David Madore's WebLog: Fragment littéraire gratuit #77 (des années plus tard)

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(dimanche)

Fragment littéraire gratuit #77 (des années plus tard)

Après cette semaine je me croyais préparé à tout : évidemment, je me trompais. J'aurais pu le deviner, la voiture parcourant la longue route menant à Ygnères, que la confrontation ne serait pas du tout celle que j'avais imaginée. Mais j'ai pris conscience que quelque chose clochait seulement quand les panneaux de signalisation nous ont indiqué que nous arrivions. Un arrangement végétal coloré témoignait pour l'indication ville fleurie, et au-dessous de la mention commune d'Europe figurait le nom d'un patelin italien auquel elle était jumelée.

La dissonance entre ce village pimpant et celui de mes souvenirs était telle que j'ai pensé à une erreur : l'endroit où je me dirigeais devait être un lieu brumeux et sinistre, aux vieilles pierres noires, rébarbatives et hostiles, à jamais maudit par la souffrance que j'y avais endurée — certainement pas un village comme tous les autres, ensoleillé et propre. Ou bien le feu du ciel avait-il accompli pour moi la vengeance que j'avais rêvée ? Ceux qui m'avaient tourmenté avaient-ils été précipités dans l'abîme pour qu'à la place laissée nette par l'oblitération de Sodome puisse apparaître cette ville nouvelle et fraîche ? Mais face à l'église j'ai dû admettre, oui, que j'étais bien à Ygnères.

L'ancienne mairie avait été transformée en syndicat d'initiative, et le chemin des vignes, devenu route communale, avait été goudronné. Puis nous sommes arrivés au manoir : de nouveau, mon espoir ou ma crainte que se manifestent devant moi les spectres du passé ont été déçus — rien d'effrayant à cet endroit. Une petite vieille est sortie à la rencontre de la voiture. En la voyant, quelque chose s'est agité dans ma mémoire, et soudain le déclic s'est fait : Marguerite !

— Qu'est-ce que… Philippe ? C'est pas possible ! Philippe, c'est bien toi ! Je ne pensais jamais te revoir.

Les digues ont rompu, et j'ai été noyé sous un flot d'images que j'avais cru oubliées…

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