David Madore's WebLog: Les revêtements doubles du groupe symétrique sont pénibles

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(mercredi)

Les revêtements doubles du groupe symétrique sont pénibles

Écrire l'entrée récente sur la vulgarisation des mathématiques m'a motivé a essayer d'écrire un morceau de vulgarisation sur la symétrie, les groupes finis et (l'histoire de) la classification des groupes simples finis. Comme c'était évidemment prévisible, ce texte est en train de grandir jusqu'à une taille démesurée, et comme d'habitude le risque commence à devenir sérieux que je finisse par en avoir marre et que je laisse tomber ; j'essaierai, le cas échéant, de m'efforcer de publier ce que j'aurai déjà écrit même si c'est inachevé plutôt que le garder indéfiniment dans mes cartons en pensant je finirai peut-être un jour. Ceci n'est pas le texte en question : c'est une tangente qui est déjà insupportablement longue en elle-même. Mais ceci est une illustration de ce que je disais dans l'entrée récente liée ci-dessus : on apprend toujours quelque chose en faisant de la vulgarisation, même quand on croit se placer à un niveau où on sait déjà tout ; et aussi que ça peut être un problème mathématiquement difficile de trouver comment bien expliquer ceci ou cela.

Puisqu'il s'agit de raconter mes difficultés, je m'adresse dans ce qui suit à des lecteurs qui sont déjà familiers avec la notion de groupe (et de sous-groupe, de quotient, de permutations, de signature (=parité) d'une permutation, et quelques choses à peu près à ce niveau-là). Normalement le contenu de l'entrée interminable que je viens de promettre pour un lendemain rieur devrait suffire à comprendre celle-ci (mais bon, c'est la théorie ; pour la pratique, je ne sais pas bien). Bref.

Remarque informatique : J'utilise la notation 𝔖 pour le groupe symétrique et 𝔄 pour le groupe alterné. Vous devriez voir une ‘S’ gothique (enfin, fraktur) pour le premier et un ‘A’ gothique pour le second. Mais on me souffle que dans certaines contrées reculées où la totalité d'Unicode ne baigne pas encore le monde de sa lumière bienfaisante et où les polices sont incomplètes, ces deux symboles pourraient apparaître comme des simples carrés (sans même un numéro hexadécimal à l'intérieur permettant de les distinguer simplement), ce qui est un peu fâcheux si je cherche à dire que 𝔄n est simple (pour n≥5) alors que 𝔖n n'est que « presque simple », par exemple. Pour toucher aussi ces provinces reculées (ainsi que les gens qui font une allergie à l'écriture gothique), j'ai prévu un peu de magie en JavaScript qui remplacera en un seul clic tous ces symboles par des identifiants plus explicites Sym et Alt : cliquez ici pour activer ce remplacement.

Je commence par expliquer le contexte (même si ce n'est pas vraiment important pour ce que je veux raconter ci-dessous, et c'est un peu plus technique, donc on peut ignorer), une des idées que je veux évoquer, au moins rapidement et en petits caractères, même si c'est un peu technique, est le fait qu'un groupe simple fini non abélien G apparaît souvent, dans la nature, « étendu » par des petits groupes (résolubles, souvent cycliques), de l'une ou l'autre, ou les deux, de manières (que, à ma grande honte, j'ai beaucoup tendance à confondre). À savoir : (1) « par la droite » par des automorphismes extérieurs, c'est-à-dire sous la forme d'un groupe E (dit presque simple) intermédiaire entre G et le groupe Aut(G) des automorphismes de G, si bien que G est un sous-groupe distingué de E avec un « petit » quotient (le plus gros possible étant le groupe Out(G)=Aut(G)/Int(G) des automorphismes extérieurs de G) ; ou bien (2) « par la gauche » par un sous-groupe central, c'est-à-dire sous la forme d'un groupe G˜ (dit quasisimple), parfait (= sans quotient abélien), ayant cette fois G comme quotient par un noyau contenu dans le centre de G˜ (et de nouveau il y a un plus gros revêtement possible, donné par le multiplicateur de Schur) ; et on peut avoir les deux à la fois, ce qui complique encore les définitions (je n'en connais d'ailleurs pas qui ne soient pas passablement pénibles à donner, donc si quelqu'un a ça, ça m'intéresse), et en plus on se perd dans les marais de l'« isoclinisme ». Je voudrais donner des exemples des deux phénomènes, voire des deux à la fois. Ne voulant pas supposer que mon lecteur est familier avec l'algèbre linéaire, je voudrais donner l'exemple du groupe alterné G = 𝔄n des permutations paires sur n objets. À ce moment-là, l'exemple de la situation (1) est facile à donner, c'est le groupe symétrique E = G:2 = 𝔖n de toutes les permutations sur n objets (et il n'est pas difficile d'expliquer que l'automorphisme intérieur défini par une permutation impaire devient, quand on le restreint au groupe alterné G = 𝔄n, un automorphisme extérieur). La situation (2) se produit aussi, et il existe un revêtement double G˜ = 2·G = 2·𝔄n, et deux revêtements doubles (« isoclinaux ») 2·𝔖n⁺ et 2·𝔖n⁻. J'ai donc bien envie d'essayer de décrire à quoi ressemblent ces groupes. L'ennui, c'est qu'ils ne sont vraiment pas commodes à décrire.

