David Madore's WebLog: La Suisse est-elle une fédération, une confédération, ou… ?

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(vendredi)

La Suisse est-elle une fédération, une confédération, ou… ?

(Je reproduis ici le contenu d'une remarque que j'ai fait dans un de ces salons où l'on cause virtuellement.)

Le code de pays de la Suisse, que ce soit dans ISO 3166 ou dans les codes internationaux des plaques minéralogiques, est CH pour Confœderatio Helvetica, la version latine du nom officiel du pays (la Confédération suisse). Pourtant, si le pays a beau s'autoproclamer confédération, dans les faits, c'est très nettement une fédération.

La différence entre une fédération et une confédération (une terminologie, malheureusement traditionnelle, qui ravit le Club Texte) n'est évidemment pas complètement tranchée, mais elle existe tout de même : si ce n'est pas dans l'étymologie (visiblement la même) qu'il faut la chercher, c'est dans l'usage. Disons qu'une confédération crée des liens beaucoup moins forts entre les entités confédérées, qui restent plus ou moins souveraines (elles créent la confédération par des traités entre entités souveraines et restent libres de la quitter) : typiquement, les institutions de la confédération, qui ont des pouvoirs très limités, ne représentent que les entités confédérées et pas la population de celles-ci. Les États-Unis, par exemple, ont été une confédération de 1781 à 1788, et sont devenus une fédération (un état fédéral) avec la nouvelle Constitution établie par la Convention de Philadelphie. Il est amusant de constater que pendant la guerre de Sécession, les états sécessionnistes ont pris le nom d'états confédérés, comme pour revendiquer leur souveraineté, alors qu'en fait la constitution qu'ils ont établie en 1861 était une copie presque mot pour mot de la constitution fédérale de l'Union. Quant à l'Union européenne actuelle, ce n'est pas vraiment une confédération, ni encore moins une fédération, mais plutôt une entité sui generis qui a certaines caractéristiques de l'une ou de l'autre.

Pour résumer en quelques phrases l'histoire de la Suisse, elle a été fondée comme confédération, d'abord au sein du Saint-Empire (par un pacte conclu entre les cantons d'Uri, Schwyz et Unterwald, plus ou moins symboliquement daté de 1291), puis indépendante de fait à la suite des batailles de 1386–1388 contre les Habsbourgs et de la guerre de Souabe de 1499, consacrée à la neutralité après sa défaite à Marignan en 1515, et enfin reconnue internationalement comme état indépendant par les traités de Westphalie de 1648. La France a tenté d'y imposer une république unitaire en 1798, la malheureuse République helvétique (dont la Constitution proche de celle française du Directoire a cependant laissé des traces dans les institutions modernes du pays, par exemple l'exécutif multicéphale). Mais l'insuccès de ce régime a été tel que Bonaparte a redonné à la Suisse une structure entre fédération et confédération par l'Acte de Médiation de 1803, qui reconnaît la Suisse constituée fédérale par la nature et stipule dans l'article premier de l'acte fédéral (placé astucieusement après les constitutions des cantons) : Les dix-neuf cantons de la Suisse […] sont confédérés entre eux conformément aux principes établis dans leurs constitutions respectives. La défaite de Napoléon et le congrès de Vienne (qui réaffirmait la neutralité du pays) ont fait que la Suisse a été restaurée dans sa structure d'avant 1798, mais suite à une guerre civile (des Radicaux contre les Catholiques) en 1847, la constitution moderne de 1848, résolument fédérale, a été mise en place.

La Suisse était donc une confédération de 1291 à 1798, mais depuis 1848, malgré le nom qu'elle proclame, elle est bien un état fédéral.

Pour en revenir aux mots, en allemand on distingue le Bundesstaat (état fédéral) et le Staatenbund (union/confédération d'états), mais la Suisse est dite plus spécifiquement Eidgenossenschaft[#], c'est-à-dire une union créée par un serment (Eid), le serment en question étant le serment du Rütli, version légendaire et romancée (notamment par Schiller à travers son Guillaume Tell) du pacte de 1291. On traduit normalement Eidgenossenschaft par confédération, mais le mot latin qui désigne une union créée par un serment, et qui est effectivement utilisé dans le pacte fédéral de 1291 (dont l'original est évidemment en latin, Eidgenossenschaft étant la traduction allemande) est conjuratio (de jus, ce qui lie, donc le droit mais aussi le serment) ou conspiratio. Donc le terme de confœderatio n'est pas vraiment historiquement le bon : on devrait en principe parler de Conspiration helvétique ou de Conjuration helvétique. Mais je crois que ça ne ferait pas trop plaisir à nos amis les Suisses. 😉

Tiens, si on me pardonne un petit non sequitur, il m'a semblé, pendant que j'étais parti skier en Haute-Maurienne, entendre un certain nombre de gens parler dans ce qui pouvait bien être du Schwyzertütsch (en tout cas, c'était un dialecte allemand — et clairement pas, par exemple, du néerlandais — mais auquel je ne comprenais quand même pas grand-chose). Mais ce qui m'échappe, c'est pourquoi des Suisses alémaniques viendraient aux sports d'hiver dans les Alpes françaises (et du côté de la frontère italienne, qui plus est).

[#] On me signale d'ailleurs que j'aurais pu signaler que le mot Eidgenossen a (probablement) donné en français huguenots.

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