David Madore's WebLog: Je persiste à ne pas comprendre la théorie quantique des champs

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(dimanche)

Je persiste à ne pas comprendre la théorie quantique des champs

J'ai écrit il y a quelques jours une tentative de vulgarisation sur le sujet de la physique des particules, mais je dois être bien clair sur le fait que c'est partiellement une escroquerie : pas que j'aie dit des choses fausses (je pense que ce que j'ai raconté, dans la mesure où ce n'est pas simplifié au point de ne plus avoir de sens, est raisonnablement correct), mais que fondamentalement je ne comprends toujours pas de quoi il est question. Disons que j'ai une certaine idée de la physique du modèle standard, une certaine idée des mathématiques qui le sous-tendent, et quelques bribes sur la manière dont ces choses se connectent, mais le dessin d'ensemble est toujours extrêmement flou ; j'ai quelques bouts de puzzle qui sont en place dans ma tête, y compris des bouts côté physique et des bouts côté maths, mais malgré quelques pièces placés çà et là entre les deux, il demeure un gros trou au milieu du puzzle, et je ne sais pas le compléter ni même s'il est complétable. Et ce qui est encore plus frustrant, c'est que ce n'est toujours pas clair pour moi si c'est le cas pour tout le monde ou juste pour moi (je pense que c'est quelque chose entre les deux : il y a des choses qui sont floues pour tout le monde, et il y en a beaucoup plus qui sont floues pour moi).

En tant que matheux, j'aime bien que les choses soient définies de façon raisonnablement précise et rigoureuse, ou en tout cas avoir l'impression qu'avec un peu d'efforts j'arriverais à les rendre précises et rigoureuses, même si cette précision ne permet pas de faire des calculs. Un physicien, lui, (s'il n'est pas théoricien des cordes 😉), est en principe préoccupé par le fait de savoir tirer des conséquences expérimentales de ses théories, peu importe qu'elles soient mathématiquement rigoureuses. (Feynmann a notoirement comparé la rigueur mathématique à la rigor mortis, mais il semble que la citation ait été déformée, je la trouve sous cette forme injustement simpliste : ce n'est pas la rigueur mathématique qui devrait poser problème à un physicien, c'est le manque de rigueur physique, or les deux ne sont pas incompatibles.)

Dans la plupart des théories physiques que je connais (mécanique newtonienne classique, électromagnétisme, relativité restreinte, relativité générale, ou même la « première quantification »), j'ai l'impression que l'intervalle entre ces deux approches n'est pas infranchissable ; dans le cas de la théorie quantique des champs, je me heurte vraiment à un mur.

Je souligne que quand je demande que les choses soient définies de façon mathématiquement précise, je n'en demande pas tant que ça. Par exemple, si une théorie physique s'énonce en disant que l'état du monde est régi par telle équation aux dérivées partielles, ça me convient assez bien : je ne demande pas forcément que ce soit accompagné d'un théorème d'existence et d'unicité du problème de Cauchy (des solutions de l'équation). C'est mieux s'il y en a un, mais ça je comprends que c'est le boulot des matheux (et des analystes, dont je ne fais pas partie) de le démontrer : il n'y a pas de problème à ce que les physiciens disent l'équation est la suivante, et physiquement on pense qu'il y a existence et unicité de la solution dans les conditions raisonnables de validité de la théorie. Mais je voudrais au moins que le problème soit posé de façon précise.

D'ailleurs, je ne demande même pas que le problème soit posé de façon précise dans les détails, mais au moins d'avoir quelques idées sur comment il pourrait l'être. Je ne pense vraiment pas que ce soit tomber dans la rigor mortis que d'en demander tant.

Si je lis un livre de théorie quantique des champs pour les physiciens, j'ai l'impression insupportable qu'on m'explique comment faire plein de calculs (et à la limite, je comprends ces calculs, même si je n'ai pas envie de les vérifier ligne par ligne, au moins je comprends le principe de ce qui se fait). Essentiellement des calculs (« perturbatifs ») d'« amplitudes » et de « sections efficaces », qui sont des choses qu'on peut relier ensuite à des vraies mesures faites par des vrais expérimentateurs dans des vrais accélérateurs de particules. Mais fondamentament j'ai l'impression de ne comprendre ce que sont aucun des objets manipulés dans les calculs (à commencer par la notion même de champ quantique). A contrario, si je lis un livre de théorie quantique des champs pour les matheux, on me donne des jolis axiomes (notamment ceux de Wightman), on me parle de groupes de Lie et de représentations, de choses qui me sont plus compréhensibles, mais fondamentalement j'ai l'impression de ne pas comprendre le rapport avec la physique, ou en tout cas avec ce qui est raconté dans les livres pour physiciens. Où est le dictionnaire entre ces deux points de vue ?