Ce dont il est question, ce sont deux groupes 2·𝔖n⁺ et 2·𝔖n⁻ qui sont des « revêtements doubles » du groupe symétrique 𝔖n sur n objets, et qu'on peut considérer comme des sortes de « permutations avec un signe »[#].

[#] (Ajout)Il vaut mieux éviter de dire permutations signées, parce que le groupe des permutations signées est encore autre chose (que les quatre groupes de permutations-avec-un-signé décrits ci-dessous, et qui ont tous 2·n! éléments) : le groupe des permutations signés, ou « produit en couronne » {±1} ≀ 𝔖n, lui, a 2n·n! éléments : on peut le décrire comme les permutations de l'ensemble {±1}×{1,…,n} qui, si elles envoient (+1,x) sur (±1,y) doivent alors nécessairement envoyer (−1,x) sur (∓1,y) (autrement dit, changer la première coordonnée de la source change la première coordonnée de la cible) ; on peut aussi voir ça comme des matrices dont toutes les entrées sont nulles sauf qu'il y a des ±1 sur le graphe d'une permutation (entre lignes et colonnes). Ce groupe {±1} ≀ 𝔖n, bien que plus gros, est assez simple à manipuler, et malheureusement il ne contient pas (sauf pour n très petit) les groupes 2·𝔖n⁺ et 2·𝔖n⁻ dont je veux parler ici. Je vais y revenir.

L'idée est la suivante : je vais chercher des groupes G˜ ayant 2n! éléments, à savoir deux pour chaque permutation σ dans G := 𝔖n ; disons qu'on va noter +[σ] (ou simplement [σ]) et −[σ] les deux éléments de G˜ correspondant à une permutation σ, mais attention, le choix de qui est +[σ] et qui est −[σ] est dans une certaine mesure arbitraire, c'est bien ça qui va poser problème. Je vais maintenant imposer plusieurs choses : d'abord, si 1 désigne la permutation triviale (l'identité : celle qui envoie chaque objet sur lui-même), alors +[1], qu'on va juste noter +1 ou 1 sera l'élément neutre de mon groupe ; quant à −[1], qu'on va simplement noter −1, il aura la propriété que le produit (−1)·[σ] sera −[σ] et le produit (−1)·(−[σ]) sera +[σ] comme on s'y attend, autrement dit, −1 est « central » (il commute à tout) et échange +[σ] et −[σ] ; enfin, je vais vouloir que [σ]·[τ] soit ±[σ·τ] où σ·τ désigne le produit dans 𝔖n et ± signifie qu'il y a peut-être un signe (cela dépend de σ et τ : on pourrait le noter c(σ,τ)) mais je n'impose rien à son sujet (c'est-à-dire, rien que ce qui est nécessaire pour obtenir un groupe).

Il se trouve qu'il y a (pour n≥4) exactement quatre groupes qui répondent aux contraintes que je viens d'énoncer : deux sont sans intérêt (mais il est pertinent de les décrire pour expliquer un peu comment les choses peuvent fonctionner) et les deux autres sont ces fameux revêtements doubles 2·𝔖n⁺ et 2·𝔖n⁻ dus à Issai Schur :

