events in a Changing Climate) de la partie WG I (Climate Change 2021: The Physical Science Basis) du sixième rapport d'évaluation du GIEC. (Oui, la nomenclature est compliquée, donc pour que vous ne vous perdiez pas dans ce système merdique, voici le lien direct vers le chapitre dont je parle.) Oui, ce seul chapitre fait 254 pages, mais on peut au moins lire le résumé, l'introduction et la FAQ, et les lignes des régions auxquelles on est intéressé dans les grandes tables à la fin.
  • Concernant la France métropolitaine spécifiquement, le rapport Nouvelles projections climatiques de référence DRIAS 2020 pour la métropole du projet DRIAS (les futurs du climat). (Lien direct vers le rapport.) Ce rapport fait 98 pages, mais on peut au moins lire les deux pages de synthèse, p. 68–69.
  • Le site web de l'organisation Berkeley Earth a aussi des données intéressantes, mais c'est un peu le bordel pour s'y retrouver.

Je n'ai pas réussi à retrouver la source précise du graphique de ce tweet qui affirme que sur les dernières ~40 années, la température moyenne en surface des terres a augmenté de 0.27°C/décennie, comparée à seulement 0.11°C/décennie pour les océans. En comptant que les océans constituent 70% de la surface, cela représenterait un facteur de 1.7 de démultiplication entre l'élévation de la température moyenne globale et celle de la surface des terres.

Je retire de ces sources les ordres de grandeur et idées suivantes :

  • Il faut s'attendre à un facteur de démultiplication d'environ 1.7 entre le réchauffement climatique moyen et le maximum annuel moyen en l'Europe occidentale, c'est-à-dire que chaque degré de réchauffement de la moyenne globale se traduit par 1.7 degrés de réchauffement du maximum annuel moyen en Europe occidentale. [Source : figure 11.3 du rapport du GIEC cité ci-dessus.] Mais je n'arrive pas vraiment à trouver une valeur cohérente pour la démultiplication sur la température moyenne (i.e., combien chaque degré de réchauffement de la moyenne globale se traduit en réchauffement sur la moyenne de l'Europe occidentale) : les valeurs indiquées dans le rapport DRIAS (de +3.9°C en France à l'horizon 2100 pour un scénario représentant +3.7°C de moyenne globale, valeurs trouvées p.68&72 du rapport cité ci-dessus) suggèrent un facteur assez proche de 1, mais je trouve ailleurs des choses assez incohérentes avec un tel chiffre, donc peut-être que j'ai mal compris.
  • L'augmentation des températures minimales annuelles moyenne en Europe occidentale devrait elle-aussi augmenter plus que la moyenne globale, et même encore plus que les températures maximales, avec un facteur de démultiplication de peut-être 2.5 [source : figure 11.A.1 du rapport du GIEC cité ci-dessus]. Ceci me laisse donc encore plus confus quant au phénomène sur la moyenne annuelle (mais peut-être que les saisons intermédiaires se réchauffent beaucoup moins ?).
  • Les épisodes de canicule devraient devenir plus fréquents, mais il n'est pas clair pour moi (d'après les sources que j'ai trouvées) si cette fréquence augmentée devrait être plus importante que celle prédite par l'augmentation de la température maximale annuelle moyenne ou s'il y a une véritable augmentation de fréquence intrinsèque des événements rares. Quoi qu'il en soit, les épisodes de froid intense devraient devenir plus rares, donc s'il y a augmentation de la variance, elle ne semble pas devoir compenser l'augmentation de la moyenne.
  • La quantité de précipitation annuelle totale ne doit pas changer de façon considérable en Europe occidentale (pour la France on prévoit plutôt une légère hausse, mais avec une grande incertitude), mais sa répartition au cours de l'année doit évoluer : d'avantage de pluies en hiver et moins de pluies en été. Là aussi, ces évolutions doivent s'accompagner d'évolution des extrêmes, avec des épisodes plus fréquents de pluies très intenses et aussi des épisodes plus fréquents de sécheresse estivale.
  • Les effets du changement climatique sur les vents, y compris sur les événements extrêmes en la matière, ne sont pas clairs du tout.

Tout ça n'est pas terriblement clair ! Mais ce qui est encore plus confus, pour moi, c'est la raison pour laquelle un réchauffement climatique global entraînerait plus d'événements extrêmes, ou une augmentation de la variance (dispersion par rapport à la moyenne) en plus de la simple augmentation de la moyenne.