Il y a bien un certain Eberhard Zeidler qui avait commencé à écrire un livre monumental en N volumes censé faire un pont entre les maths et la physique, dont j'attendais beaucoup, j'ai acheté les deux ou trois premiers volumes, et j'ai fini par être très déçu : ça ressemble à un brain dump de tout ce que sait le Monsieur (il y a des bouts qui parlent de théorie de Galois, d'analyse non-standard, de groupes de tresses… le Monsieur est certainement cultivé, mais, qu'il s'agisse de choses que je connais déjà ou pas, je doute qu'il soit nécessaire, ni même tellement utile, d'exposer tout ça pour faire le pont entre matheux et physiciens en théorie quantique des champs).

Dans un genre très différent, il y a un Anthony Zee qui a écrit un livre intitulé Quantum Field Theory in a Nutshell, qui est rigolo à lire, et qui donne l'impression qu'on comprend tout quand on le lit, mais en fait, rétrospectivement, je me demande si ce n'est pas complètement une illusion, et dès qu'on repose le bouquin cette impression d'avoir tout compris se dissipe comme quand on se réveille d'un rêve où on pensait avoir trouvé la réponse à la Vie, l'Univers et Tout le reste.

Et le pire, avec mon incompréhension de la théorie quantique des champs, c'est que je ne sais pas décrire exactement ce que je ne comprends pas. Si j'avais une question précise à poser, je pourrais la poster sur physics.stackexchange.com ou essayer d'embêter des physiciens théoriciens jusqu'à ce qu'ils me répondent… mais ma sensation de floue est elle-même floue. (Il y a peut-être quelque chose de quantique là-dessous.) Je n'ai même pas vraiment l'impression que mon principal problème porte sur les fameux infinis qui apparaissent partout quand on essaie de faire de la théorie quantique des champs (et qu'on fait disparaître avec un tour de passe-passe appelé renormalisation) ; je ne suis pas non plus persuadé que ce soit à cause des intégrales de chemin (qu'on ne sait notoirement pas formaliser mathématiquement) que je suis tout perdu : je crois que je suis trop bête pour arriver à être embêté par ces problèmes « sophistiqués ».

Il y a quand même un ou deux points sur lesquels se concentrent mon incompréhension : (1) quel objet mathématique décrit l'état du monde, et quelle sorte de relation décrit son évolution, en théorie quantique des champs ?, et (2) en admettant qu'on dispose d'un ordinateur infiniment puissant, comment le programmerait-on pour calculer exactement (dans le cadre du modèle standard) l'évolution d'un système de particules ? (comment doit-on spécifier les entrées, quelles variables seront utilisées par le programme, et comment fera-t-il la simulation ?).

Ni les livres pour physiciens ni ceux pour matheux ne tentent de répondre à l'une ou l'autre de ces questions (ni me me disent clairement si quelqu'un a la réponse ou si le problème est obscur pour tout le monde) ; au mieux on apprend que la réponse à (1) est quelque chose comme un vecteur (de norme 1) dans un espace de Hilbert (d'accord, mais quand je demande quel vecteur dans quel espace de Hilbert précisément, je n'obtiens que de l'agitage de mains et peut-être le mot Wightman) ; et au mieux on n'obtient que des succédanés de (2) pour des processus très particuliers (des particules qui viennent de loin, qui interagissent, et qui repartent loin).