  1. Le plus évident est le groupe produit direct {±1}×𝔖n (ou 2×𝔖n étant entendu que 2 désigne abusivement le groupe cyclique Z₂={+1,−1} à deux éléments) ; c'est-à-dire qu'ici le signe et la permutation n'interagissent pas du tout. Autrement dit, dans ce groupe-là, on a [σ]·[τ] = [σ·τ] (toujours avec un signe ‘+’), et il n'y a vraiment rien d'intéressant à en dire. Remarquons que si σ est une transposition (= permutation d'ordre 2 échangeant deux éléments et laissant fixes tous les autres), alors ±[σ] est d'ordre 2 dans ce groupe, et que si σ est le produit de deux transpositions de support disjoints (= permutation d'ordre 2 échangeant deux paires d'éléments et laissant fixes tous les autres), alors ±[σ] est encore d'ordre 2.
  2. Un groupe un petit peu moins évident est celui dans lequel [σ]·[τ] = [σ·τ] sauf lorsque σ et τ sont toutes les deux impaires, auquel cas [σ]·[τ] = −[σ·τ]. Faute d'idée de meilleure notation, je vais le noter 2⊙𝔖n pour y faire référence plus tard. En fait, il est peut-être plus parlant pour y penser de modifier la notation et, lorsque σ est une permutation impaire, de noter (ou en tout cas de penser comme) +i[σ] et −i[σ] plutôt que +[σ] et −[σ] les deux éléments du groupe qui relèvent σ, où i est la racine carrée complexe standard de −1, auquel cas la règle des signes que je viens de donner est assez logique. (Je répète que je ne change pas du tout le groupe, là, je change juste la manière de noter ses éléments ou simplement d'y penser.) Ce groupe a la propriété que si σ est une transposition, alors ±[σ] est d'ordre 4 dans ce groupe (puisque son carré va être −1 d'après la règle de signe), et que si σ est le produit de deux transpositions de support disjoints, alors ±[σ] est d'ordre 2.
  3. On a le groupe 2·𝔖n⁺ que je vais essayer (sans grand succès) de décrire : il a la propriété que si σ est une transposition, alors ±[σ] est d'ordre 2 dans ce groupe (son carré vaut 1), et que si σ est le produit de deux transpositions de support disjoints, alors ±[σ] est d'ordre 4 (son carré vaut −1).
  4. Enfin, on a le groupe 2·𝔖n⁻ : il a la propriété que si σ est une transposition, alors ±[σ] est d'ordre 4 dans ce groupe (son carré vaut −1), et que si σ est le produit de deux transpositions de support disjoints, alors ±[σ] est également d'ordre 4 (son carré vaut −1).

Les deux premiers groupes dont je viens de parler (2×𝔖n et 2⊙𝔖n) deviennent identiques si on se limite aux permutations paires (et c'est toujours aussi inintéressant : c'est {±1}×𝔄n qu'on peut aussi noter 2×𝔄n) ; il en va de même des deux derniers : on note 2·𝔄n (groupe d'ordre n!) la restriction de l'un ou l'autre de 2·𝔖n⁺ ou 2·𝔖n⁻ aux permutations ±[σ] avec σ paire.

Pour les gens savants (ils n'ont pas besoin que je leur raconte ça, mais enfin), ces quatre extensions représentent les quatre éléments du groupe de cohomologie H²(𝔖n,Z₂) qui est Z₂×Z₂ (en notant Z₂ le groupe cyclique à quatre éléments). L'un des facteurs Z₂ (celui des deux premières extensions de mon énumération) est canonique et peut être décrit indifféremment comme l'image de l'inflation H²(Z₂,Z₂) → H²(𝔖n,Z₂) (donnée par la signature), ou comme le noyau de la restriction H²(𝔖n,Z₂) → H²(𝔄n,Z₂). (La corestriction H²(𝔄n,Z₂) → H²(𝔖n,Z₂), pour sa part, est nulle.) L'autre facteur Z₂ n'est pas canonique, et je ne vois pas que la cohomologie des groupes « préfère » d'une manière ou d'une autre l'une des deux extensions 2·𝔖n⁺ et 2·𝔖n⁻ par rapport à l'autre.

