David Madore's WebLog: Il faut inventer un code correcteur résistant aux journalistes

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(mercredi)

Il faut inventer un code correcteur résistant aux journalistes

L'autre jour je tombais dans Le Monde (qui n'est pourtant pas le pire — et pas le meilleur non plus — quotidien français en matière de journalisme scientifique) sur un article qui rapportait un progrès quelconque en matière de réalisation d'un ordinateur quantique. Sans doute une avancée microscopique (c'est le cas de le dire) montée en épingle, mais peu importe : le fait est surtout que je n'ai absolument pas compris, à la lecture de l'article, quelle pouvait être cette avancée, même dans les grandes lignes, alors que je sais quand même ce qu'est un ordinateur quantique, un qubit, etc., choses que le journaliste essayait d'« expliquer ». Je n'ai évidemment pas l'intention de parler d'informatique quantique ici, mais du journalisme scientifique.

C'est une blague récurrente que la qualité épouvantable du journalisme scientifique (exhibit A, exhibit B, exhibit C, exhibit D, exhibit E [suggéré en commentaire] ; voir aussi ce qu'en disait John Oliver récemment dans Last Week Tonight) : affirmations sensationnalisées, extrapolations délirantes, études sorties de leur contexte, cadre scientifique complètement ignoré, rapprochements hasardeux, explications tronquées ou mélangées, métaphores foireuses, confusions de langage, erreurs de chiffres et d'unités. J'avais donné un exemple particulièrement frappant il y a longtemps, ce n'est pas vraiment la peine de les multiplier, il suffit d'ouvrir quasiment n'importe quel magazine grand public pour en avoir à foison.

En l'occurrence, j'imagine très bien comment la discussion avec les chercheurs a pu se passer : il a demandé une première explication, en a reçu une, a répondu trop compliqué pour nos lecteurs, essayez de faire plus simple, en a reçu une seconde, et a recommencé jusqu'à ce que les chercheurs se lassent, après quoi il — le journaliste — a pris un mélange aléatoire des termes contenus dans les différentes explications et a publié ça.

On pourrait prendre le problème sous l'angle sociologique (comment se fait-il que la culture scientifique des journalistes, qui ont bien dû passer par le lycée, soit aussi épouvantablement nulle ? comment se fait-il que les gens ruent dans les brancards quand il est question de toucher à l'enseignement au lycée du latin ou de l'Histoire même dans les classes scientifiques mais que personne ne s'inquiète véritablement que la physique ou la biologie puissent rester totalement ignorés des « littéraires » ?). Mais on pourrait aussi essayer d'approcher le problème scientifiquement :

Si on considère les journalistes comme une source de bruit qui vient s'ajouter à un signal (ce que le chercheur a essayé de dire), la question peut se poser de modéliser ce bruit et de trouver un code correcteur d'erreurs qui permette de corriger ce bruit. Autrement dit, trouver une façon de raconter les choses de façon que, même une fois que le journaliste aura complètement déformé à sa sauce, une personne instruite du code (donc, un autre scientifique) puisse retrouver le message d'origine. Ou au moins, étudier la capacité du canal bruité, c'est-à-dire, le nombre de bits d'information qu'on peut réussir à faire passer fiablement dans un article de journalisme scientifique.

Je serais curieux de voir comment une telle étude serait traitée dans la presse.

Bon, je ne suis bien sûr pas très sérieux en disant tout ça. Pour l'être un peu plus, il faudrait voir par quelles techniques un chercheur qui est amené à expliquer ses travaux à un journaliste peut réussir à glisser dans l'article du journaliste quelques mots-clés ou une URL miniaturisée permettant d'accéder à une explication sensée des mêmes choses (souvent le nom du scientifique suffit, mais pas toujours, surtout quand il s'agit d'un travail d'équipe ou quand l'affaire fait sensation et que les articles d'autres journalistes polluent complètement les résultats de Google) : le journaliste servirait alors uniquement à faire passer le message quelqu'un a trouvé quelque chose sur les foobars bleutés, les mots-clés disséminés peut-être à l'insu du journaliste permettant alors d'avoir une vraie information (tout le monde n'est pas doué pour la vulgarisation, mais c'est rarement pire que le gloubi-boulga qui paraîtra dans la presse).

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