C'est frustrant, parce que pour d'autres théories physiques, j'ai l'impression d'avoir une vision assez claire des choses. Pour la mécanique newtonienne classique, la réponse à (1) est fournie par la position et la quantité de mouvement de toutes les particules du système, l'évolution étant décrite par des équations différentielles ordinaires [EDO] couplées, que je sais écrire, et ceci me fournit la réponse à (2). Pour la relativité générale ou la théorie classique des champs, la réponse à (1) est fournie par la valeur des champs (qui sont des fonctions sur l'espace-temps et à valeurs dans différents fibrés), l'évolution étant décrite par des équations aux dérivées partielles [EDP] (non-linéaires) couplées, et ceci me fournit là aussi la réponse à (2) ; par exemple, en relativité générale, il s'agit des équations d'Einstein, j'ai l'impression de les comprendre, je crois que je saurais les implémenter, peut-être pas de façon efficace mais de façon qui foncionne, si on me donnait un ordinateur suffisamment rapide. (Même s'il faut préciser qu'il y a des subtilités : formellement, les équations d'Einstein sont sous-déterminées à cause de la liberté de choix de jauge / système de coordonnées. Et il y a sans doute plein de problèmes numériques dont je n'ai aucune idée : mais au moins j'ai l'impression de comprendre quel est le problème auquel je suis confronté.) Je suis tout à fait prêt à ne pas faire mon matheux pinailleur et passer sous silence des problèmes par exemple concernant la régularité des fonctions en question ou le type de solution recherché dans les EDP.

Mais pour la théorie quantique des champs ? Aucune idée.

C'est frustrant, parce que je sais écrire ce qui s'appelle le Lagrangien du modèle standard, à partir de lui je sais tirer un système d'équations aux dérivées partielles faisant intervenir des fonctions φi(x) qui ont des noms comme le champ de l'électron, celui du quark haut, celui du Higgs, celui du photon, etc. Ça s'appelle la théorie classique des champs (disons, le modèle standard classique). Et ça, donc, j'ai l'impression de comprendre le sens que ça a mathématiquement (des EDP non-linéaires couplées, je n'aime pas trop, mais au moins je comprends la définition et l'idée générale). Mais je ne comprends pas à quoi ressemblent les solutions de ce « modèle standard classique » ni si elles ont une quelconque signification physique (ou pas du tout)[#].

[#] Enfin, côté bosonique, elles ont un certain sens puisque les équations de Maxwell en font partie ; côté fermionique, elles doivent décrire quelque chose comme le comportement d'un seul fermion. Mais je n'ai vraiment pas les idées claires.

[Cartoon by S. Harris]Et je comprends qu'ensuite, on est censé effectuer une « seconde quantification » et ainsi « remplacer les champs φi(x) par des opérateurs (linéaires)[#2] » sur un espace(?) de Fock(??) d'états(???) dont la définition est pour moi toujours claire comme du jus de chaussettes (tous les documents censés l'expliquer alignent des platitudes sur la construction des algèbres symétrique ou altérnée, puis a miracle occurs et on obtient l'espace de Fock). Je comprends qu'il y un truc appelé les axiomes de Wightman qui est censé aider à rendre la chose rigoureuse, mais quand je lis ces axiomes, ils sont terriblement banals, je ne comprends pas le rapport entre eux et tout le schmilblick du lagrangien, et je ne comprends même pas si les axiomes en question sont vraiment censés répondre à mon incompréhension (du genre qu'est-ce qu'on est en train de faire, là, au juste ? je n'y comprends rien de rien !) ou à une objection beaucoup plus pointue (du genre en fait, vos fonctions, ce sont des distributions, et du coup vos opérateurs ne peuvent pas être bornés ! — le genre de problème mathématique que je suis prêt à oublier pour le moment, le temps d'essayer de comprendre au moins vaguement quelque chose à toute l'histoire !).

[#2] Il y a quelque chose de très mystifiant dans toute l'histoire. On part de particules vérifiant les lois de Newton (qui ne sont pas linéaires dès qu'il y a des interactions) ; on invente la mécanique quantique (« première quantification »), et une équation comme celle de Schrödinger (ou de Klein-Gordon, ou de Dirac) qui est linéaire, et c'est un point essentiel pour pouvoir faire des superpositions quantiques que le truc soit linéaire ; puis on introduit des interactions entre les champs, qui détruisent la linéarité, mais on restaure la linéarité par cette « seconde quantification ». C'est vraiment incompréhensiblement bizarre, à mes yeux, que le comportement d'un champ quantique en un point d'espace-temps soit à peu près, par rapport à son homologue classique, comme le comportement d'un oscillateur harmonique quantique par rapport à son homologue classique… alors que c'est une oscillation dans une sorte d'espace interne qui n'a rien à voir avec les vrais oscillateurs. Je n'ai jamais trouvé d'explication variment claire sur le sens de toute la procédure (à part le monde est comme ça). Ni de comment on sait que les états de la seconde quantification ne vont pas eux-même se retrouver à interagir (est-ce qu'il y a des expériences qui testent la linéarité des superpositions de champs quantiques ? à quoi ressemblent-elles ?) et qu'il faurait alors introduire une troisième quantification pour restaurer de nouveau la linéarité, et pourquoi ça ne continuerait pas indéfiniment (voire, si on imagine des limites inductives de quantifications, transfiniment). [Cf. ce texte, ainsi que les réponses trouvées ici.] Quelqu'un (Edward Nelson, apparemment, mais je ne sais pas si c'est le même Edward Nelson que celui d'ici et ) a dit que the first quantization is a mystery but the second is a functor, mais je trouve ce foncteur vraiment bizarre et surtout l'idée même de faire deux fois « la même chose ».