Les groupes « faciles » 2×𝔖n et 2⊙𝔖n peuvent se décrire facilement comme des groupes de permutations ou comme des groupes de matrices. Je décris comment (c'est un peu long à dire, mais il n'y a vraiment rien de surprenant). Pour ce qui est de 2×𝔖n, comme groupe de permutations on peut faire ça avec 2n objets : mettons que ces objets s'appellent +[1],…,+[n] et −[1],…,−[n] : si σ est un élément de 𝔖n, on décidera que +[σ] envoie +[i] sur +[σ(i)] et −[i] sur −[σ(i)] (i.e., permute séparément les deux blocs selon ce que fait σ) tandis que −[σ] échange les signes (i.e., envoie +[i] sur −[σ(i)] et −[i] sur +[σ(i)]). On peut aussi voir ça comme un groupe de matrices de taille n×n qui sont soit des matrices de permutation (dans le cas de +[σ]) soit des opposées de matrices de permutation (dans le cas de −[σ]), et en appelant [1],…,[n] la base de l'espace en question, on retrouve justement l'action par permutations que je viens de dire sur les éléments de la base et leurs opposés. Pour ce qui est du groupe que je note 2⊙𝔖n, comme groupe de permutations je vais faire avec 4n objets : appelons-les +[1],…,+[n], −[1],…,−[n], +[1]′,…,+[n]′ et −[1]′,…,−[n]′ : si σ est une permutation paire, alors +[σ] et −[σ] font comme précédemment séparément sur les ±[i] et sur les ±[i]′, en revanche, si σ est une permutation impaire, alors +[σ] enverra ±[i] sur ±[σ(i)]′ (avec les mêmes signes) et ±[i]′ sur ∓[σ(i)] (en échangeant les signes), et bien sûr −[σ] enverra ±[i] sur ∓[σ(i)]′ et ±[i]′ sur ±[σ(i)]. (Par exemple, si τ est la transposition qui échange 1 et 2, alors +[τ] envoie +[1] sur +[2]′, lequel s'envoie sur −[1], lequel s'envoie sur −[2]′.) Comme groupe de matrices complexes de taille n×n on peut voir 2⊙𝔖n comme le groupe des matrices qui sont la matrice d'une permutation paire, ou son opposée, ou bien i (la racine carrée complexe standard de −1) fois la matrice d'une permutation impaire, ou −i fois ; l'action par permutations que je viens de décrire est alors l'action sur les éléments de la base, leurs opposés, et leurs produits par ±i.

Malheureusement, comme je vais le dire plus bas, décrire 2·𝔖n⁺ ou 2·𝔖n⁻ comme groupe de permutations ou comme groupe de matrices est beaucoup plus difficile que 2×𝔖n ou 2⊙𝔖n.

Si on sait décrire 2·𝔖n⁺, il est facile de fabriquer 2·𝔖n⁻ (en gros par le même procédé qui fabriquer mon deuxième exemple : pour les permutations impaires, noter +i[σ] et −i[σ] plutôt que +[σ] et −[σ] et voir comment cela affecte les règles de signes ; techniquement, 2·𝔖n⁻ est un sous-groupe d'indice 2 dans un « produit central » de 2·𝔖n⁺ et du groupe cyclique Z₄={1,v,v²,v³} d'ordre 4, c'est-à-dire dans le quotient du produit direct 2·𝔖n⁺×Z₄ par (−1,v²)), et symétriquement, on peut fabriquer 2·𝔖n⁺ à partir de 2·𝔖n⁻ (exactement de la même manière, en fait). En fait, on peut même assez facilement fabriquer 2·𝔖n⁺ et 2·𝔖n⁻ à partir de leur restriction commune 2·𝔄n au groupe alterné.

Mais décrire exactement ce qu'est 2·𝔖n⁺ ou 2·𝔖n⁻ n'est pas facile. C'est même désagréablement pénible, et c'est bien ça mon problème. Considérons différentes approches possibles :

Une approche consiste à considérer une présentation. Le groupe symétrique 𝔖n est engendré par les transpositions entre éléments consécutifs (autrement dit, vous pouvez trier n objets en ne faisant comme seule opération qu'échanger deux éléments adjacents) : plus exactement, si mes objets sont numérotés de 1 à n et que j'appelle ti (pour 1≤in−1) la transposition qui échange i et i+1, alors on a (« présentation de Coxeter ») : (A) (ti)²=1, (B) (ti·ti+1)³=1 ou, ce qui revient au même compte tenu de (A), ti·ti+1·ti = ti+1·ti·ti+1, et enfin (C) (ti·tj)²=1 si |ij|≥2 ou, ce qui revient au même compte tenu de (A), ti·tj = tj·ti ; de plus, ces règles permettent d'effectuer n'importe quel calcul dans 𝔖n (il s'agit d'une présentation du groupe).

On peut alors définir 2·𝔖n⁺ comme engendré par −1 et des [ti] (pour 1≤in−1) sujets aux relations : que (−1)²=1 et que −1 commute à tous les [ti] (donc à n'importe quoi), et (A) [ti]²=1, (B) ([ti]·[ti+1])³=1 ou, ce qui revient au même compte tenu de (A), [ti]·[ti+1]·[ti] = [ti+1]·[ti]·[ti+1], et enfin (C) ([ti]·[tj])²=−1 si |ij|≥2 ou, ce qui revient au même compte tenu de (A), [ti]·[tj] = −[tj]·[ti]. (En fait, on peut aussi mettre un signe moins dans le B si on veut, ça ne change rien puisque cela revient juste à remplacer un [ti] sur deux par son opposé.)