Je pose notamment la question suivante : le climat de l'éocène inférieur, période pendant laquelle les températures moyennes étaient de 10°C à 14°C supérieures[#] aux valeurs actuelles était-il sujet à des événements particulièrement extrêmes ? (Y avait-il des dômes de chaleur qui se formaient montant l'air à 60°C? Des températures dépassant les 45°C au thermomètre humide[#2] et tuant tous les animaux ?) Je ne crois pas qu'on ne ait pas la réponse à cette question (les événements de ce genre ne laissent pas de trace particulièrement exploitable). En fait, on ne comprend pas bien le climat de cette période (qui semble avoir été caractérisé par un réchauffement plus important aux pôles qu'à l'équateur, donc un écart de températures moins important entre les deux, et si je comprends bien on ne sait pas vraiment pourquoi, ou en tout cas pas expliqué le niveau observé).

Mais ce qui est sûr, c'est que le rythme actuel d'augmentation des températures est supérieur à tout ce qu'on a détecté[#3] dans les données géologiques. Peut-être que ce n'est pas tant l'amplitude du réchauffement qui compte que son rythme (= sa dérivée temporelle) ? Là je peux nettement plus facilement imaginer des explications, par exemple différents sous-systèmes climatiques qui mettent plus ou moins de temps à s'équilibrer et, tant que cet équilibre n'a pas eu lieu, donnent lieu à des fluctuations un peu aléatoires pouvant causer des événements extrêmes.

Je crois comprendre, notamment, qu'une raison du dérèglement que nous observons notamment en Europe est lié à une faiblesse du jet-stream[#4] qui, du coup, se met à onduler, ce qui favorise soit la montée d'air du Sahara soit la descente d'air polaire (donc des épisodes inhabituellement chauds comme des épisodes inhabituellement froids — donc une plus grande variance des températures — quelle que soit la saison). Mais de nouveau, ceci soulève la question de si cette faiblesse du jet-stream est liée à l'amplitude de la hausse des températures, ou à sa vitesse, si c'est quelque chose qui se produit forcément quand la Terre est plus chaude (comment était le jet-stream à l'éocène ?) ou si c'est un régime transitoire quand la Terre se réchauffe. [Ajout : ici une explication possible proposée par un planétologue néanmoins non spécialiste de la Terre : l'affaiblissement du jet-stream pourrait être dû au fait que les pôles se réchauffent plus vite que l'équateur, ce qui diminue le gradient de température en latitude.]

Toujours est-il que je voudrais bien des explications plus claires. Il va peut-être falloir que je fouille moi-même dans les archives météo et dans les données DRIAS pour trouver au moins une réponse à la question de si la variance des températures augmente, et si oui de combien, et je ne crois pas que je trouverai de source claire sur la raison pour laquelle le réchauffement entraîne plus de variabilité, ni encore moins sur la météo de l'éocène.

PS : Je ne suis toujours pas décidé quant à savoir s'il vaut mieux parler de réchauffement climatique ou de changement climatique. J'ai longtemps préféré changement climatique parce que cela rappelle qu'il ne s'agit pas que d'un réchauffement, mais c'était en partie parce que je pensais qu'il pouvait aussi conduire à des froids plus extrêmes (malgré une augmentation moyenne) : apparemment, ce n'est pas vraiment au programme, et comme par ailleurs changement climatique semble avoir été en partie récupéré par des gens voulant faire croire qu'il est d'origine naturelle et pas anthropogène, il vaut peut-être mieux l'éviter. On peut aussi parler de dérèglement climatique, mais je n'aime pas énormément, parce que cela suggère une machine qui s'est déréglée toute seule.