Je crois avoir vaguement compris approximativement les choses suivantes, mais si c'est correct c'est vraiment parce que ma boule de cristal fonctionnait bien, parce qu'aucun livre que j'aie feuilleté n'est clair sur la question :

  • La théorie quantique des champs a ceci de spécial par rapport à d'autres théories physiques que pour décrire complètement ne serait-ce qu'un état possible de l'Univers (disons : le vide !), il faut les décrire tous. Autrement dit, ça n'a pas vraiment de sens de partir d'un état et d'étudier juste celui-là : il faut construire l'espace de tous les états possibles. En fait, ce qu'on veut vraiment construire, c'est la matrice de changement de base entre une base de l'espace des états (qui représente, disons, des configurations de particules à un certain moment) et une autre base (idem, à un autre moment).
  • La description de cet espace de tous les états possibles (si on veut, la description complète du vide !), ou plutôt de cette matrice de changement de base, passe par le calcul de « fonctions de Wightman » (ou « fonctions de corrélation du vide », je ne comprends pas bien la différence s'il y en a une) notées quelque chose comme ⟨0|φ1(x1)φ2(x2)⋯φr(xr)|0⟩ où chacun des φ1,…,φr parcourt tous les champs de la théorie et chacun de x1,…,xr parcourt tous les points d'espace-temps. (Il y a donc, pour chaque valeur de r∈ℕ et chaque choix de r champs, une fonction de 4r variables dans l'histoire. Bon, et par ailleurs ces fonctions sont, en fait, des distributions — peut-être même juste des hyperfonctions — mais ça, je répète que je suis prêt à ne pas embêter les physiciens avec.)
  • Je crois vaguement qu'il devrait être possible d'écrire complètement les équations aux dérivées partielles satisfaites par ces fonctions de Wightman / corrélation. Ces EDP devraient même avoir un rapport avec les équations de la théorie classique des champs (modèle standard classique) évoqué plus haut. Bref, on devrait pouvoir écrire un système infini d'équations aux dérivées partielles couplées les unes aux autres (en un nombre de variables qui varie d'une équation à l'autre !), et je crois que c'est essentiellement ce système qu'il faudrait fournir à un ordinateur infiniment rapide si on voulait simuler complètement l'Univers (la chose remarquable étant qu'on résout toujours le même système quel que soit l'état initial de l'Univers, parce que la solution du système fournit la description de toute l'évolution de n'importe quel état). Mais l'ensemble de ce point demeure particulièrement obscur pour moi.
  • En admettant qu'on sache résoudre ce système d'équations (ce qui présuppose qu'il ait une solution, ce qui n'est pas clair, mais ce n'est pas le genre de choses qui me préoccupe à présent), on peut en déduire une description complète de l'espace de Hilbert des états possibles de l'Univers : essentiellement, une description des états doit être donnée par quelque chose qui ressemble à des superpositions continues des φ1(x1)φ2(x2)⋯φr(xr)|0⟩ où les xi sont en des points non causalement liés (i.e., non situés dans le cône de lumière les uns des autres), ce qui font que les φi(xi) commutent ; la connaissance des fonctions de Wightman / corrélation permet de réexprimer cet état selon d'autres bases, par exemple la base avec la même chose pour d'autres points d'espace-temps (ce qui revient à calculer une évolution de l'état dans le temps). (Ce point peut-être un rapport avec ce machin, mais c'est un peu un jet aléatoire de la part de ma boule de cristal, là.)