On peut de même définir 2·𝔖n⁻ comme engendré par −1 et des [ti] (pour 1≤in−1) sujets aux relations : que (−1)²=1 et que −1 commute à tous les [ti] (donc à n'importe quoi), et (A) [ti]²=−1, (B) ([ti]·[ti+1])³=−1 ou, ce qui revient au même compte tenu de (A), [ti]·[ti+1]·[ti] = [ti+1]·[ti]·[ti+1], et enfin (C) ([ti]·[tj])²=−1 si |ij|≥2 ou, ce qui revient au même compte tenu de (A), [ti]·[tj] = −[tj]·[ti]. (En fait, on peut aussi changer les signes dans le B si on veut, ça ne change rien puisque cela revient juste à remplacer un [ti] sur deux par son opposé.)

En principe, cela permet de faire tous les calculs (il découle même de résultats sur les groupes de Coxeter qu'on n'a jamais besoin de faire apparaître des ti en utilisant (A), on peut utiliser (A), (B) et (C) uniquement dans un sens simplificateur, c'est-à-dire ne faisant pas augmenter le nombre de ti). À titre d'exemple, dans 2·𝔖n⁺, on a ([t₁]·[t₂]·[t₃])² = [t₁]·[t₂]·[t₃]·[t₁]·[t₂]·[t₃] = −[t₁]·[t₂]·[t₁]·[t₃]·[t₂]·[t₃] = −[t₂]·[t₁]·[t₂]·[t₂]·[t₃]·[t₂] = −[t₂]·[t₁]·[t₃]·[t₂] et donc ([t₁]·[t₂]·[t₃])⁴ = (−[t₂]·[t₁]·[t₃]·[t₂])² = [t₂]·[t₁]·[t₃]·[t₂]·[t₂]·[t₁]·[t₃]·[t₂] = [t₂]·[t₁]·[t₃]·[t₁]·[t₃]·[t₂] = −[t₂]·[t₃]·[t₁]·[t₁]·[t₃]·[t₂] = −[t₂]·[t₃]·[t₃]·[t₂] = −[t₂]·[t₂] = −1. Dans 2·𝔖n⁻, les étapes sont analogues et le résultat final est le même (il y a juste des points où le signe diffère, mais à la fin on trouve aussi −1).

Si on veut travailler simultanément avec 2·𝔖n⁺ ou 2·𝔖n⁻, on peut aussi considérer le groupe engendré par −1, par u et par des [ti] (pour 1≤in−1) sujets aux relations : que (−1)²=1 et que −1 commute à u et à tous les [ti] (donc à n'importe quoi), que u²=1 et que −1 commute à (−1 et) à tous les [ti] (donc à n'importe quoi), et (A) [ti]²=u, (B) [ti]·[ti+1]·[ti] = [ti+1]·[ti]·[ti+1], et enfin (C) ([ti]·[tj])²=−1 si |ij|≥2. Ce groupe est le produit fibré de 2·𝔖n⁺ et 2·𝔖n⁻ au-dessus de 𝔖n : en posant u=1 (c'est-à-dire en quotientant par u) on obtient 2·𝔖n⁺ alors qu'en posant u=1 (c'est-à-dire en quotientant par −u) on obtient 2·𝔖n⁻.

En pratique, c'est pénible pour la même raison qu'on n'a pas envie de trier des objets en ne faisant jamais que permuter deux objets adjacents (notamment, s'il s'agit d'inverser complètement l'ordre des objets, on se retrouve avec quelque chose comme t1·t2tn−1 · t1·t2tn−2t1·t2·t3 · t1·t2 · t1, ce qui nécessite n(n−1)/2 transpositions, la plus grande valeur possible). En fait, cette définition des 2·𝔖n⁺ ou 2·𝔖n⁻ n'est pas passée par la définition de [σ] (c'est-à-dire du choix de ce qui va être +[σ] et ce qui va être −[σ]) pour toute permutation σ, seulement pour les transpositions de deux éléments consécutifs : ce qui a l'avantage de pouvoir être fait de façon raisonnablement explicite, mais l'inconvénient que s'en servir pour faire n'importe quelle permutation est excessivement laborieux.

