David Madore's WebLog: Ready Player One de Steven Spielberg (le film, donc)

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(samedi)

Ready Player One de Steven Spielberg (le film, donc)

J'avais parlé du roman ici, et j'avais écrit : Je me demande si Spielberg s'en sera mieux tiré en adoptant l'œuvre au grand écran. Je viens de voir le film, et ma réponse est :

Oui.

Ce n'est pas souvent que je trouve qu'un film est meilleur que le livre dont il est tiré, et quand c'est le cas c'est presque toujours que j'ai vu le film en premier, ce qui me fait soupçonner que j'ai un biais naturel en faveur de la version que je vois en premier — probablement elle me fixe l'idée que je me fais de l'œuvre, et quand je rencontre la seconde, toute différence me déçoit… ou quelque chose comme ça.

Comme le livre m'avait semblé assez médiocre (même s'il m'avait inexplicablement plu !), je n'étais a priori pas tellement enthousiaste d'aller voir un film que je pensais que j'aimerais forcément moins ; et comme cette critique dévastatrice par Ars Technica explique par le menu que le film est moins bon que le livre, j'avais tiré un trait dessus. Mais voilà qu'un bombardement de rayons cosmiques a fait apparaître le film sur un disque dur près de chez moi, et pour me changer les idées des spectres de groupes de Lie qui me hantent en ce moment, je me suis dit que j'allais y jeter un coup d'œil.

Les différences du film avec le livre sont considérables, et mon avis est que la plupart des changements me semblent être des améliorations. La critique de Ars Technica se plaint d'un certain nombre de choses, par exemple que les scènes d'actions sont mauvaises (ça ne m'a pas vraiment frappé, mais de toute façon, les scènes d'action ont tendance à me faire prodigieusement chier quel que soit le film — là elles ont le mérite de ne pas être trop envahissantes), mais surtout, que toute la subtilité de la culture Geek des années '80 d'Ernest Cline a été perdue dans un endless dump of pop-culture references… which have little connection to the specific nostalgia window that Cline opened up in the book. Je trouve au contraire que Spielberg, par son adaptation très libre, a donné un sens à l'intrigue.

Je copie de mon entrée sur le livre, en la résumant et la remaniant un peu, la prémisse commune au film et au livre (ceci est un divulgâchage extrêmement léger, et essentiellement contenu dans la bande annonce du film) :

L'action se passe en 2045. Le monde réel est devenu encore un chouïa plus dystopique que celui dans lequel nous vivons actuellement, des millions s'entassent dans des bidonvilles de fortune en périphérie des villes. Il y a une chose à quoi les gens ont accès, c'est un jeu en réalité virtuelle, l'OASIS, où beaucoup trouvent refuge et moyen d'oublier une réalité déprimante.

Le point de départ de l'action est que le créateur de ce jeu vient de mourir : le James Halliday en question était un nerd excentrique et introverti, obsédé par la culture pop/geek des années '80 où il a grandi ; et dans un testament virtuel diffusé à l'ensemble de l'OASIS il annonce qu'il a caché un easter egg quelque part dans son monde virtuel, et qu'il lègue la totalité de sa très considérable fortune (incluant le contrôle de l'OASIS lui-même) à celui qui le trouvera. Pour trouver cet œuf, il faudra franchir des épreuves ou résoudre des énigmes permettant de trouver trois clés qui donnent accès à l'endroit où il est caché.

Le héros est un des egg-hunters, ou simplement gunters, qui se dédient à la recherche de l'œuf. Mais évidemment, il y a de la concurrence, et notamment une société (concurrente de celle qui opère l'OASIS) qui utilise tous les moyens dont elle dispose pour essayer de trouver l'œuf et ainsi prendre le contrôle du monde virtuel.

Tout ça est commun entre le livre et le film, mais c'est presque tout. Certains des changements suppriment des invraisemblances ou des passages longuets, poussifs ou téléphonés. (Par exemple le fait que le héros du livre passe plein de temps coincé sur une seule planète de l'OASIS, ce qui est certes justifié, mais pas franchement nécessaire. Ou l'apparition providentielle du co-créateur du jeu qui, dans le livre, fait figure de deus ex machina alors que Spielberg lui donne un rôle beaucoup plus satisfaisant.) D'autres, il est vrai, ajoutent des invraisemblances ou obscurcissent certains éléments. (Les règles du jeu de l'OASIS sont décrites assez précisément dans le livre, alors que dans le film elles semblent à géométrie variable, et la manière dont les héros se font poursuivre et échappent aux méchants semble vraiment dépendre très fort de la commodité du scénario. Le héros du film ne semble pas avoir de problème d'argent, ce qui contredit un peu sa situation dans le monde réel.) Mais ce ne sont pas de ces différences-là que je veux parler.