[#] Ce graphique des températures historiques tout au long du phanérozoïque est extrêmement précieux pour se faire une idée (attention à bien lire l'échelle de temps, qui change quatre fois !). ⁂ Digression : Je fais remarquer ici qu'il ne faut pas prétendre qu'avec +6°C la Terre devient inhabitable : elle a été encore nettement plus chaude que ça, et de toute évidence elle était habitée (et pour les gens qui comme moi ont du mal avec les noms de ces périodes géologiques, je rappelle que l'éocène inférieur, c'est entre −56 et −47 millions d'années : il n'y avait plus de dinosaures non-aviaires depuis plus de 10 millions d'années, beaucoup d'ordres de mammifères actuels sont apparus vers ce moment-là, et les continents avaient pas loin de leur forme actuelle ; donc ce n'est pas comme si je comparais avec les températures probablement encore plus élevées du cambrien, il y a 500 millions d'années, où il n'y avait même pas de vie en surface, uniquement dans les océans, et assurément rien qui ressemble à un mammifère). Et plus globalement parlant, nous vivons dans un intervalle interglaciaire — l'holocène — d'une période glaciaire — essentiellement, le pleistocène : c'est ce qui explique qu'une bonne partie de l'histoire de la Terre au long du phanérozoïque a connu des températures plus élevées. Tout ceci n'est pas une façon de dire que le changement climatique actuel n'est pas catastrophique, mais il ne menace pas la vie animale sur Terre, il nous menace nous : si une grande majorité des espèces animales est menacée d'extinction (mais il en restera toujours assez adaptées pour se diversifier de nouveau comme après les extinctions de masse précédentes), et si les humains pourraient probablement survivre d'une manière ou d'une autre quelque part au climat de l'éocène ou à quelque chose qui y ressemble, en revanche, notre civilisation qui soutient 8 milliards d'entre nous grâce à une agriculture à haut rendement extrêmement optimisée, clairement, ne le peut pas. Et je pense qu'il ne faut pas escamoter ces points quand on communique au grand public, parce que sinon il y aura un petit malin qui lira l'article éocène sur Wikipédia, et qui dira ha ha, les scientifiques nous mentent, la Terre a été bien plus chaude par le passé [← ceci est vrai], le réchauffement climatique n'est donc pas un problème ou n'est pas d'origine anthropogène [← ceci est faux].

[#2] Digression : La température de thermomètre mouillé (ou de thermomètre humide ou juste température humide) est la température à laquelle on peut refroidir l'air par évaporation d'eau liquide, jusqu'à porter l'air à saturation en vapeur d'eau, la chaleur latente d'évaporation de l'eau était prise à l'enthalpie l'air. (C'est-à-dire qu'on introduit dans l'air une quantité infinitésimale d'eau liquide à température de l'air, on la laisse s'évaporer, et on recommence de façon isobare jusqu'à ce que l'air soit saturé d'eau. Concrètement, c'est la température que mesure un thermomètre qui est entouré d'une gaze humide qui assure que l'air autour de lui est saturé d'humidité. Il y a des différences subtiles entre petites variations autour de cette notion, qualifiées de façon incohérente de température thermodynamique de thermomètre humide ou température adiabatique de thermomètre humide ou d'autres variations avec des mots comme pseudo-adiabatique ou pseudo-potentiel.) Elle est au moins aussi importante que la vraie température (i.e., la température sèche) pour déterminer si des conditions météorologiques sont supportables ; notamment, une température humide supérieure ou de l'ordre de 35°C est mortelle pour l'homme même correctement hydraté, car la transpiration ne permet plus de refroidir suffisamment le corps. Il ne faut pas la confondre avec le point de rosée, lui aussi exprimé en degrés, et qui est la température à laquelle il faut refroidir l'air de façon isobare pour saturer l'eau qui est dedans : le point de rosée ne mesure, finalement, que l'humidité absolue. Cf. ce fil Twitter (ainsi que ce chapitre d'un livre de météorologie qui y est cité) pour le rapport entre ces deux notions.

[#3] À la frontière paléocène-éocène, il y a environ 56 millions d'années a eu lieu un événement de réchauffement très rapide suite à une émission massive de CO₂ dans l'atmosphère, provoquant une augmentation des températures globales de quelque chose comme 5° à 8°C (c'est énorme). Cet événement (à ne pas confondre avec l'augmentation puis baisse beaucoup plus graduelle des températures lors de l'éocène lui-même) est parfois évoqué comme modèle de l'épisode anthropogène actuel. Mais même cet événement très rapide à l'échelle géologique a duré tout de même quelque chose comme 20 000 à 50 000 ans, donc on parle d'un rythme d'augmentation des températures entre 10 et 100 fois plus lent que ce que nous observons actuellement. (Évidemment, ça n'interdit pas d'écrire une histoire de science-fiction dans laquelle une autre espèce intelligente avant nous aurait développé une civilisation à ce moment-là, brûlé plein d'énergie fossiles, et se serait éteinte sans laisser de trace. Cette vidéo est pertinente à ce sujet.)

[#4] Aveu : je n'arrête pas de confondre le jet-stream et le gulf stream (enfin, ce n'est pas que je confonds mentalement, ça n'a guère de rapport, l'un est un courant d'air et l'autre un courant d'eau, mais je n'arrête pas de faire des lapsus dans un sens ou dans l'autre), et le fait que les deux soient très importants pour le climat européen n'aide évidemment pas.

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