On devrait pouvoir faire des choix de signes, c'est-à-dire décider qui est +[σ] et qui est −[σ], pour toute permutation σ, et ainsi obtenir la règle des signes [σ]·[τ] = c(σ,τ)·[σ·τ] (la fonction c, de (𝔖n)², à valeurs dans {+1,−1} est ce qu'on appelle un 2-cocycle, c'est-à-dire en l'occurrence qu'elle vérifie c(σ₁,σ₂) · c(σσ₂,σ₃) = c(σ₁,σσ₃) · c(σ₂,σ₃)). Il faut bien se rappeler que même une fois que le groupe est fixé, le choix des signes est assez arbitraire (en effet, si on remplace [σ] par a(σσa est une fonction quelconque de 𝔖n à valeurs dans {+1,−1}, on obtient toujours le même groupe puisqu'on n'a fait que renommer ses éléments autrement, et la règle des signes est modifiée, plus précisément c(σ,τ) est remplacé par c′(σ,τ) := a(σa(τc(σ,τa(στ)−1 — l'ordre des facteurs dans ce que je viens d'écrire n'a pas d'importance et l'inverse de a(truc) est évidemment lui-même, mais je l'écris pour qu'on voie un peu comment ça apparaît ; on dit que c et c′ sont cohomologues).

Par exemple, je serais tenté de définir [σ] comme [ti1]⋯[tir] où ti1tir est une expression de longueur r minimale de σ (dans ce cas, r est d'ailleurs exactement le nombre d'inversions de σ) et, parmi les telles expressions, celle qui est lexicographiquement la première : il y a des algorithmes gloutons assez évidents pour trouver une telle expression et, ayant fixé cette convention, avec les règles (A), (B) et (C) que j'ai données ci-dessus, il devrait être possible de calculer explicitement la règle des signes [σ]·[τ] = c(σ,τ)·[σ·τ] pour chacun des deux groupes 2·𝔖n⁺ et 2·𝔖n⁻. Mais je ne crois pas que qui que ce soit ait fait ce calcul…

…Ni pour ce choix ni pour un autre, d'ailleurs. Il y a toutes sortes de livres ou d'articles qui font plus ou moins des conventions sur comment représenter les éléments de 2·𝔖n⁺ et 2·𝔖n⁻ (enfin, plutôt de l'un des deux, et on laisse au lecteur l'exercice de corriger les signes pour l'autre), par exemple en définissant la valeur de [σ] lorsque σ est un cycle, mais le calcul réel des signes est toujour laissé à un vague les relations exposées ci-dessus suffisent à calculer dans 2·𝔖n de façon générale, comme le montre l'exemple suivant. C'est d'ailleurs plus ou moins ce que j'ai moi-même fait à l'instant. Mais le calcul systématique et complet des signes, je ne crois pas que qui que ce soit l'ait mené. Ni même une analyse précise de la complexité de la multiplication dans 2·𝔖n⁺ ou 2·𝔖n⁻.

Maintenant, y a-t-il d'autres approches pour voir 2·𝔖n⁺ ou 2·𝔖n⁻ ?

Conceptuellement, on peut faire la définition suivante de 2·𝔄n : une permutation paire de n objets peut se voir comme une rotation de ℝn (vectorielle, c'est-à-dire fixant l'origine) induisant la permutation en question sur la base orthonormée standard (= matrice de permutation). Ceci définit 𝔄n comme un sous-groupe du groupe SOn des rotations de ℝn. (Si on préfère, on peut aussi se placer dans l'hyperplan où la somme de toutes les coordonnées vaut 1, et dans ce cas on a affaire à une rotation du simplexe régulier, c'est-à-dire n points tous équidistants les uns des autres, formé par les vecteurs de la base ; quitte à replacer l'origine au barycentre de ce simplexe, qui est invariant par les permutations en question, on voit ainsi 𝔄n comme un sous-groupe de SOn−1.) Maintenant, SOn a un revêtement universel d'ordre 2, appelé Spinn : l'image réciproque dans Spinn de mon 𝔄n vu comme un sous-groupe de SOn (ou, si on préfère, remplacer n par n−1 sous SO et Spin) définit précisément le groupe 2·𝔄n (et −1 est la « rotation d'un tour complet », l'élément non-trivial du centre du groupe Spin). Ça aide un peu à comprendre ce qui se passe si on a une certaine intuition du groupe Spin pour commencer (disons qu'on peut essayer de se figurer un simplexe régulier en dimension n−1 avec des fils qui relient ses sommets à l'infini, le faire tourner de manière à le replacer au même endroit, et voir comment les fils s'enroulent : il paraît que ça devrait essentiellement donner 2·𝔄n), mais ça n'aide certainement pas à représenter 2·𝔄n (informatiquement, disons).