Dans le roman de Cline, James Halliday est un geek obsédé par la culture des années '80, et c'est à peu près tout. Les épreuves ou énigmes permettant d'accéder à l'œuf presque uniquement des tests de la connaissance des moindres recoins de cette culture pop/geek. Elles n'ont pas une grande cohérence, et sont même franchement idiotes : il faut connaître par cœur les répliques de tel ou tel film, il faut savoir jouer parfaitement à tel ou tel jeu… même pour un geek obsessif, c'est assez con, comme type d'épreuve. (En plus, ça devient un peu confus, parce qu'il y a essentiellement douze épreuves : trois fois il faut trouver où est cachée une clé, faire quelque chose pour obtenir la clé, puis trouver où est cachée la porte qu'ouvre la clé, et faire encore quelque chose à l'intérieur de la porte. En plus de ça, le héros accomplit presque par accident une petite side quest qui bien sûr s'avère essentielle à la toute fin. Les douze ou treize épreuves en question sont de difficulté très inégale et ça déplaît à mon sens de la symétrie.) La motivation expliquée de Halliday est qu'il veut en quelque sorte obliger les gens à apprendre à apprécier la culture qui le fascinait.

Spielberg modifie tout ça : il y a moins d'épreuves, elles sont très différentes du livre, et surtout, ce sont des tests du caractère du personnage (réfléchir avant de foncer dans le tas, savoir sauter le pas, ne pas jouer que pour gagner, ce genre de choses), un peu de son intelligence, et en tout cas pas uniquement de sa culture geek (même s'il y a un peu de ça). Même la side quest du livre est transformée en quelque chose de plus intéressant. Et surtout, les motivations de Halliday sont différentes et plus subtiles : on comprend qu'il cherche, en quelque sorte, à réparer des erreurs qu'il a pu commettre, et à sélectionner quelqu'un qui ne commettra pas les mêmes erreurs.

Je ne dis pas que c'est génial (les tests de caractère c'est un peu le cliché du film hollywoodien grand public), mais c'est quand même, à mes yeux, nettement mieux que dans le livre. Et ça devient moins important que les éléments culturels balancés au hasard dans le film (et oui, il y en a plein[#]) ne soient pas tous très cohérent ou rattachés spécifiquement à la culture qui dans le livre est censé obséder Halliday. (Surtout que, franchement, l'OASIS est censé être grand et ouvert à plein de gens, donc il est logique qu'il y ait des gens qui y aient développé des fan-zones d'autres sous-cultures !)

Et par ricochet, comme ils sont plongés dans une quête qui a un sens, les personnages du film acquièrent eux aussi une certaine profondeur, alors que ceux du livre n'en ont essentiellement aucune (ils sont juste des réservoirs à geek-culture). Pas tellement le héros Parzival, il faut l'avouer, qui reste presque aussi plat dans le film que dans le livre sauf à la toute fin, mais ses compagnons d'aventure : l'héroïne Art3mis a une vraie motivation dans le film, et surtout, le principal second rôle, H, extrêmement bien interprété et très drôle, devient réellement attachant. Et comme on dit souvent qu'un film est aussi réussi que son grand méchant, moi j'ai aimé celui du film, qui est certes tout à fait caricatural comme corporate asshole, mais il est aussi très crédible et très drôle en tant que tel. (Il y a aussi un méchant de second rôle qui est très réussi et très drôle.)

Au final, je trouve que c'est de la bonne SF, et je recommande.

Ajout () : cette critique par l'excellente chaîne YouTube Just Write rejoint partiellement ce que je dis (en allant plus loin et en analysant beaucoup mieux) : le film a eu raison de changer le livre, mais aurait dû s'en affranchir encore plus. Je souscris totalement au message final : ça aurait été tellement plus intéressant si le héros avait été le seul gunter qui, au lieu de mémoriser plein de faits aléatoires sur plein d'histoires de la culture pop, avait poussé un cran plus loin jusqu'à comprendre la morale et le sens profond de ces histoires.

[#] Juste pour la note en bas de page, j'étais fier d'avoir immédiatement reconnu, entre autres choses, la formule magique utilisée par Merlin dans le film Excalibur. Parfois je ne comprends pas comment ma mémoire fonctionne.

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