Si ce que j'ai compris est correct, c'est un peu un miracle, parce que vraiment, personne ne prend la peine de dire ce que je viens de dire. Notamment, je n'ai vu nulle part l'affirmation si on savait résoudre un système infini d'EDP couplées [et plus précisément, le système suivant : <…>], alors on saurait décrire complètement l'évolution n'importe quelle de n'importe quel état vers n'importe quel état de l'Univers. Affirmation qui, je répète, n'est peut-être pas juste parce que je n'ai Rien Compris®, mais ça donne une idée du genre d'explication que je voudrais trouver dans un livre. Et si par miracle j'ai bien compris, alors je trouve que la description de ce système d'EDP (même si elles n'ont aucun intérêt pour faire des vrais calculs en physique) est pédagogiquement cruciale, y compris son rapport avec les équations « classiques », et le passage exact de l'un à l'autre. Et si ce qui précède est tout faux et que j'ai tout mal compris, il est quand même anormal que les livres ne prennent pas la peine, quand ils évoquent les fonctions de Wightman (ce qui est d'ailleurs scandaleusement rare) ou les fonctions de corrélation du vide (ce qui est peut-être, ou peut-être pas, la même chose) de dire quelque chose comme on ne sait pas dire grand-chose sur ces fonctions ; on ne sait pas les écrire comme solutions d'EDP (parce qu'on pourrait naturellement le croire vu que c'est normalement le genre de choses qu'on attend de la physique).

On trouve vaguement des affirmations çà et là disant qu'on ne sait pas construire rigoureusement de théories non-triviales vérifiant les axiomes de Wightman, mais impossible pour moi de comprendre si c'est parce qu'on ne sait pas calculer les fonctions de Wightman pour ces théories (le rapport entre les axiomes et les fonctions de Wightman n'est déjà pas clair pour moi), si c'est parce qu'on ne sait pas prouver qu'elles existent, si c'est parce qu'on ne sait même pas écrire quelles équations ou conditions elles devraient vérifier, ou encore autre chose.

Bon, bref, je ne m'étends pas sur les fonctions de Wightman, parce que peut-être que ce n'est même pas ça qui répondrait à ma confusion complète sur tout le schmilblick.

Peut-être que je devrais plutôt essayer de comprendre les versions discrètes de la théorie quantique des champs. (Version discrète, c'est-à-dire, où on remplace l'espace, et peut-être aussi le temps, par un réseau euclidien ou minkowskien discret, ce qui élimine toutes sortes de problèmes d'infinis et je crois que des gens savent alors — même si moi je ne sais pas — lui donner un sens mathématique complètement rigoureux. Et on peut vaguement imaginer le sens qu'il y a ensuite à passer à une limite continue ou à espérer qu'il y en a une ; même si, de ce que je comprends, on pense que cette limite n'existe pas, ou est triviale, dans le cas de l'électrodynamique quantique, et dans le cas de la chromodynamique quantique, on pense qu'elle existe, mais c'est un problème à 1M$ de le prouver.) Par exemple, les gens qui font des calculs de chromodynamique quantique sur des réseaux, au moins ils font des calculs qu'ils mettent vraiment dans un ordinateur, donc il doit y avoir du code et des descriptions d'algorithmes utilisés, et ça peut commencer à vaguement répondre à ma question (2), même si j'ai peur que ça laisse la (1) en plan. (J'avais lu des livres sur le sujet, notamment celui d'Andrei Smilga — j'imagine que c'est un parent d'un des lecteurs de ce blog — et sur le moment je m'étais dit que j'avais compris, mais rétrospectivement je n'en suis plus si sûr.)

Ou peut-être que je devrais essayer de comprendre ce qu'est la LQG (gravitation quantique à boucles), qui [ajout :] combinée au modèle standard est une theory of everything, pas du tout confirmée par l'expérience, mais dont je crois comprendre qu'elle a un sens mathématique rigoureux (et basé sur l'idée que l'espace-temps est, au moins dans un certain sens, discret à très petite échelle) et qui peut, du coup, si on l'accepte, rendre rigoureuse la théorie quantique des champs. (Mais bon, peut-être que mon incompréhension sur la théorie quantique est tellement basique que ce n'est pas en cherchant des choses comme ça que je vais la résoudre. [Et puis ce n'est même pas certain que ça constitue une théorie bien-définie : cf. ce fil Twitter.])