Le problème est que le groupe Spin est pénible à manipuler quand n devient grand. Un élément de SOn est une matrice n×n. Mais si on veut voir les éléments de Spinn comme des matrices (agissant sur des machins appelés spineurs), il faut une matrice de taille 2n/2⌋×2n/2⌋ (les spineurs vivent dans un espace vectoriel de dimension 2n/2⌋), qu'on peut éventuellement descendre à 2(n/2)−1×2(n/2)−1 lorsque n est pair quitte à considérer des « demi-spineurs » (soit 2⌈(n/2)−1⌉×2⌈(n/2)−1⌉ dans tous les cas). Le procédé que j'ai expliqué permet donc de voir 2·𝔄n comme des matrices de taille 2⌊(n/2)−1⌋×2⌊(n/2)−1⌋, et il se trouve que c'est optimal (et pour 2·𝔖n⁺ ou 2·𝔖n⁻, ce sera 2⌈(n/2)−1⌉×2⌈(n/2)−1⌉). En plus, a priori, ce sont des matrices complexes (au moins pour certains n). Si on ne veut pas manipuler des matrices complexes, on peut éventuellement voir les choses dans le corps fini à 9 éléments. Mais dans le meilleur des cas, ce sont des matrices de taille exponentielle en n et qui ne sont même pas particulièrement faciles à calculer. (J'ai essayé de désemberlificoter la définition des spineurs et de la représentation de Spin dessus pour calculer moi-même à la main ces matrices pour des petites tailles de n, et c'est vraiment un cauchemar de signes, de livres qui ne sont pas deux a avoir les mêmes conventions.)

À défaut de matrices, comment peut-on se figurer un groupe ? Tous les groupes sont des sous-groupes de 𝔖N pour un N assez grand, c'est-à-dire peuvent être vus comme des groupes de permutation. Mais le N (i.e., le nombre minimal d'objets sur lequel on peut faire opérer le groupe fidèlement) peut avoir besoin d'être grand. En l'occurrence, pour 2·𝔖n⁺ ou 2·𝔖n⁻, le N optimal n'est pas clair, mais il résulte de la réponse qu'on m'a faite ici qu'on peut faire N = 4n!/⌊n/2⌋! et que c'est sinon optimal du moins probablement pas très loin de l'être. Ce sont donc des permutations sur beaucoup de point (un nombre croissant plus qu'exponentiellement avec n), et de nouveau, elles ne sont pas spécialement simples à fabriquer, les permutations en question.

À chaque fois que j'essaye de penser à 2·𝔖n⁺ ou 2·𝔖n⁻, mon premier réflexe est de m'imaginer (faussement) qu'ils opèrent sur 2n points (ce qui semble logique : si 𝔖n opère sur un ensemble X de n objets, on se dit que 2·𝔖n devrait opérer sur un ensemble X˜ de 2n objets, « les mêmes avec un signe », quitte à trouver les bons signes ; et je m'étais même persuadé que c'était une conséquence du théorème de plongement de Krasner et Kaloujnine qui permet de plonger les extensions de groupes dans des produits en couronne, en l'occurrence j'imaginais que ce serait {±1} ≀X 𝔖n qui est le groupe des 2n·n! permutations de X˜ = {±1}×X qui seraient compatibles à X c'est-à-dire qui envoient (+1,x) et (−1,x) sur (+1,y) et (−1,y) en changeant éventuellement l'ordre). Ce n'est pas vrai, malheureusement (ce n'est même pas vrai pour 2⊙𝔖n, en fait). En fait, on peut être plus précis : si X est un ensemble sur lequel 𝔖n opère fidèlement et transitivement, et si H est le stabilisateur d'un point x₀ (quelconque fixé ; ce qui permet de voir X comme l'ensemble des classes G/H), alors 2·𝔖n (c'est-à-dire 2·𝔖n⁺ respectivement 2·𝔖n⁻ ou d'ailleurs 2⊙𝔖n) opère fidèlement (et transitivement) sur X˜ := {±1}×X si et seulement si l'image réciproque de H dans 2·𝔖n (i.e., les permutations de la forme ±[σ] avec σ dans H c'est-à-dire fixant x₀) est (= « se scinde en ») un produit direct de {±1} par un groupe qu'on peut donc identifier à H, i.e., si et seulement si 2·𝔖n a un sous-groupe qui s'envoie isomorphiquement sur H dans 𝔖n (concrètement, une façon de choisir un et un seul de +[σ] ou −[σ] pour chaque élément σ de H de manière à former un sous-groupe de 2·𝔖n) ; on a peut alors voir X˜ comme 2·𝔖n/H (et de 2·𝔖n comme un sous-groupe de {±1} ≀X 𝔖n). Pour l'action naturelle de 𝔖n sur un ensemble X de n objets, H est 𝔖n−1, et l'image réciproque de H dans 2·𝔖n est évidemment 2·𝔖n−1, elle ne se scinde pas, donc ça ne marche pas.

Ceci soulève d'ailleurs la question naturelle suivante : comment détecte-t-on qu'un sous-groupe H de 𝔖n se scinde dans 2·𝔖n⁺ respectivement 2·𝔖n⁻, autrement dit, qu'il y ait un sous-groupe de 2·𝔖n qui s'envoie isomorphiquement sur H ? (Bref, une façon de choisir un et un seul de +[σ] ou −[σ] pour chaque élément σ de H de manière à former un sous-groupe de 2·𝔖n. Ou, de façon savante, que la flèche de restriction H²(𝔖n,Z₂)→H²(H,Z₂) tue le facteur intéressant.) S'agissant de 2⊙𝔖n, la réponse est simplement d'être contenu dans 𝔄n. Mais s'agissant de 2·𝔖n⁺ et 2·𝔖n⁻ je n'ai que des conditions partielles : si H est d'ordre impair, il se scinde (dans les deux), si H contient un produit de deux transpositions de support, il ne se scinde pas (dans aucun des deux), si H contient une transposition il ne se scinde pas dans 2·𝔖n⁻, ce genre de choses.

Bref, ces groupes mettent une mauvaise volonté particulièrement manifeste à se laisser représenter. La solution permutation+signe est sans doute encore la meilleure, même si dans le pire des cas on doit faire usage d'un algorithme de tri quadratique (par transpositions d'éléments adjacents) pour calculer les signes : c'est toujours mieux qu'exponentiel. Reste que dans un programme comme Gap, qui ne sait manipuler que les groupes de permutations d'une part et les groupes de matrices de l'autre (parce qu'il y a des algorithmes particulièrement efficaces dans ces deux cas), ce n'est pas possible, et ajouter un mode de représentation supplémentaire serait particulièrement difficile.

Note pour moi-même : Voici comment on peut construire ces groupes (pour des petites tailles de n) sous Gap : s4minus := SchurCover(SymmetricGroup(4)); s4plus := Group([GeneratorsOfGroup(s4minus)[1] * Z(3,2)^2, GeneratorsOfGroup(s4minus)[2] * Z(3,2)^2]); s5minus := SchurCover(SymmetricGroup(5)); s5plus := Group([GeneratorsOfGroup(s5minus)[1], GeneratorsOfGroup(s5minus)[2] * Z(3,2)^2]); et ainsi de suite selon la parité de n (l'idée est que le premier générateur que Gap donne pour 2·𝔖n⁻ relève un n-cycle, le second relève une transposition, et dans tous les cas, ce sont des matrices sur le corps à 9 éléments ; pour passer de l'un à l'autre des groupes, il suffit de multiplier par i, élément d'ordre 4 dans le groupe multiplicatif du corps à 9 éléments, noté Z(3,2)^2 sous Gap, les générateurs relevant les permutations impaires).

Tout ça me chagrine. D'abord pour ce qui est de la vulgarisation, parce que c'est quand même bigrement compliqué, donc je suis en mal d'une façon d'expliquer à Madame Michu ce que c'est que 2·𝔖n⁺ ou 2·𝔖n⁻ (alors que 𝔖n on y arrive). Mais aussi à un niveau plus philosophique : ces groupes sont « censés » être « naturels » (whatever that means), mais contrairement à 𝔖n qui apparaît tout le temps et partout et qui est le groupe des automorphismes de l'objet mathématique le plus simple qui existe (un ensemble de n éléments sans aucune autre structure), ces revêtements doubles ne semblent pas être le groupe des automorphismes de quoi que ce soit de parlant. Pour être « naturels », ces groupes ne semblent pas avoir de construction « naturelle », et ça m'embête.

J'en profite pour signaler encore une chose : pour tout n, les groupes 2·𝔖n⁺ et 2·𝔖n⁻ sont non isomorphes (en tant que groupes abstraits ; esquisse de démonstration : le centre est forcément invariant, donc un isomorphisme donnerait un automorphisme de 𝔖n, or ils sont intérieurs donc on peut supposer que ce serait l'identité, donc on a un isomorphisme d'extensions, et les extensions sont classifiées), à une exception près, c'est n=6, où l'automorphisme exceptionnel de 𝔖₆ les échange. En lien avec cette situation exceptionnelle, je peux aussi mentionner que pour n=6 et n=7, le groupe alterné 𝔄n (mais pas le groupe symétrique 𝔖n) a également des revêtements triple et du coup sextuple (qu'on peut voir comme des permutations munies d'une racine 3e ou 6e de l'unité).

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