Bref, voilà. Pour ne pas que cette entrée soit un pur étalage de je n'y comprends décidément rien, et pour qu'elle puisse éventuellement servir à d'autres, voici une tentative de bilbiographie, dans laquelle je rassemble (à partir de notes que je me suis gribouillées), avec un tout petit commentaire, quelques livres que j'ai feuilletés ou simplement envisagé de feuilleter et qui me semblaient possiblement prometteurs :

  • Livres pour physiciens (ou étudiants en physique) :
    • Matthew Schwartz, Quantum Field Theory and the Standard Model (2014) : si je me déguise en physicien, je le trouve vraiment très bon (je pense que c'est le plus clair que j'aie trouvé sur le sujet en étant passablement complet), mais comme les suivants que je vais lister, il ne répond vraiment pas à me interrogations de matheux.
    • Anthony Zee, Quantum Field Theory in a Nutshell (2e éd. 2010) : comme je le dis plus haut, rigolo à lire (plutôt dans le genre survol), il donne l'impression qu'on comprend tout quand on le lit, mais en fait, rétrospectivement, je me demande si ce n'est pas complètement une illusion.
    • Robert Klauber, Student Friendly Quantum Field Theory (2013) : comme les deux premiers mots du titre le suggèrent, ce livre a visiblement été écrit pour permettre à des étudiants (américains) de valider leurs examens, et cette approche didactique avec des encadrés synthétiques bien clairs et des points à retenir peut être un peu agaçante mais finalement c'est quand même parfois bien pratique même quand on n'est plus étudiant.
    • Andrei Smilga, Digestible Quantum Field Theory (2017) : je n'ai pas eu le temps de regarder, mais la table des matières a l'air bien, le titre est rigolo, et j'avais bien aimé le livre du même auteur sur la chromodynamique quantique.
    • Tom Lancaster & Stephen Blundell, Quantum Field Theory for the Gifted Amateur (2014) : je n'ai pas non plus eu le temps de regarder, mais j'aime beaucoup le titre, qui me donne modestement l'impression que c'est un livre fait pour moi. ☺️
    • Thomas Banks, Modern Quantum Field Theory: A Concise Introduction (2008) : je n'ai pas d'avis personnel sur ce livre, mais j'ai entendu dire qu'il était bien et que son traitement de la renormalisation, notamment, était particulièrement éclairant.
    • Michael Peskin & Daniel Schroeder, An Introduction to Quantum Field Theory (1995) : il paraît que c'est une référence standard, je n'en sais pas plus.
    • Steven Weinberg, The Quantum Theory of Fields (1995 pour le premier volume, 1996 pour le deuxième) : autre référence standard (je crois d'ailleurs que j'en ai cosigné avec mon père la recension pour Classical and Quantum Gravity quand il est sorti, c'était un prétexte pour récupérer le volume) ; du point de vue de la physique il couvre énormément de terrain (mais aprfois très sommairement), et on y apprend un certain nombre de choses qu'on ne doit trouver nulle part ailleurs (par exemple une réflexion très intéressante sur la renormalisation) ; mais c'est un peu l'opposé de ce que cherche un matheux qui veut un petit peu de rigor mortis.
    • La liste pourrait continuer longtemps, à tel point que pour s'y retrouver il faudrait un livre sur le champ des livres sur la théorie quantique des champs : il y a encore le livre de Claude Itzykson & Jean-Bernard Zuber (Quantum Field Theory, 1980), celui de Lewis Ryder (Quantum Field Theory, 2e éd. 1996), celui de David Bailin & Alexander Love (Introduction to Gauge Field Theory, 1993), celui de V. Parameswaran Nair (Quantum Field Theory: A Modern Perspective, 2005), celui de Mark Srednicki (Quantum Field Theory, 2007), et les je ne sais combien de livres de Walter Greiner et divers coauteurs (collectivement Theoretische Physik, comme le volume avec Joachim Reinhardt, Feldquantisierung, traduit en anglais comme Field Quantization).
    • …et c'est sans compter les livres sur le modèle standard, qui sont encore un peu autre chose mais qui recoupent pas mal les livres sur la théorie quantique des champs (et d'ailleurs j'en ai mentionnés certains plus haut) : donc je peux encore lister le livre de Cliff P. Burgess & Guy D. Moore( The Standard Model: A Primer, 2007), celui de Paul Langacker (The Standard Model and Beyond, 2010), celui de John F. Donoghue, Eugene Golowich & Barry R. Holstein (Dynamics of the Standard Model, 1992), ou même le livre dans lequel j'ai appris plein de choses quand j'étais petit, de Francis Halzen & Alan D. Martin (Quarks and Leptons: An Introductory Course in Modern Particle Physics, 1984). Ajout : je peux lister encore les livres de W. N. Cottingham & D. A. Greenwood (An Introduction to the Standard Model of Particle Physics, 2007) et, au niveau vulgarisation/historique, de Martinus Veltman (Facts and Mysteries in Elementary Particle Physics, 2003).
  • Livres pour matheux, ou censés faire un pont avec les maths, ou censés être plus rigoureux :
    • Edson de Faria & Welington de Melo, Mathematical Aspects of Quantum Field Theory (2010) : en tant que matheux, je trouve ce livre vraiment agréable à lire (au moins ce que j'en ai feuilleté pour l'instant), il présente les choses de façon agréable et surtout je pense que je comprends vraiment ce que je lis ; mais je crains un peu de me retrouver sur ma faim avec quelques axiomes et toujours sans le lien qui me manque avec ce que racontent les physiciens.
    • Gerald Folland, Quantum Field Theory: A Tourist Guide for Mathematicians (2008) : je l'avais feuilleté autrefois, mais je ne sais plus vraiment ce que j'en avais pensé ; mais au moins le titre semble correspondre assez bien à ce que je cherche.
    • Robin Ticciati, Quantum Field Theory for Mathematicians (1999) : peut-être que je confonds avec le précédent ; la table des matières semble intéressante, mais je ne suis pas vraiment persuadé qu'il réponde à mes interrogations.
    • Eberhard Zeidler, Quantum Field Theory: A Bridge Between Mathematicians and Physicists (au moins trois volumes entre 2006 et 2011, peut-être encore trois publiés plus tard) : comme je le dis plus haut, le titre est très prometteur, mais ce livre est un peu un brain dump dans lequel je peine à trouver quoi que ce soit.
    • Pierre Deligne, Pavel Etingof, Daniel Freed & al, Quantum Fields and Strings: A Course for Mathematicians (1999) : ce livre est un peu le pendant « matheux » de ce que je disais côté « physicien » à propos du livre de Weinberg : il y a plein de maths dedans, que j'ai généralement l'impression de comprendre, mais je ne comprends pas du tout le lien avec la physique.
    • Frédéric Paugam, Towards the Mathematics of Quantum Field Theory (An advanced course) (2014) : titre prometteur, mais je n'ai pas eu le temps de regarder ce qu'il contient.
    • John Baez, Irving Segal & Zhengfang Zhou, Introduction to Algebraic and Constructive Quantum Field Theory (1992) : même commentaire.
  • Autres livres possiblement à regarder, peut-être sur des sujets plus pointus, en vrac :
    • Franco Strocchi, An Introduction to Non-Perturbative Foundations of Quantum Field Theory (2013) : je n'ai pas eu le temps de regarder, mais je l'ai noté comme possiblement prometteur (à la fois pour développer un lien entre maths et physique et pour parler de l'aspect non-perturbatif, donc d'autre chose que de séries convergentes qui en fait ne convergent pas du tout ce qui n'aide pas vraiment à comprendre la théorie).
    • Николай Николаевич Боголюбов, Анатолий Алексеевич Логунов, Анатолий Иванович Оксак & Иван Тодорович Тодоров [Nikolaj Bogolûbov, Anatolij Logunov, Anatolij Oksak & Ivan Todorov], Общие принципы квантовой теории поля (1987), traduit en anglais comme General Principles of Quantum Field Theory (1990) : un peu le même commentaire que le livre de Strocchi, avec en plus que celui-ci a l'air quand même assez indigeste (mais, on l'espère, du coup, plus complet).
    • Rudolf Haag, Local Quantum Physics: Fields, Particles, Algebras (2e éd. 1996) : aussi possiblement prometteur.
    • Carlo Rovelli & Francesca Vidotto, Covariant Loop Quantum Gravity: An elementary introduction to Quantum Gravity and Spinfoam Theory (2014 ; disponible en ligne) : probablement un bon point de départ pour apprendre ce que c'est que cette histoire de LQG.
    • Robert Wald, Quantum Field Theory in Curved Spacetime and Black Hole Thermodynamics (1994) : qu'on me signale en commentaire.

Il va de soi que je n'ai pas le temps de lire, ni même de feuilleter, tout ça. Si quelqu'un arrive à comprendre ce que je ne comprends pas (ce qui serait déjà mieux que je n'arrive à faire moi-même) et a des conseils, je suis preneur !

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