Je continue à suivre le cours de hiéroglyphes que j'ai commencé en novembre. Pour ceux qui veulent avoir une idée de ce qu'on fait, Rémy a pris des notes en HieroTeX. Le prof (Dominique Farout) est vraiment très bien, et ses cours sont fascinants notamment parce qu'il ne se prend pas trop au sérieux, il part souvent dans des anecdotes intéressantes…
Mais la langue elle-même, il faut le dire, est vraiment une langue
de fous. Notamment, les Égyptiens semblent avoir une idée très
bizarre de ce qu'il faut répéter et ce qu'il faut omettre : par
exemple, ils ont des signes (dits bilitères
ou
trilitères
) qui représentent plusieurs sons (enfin, plusieurs
consonnes, parce que comme pour l'arabe on ne note essentiellement que
les consonnes), et ils prennent quand même souvent le soin de répéter
le dernier son, voire chacun d'entre eux, par un signe simple
(unilitère
), pour bien qu'on comprenne ; ils écrivent aussi
souvent un nom en mettant d'abord sa prononciation, puis un signe
déterminatif (ou carrément figuratif) qui précise le sens. À
l'inverse, beaucoup de choses qui nous paraissent assez évidemment
nécessaire (une marque peut-être pas de la fin des mots mais au moins
de la fin des phrases, ou encore toutes sortes de relations entre
mots) sont complètement inexistantes, ou aléatoirement omises (pour
dire le machin de truc
, le plus souvent,
ils juxtaposent simplement machin et truc
— dans cet ordre). L'ordre des mots, d'ailleurs, est le plus
bizarre de toutes les langues dont j'ai des notions, et j'ai
l'impression que la moitié de nos cours consiste simplement à nous
expliquer l'ordre des mots (et je ne parle pas de certains
hiéroglyphes, par exemple ceux qui représentent un dieu ou un roi, qui
sont réordonnés à l'intérieur d'un mot pour montrer qu'ils sont
importants).
Dernièrement, nous avons parlé des noms du pharaon. Car le pharaon
(au moins sur une certaine période, disons, au Nouvel Empire) a cinq noms
(dont plusieurs peuvent être identiques) : le nom Horus, le
nom celui des Deux Maîtresses (= les divinités de la haute
et de la basse Égypte), le nom Horus d'or, le nom Roi
de Haute et de Basse Égypte (papyrus et abeille, ou nom de
couronnement) et le nom fils de Ré (les deux derniers noms
sont normalement écrits dans un cartouche). Dans un texte,
on précède tout ça de quelque chose comme sa Majesté
, et on
finit par un truc comme vivant en bonne santé éternellement à
jamais
(ou plus). Avec quelques ornements optionnels en plus, ça
fait un sacré paquet à chaque fois qu'on veut parler du roi : quelque
chose comme
L'Horus
la Descendance vit, Celui des Deux Maîtressesla Descendance vit, Horus d'orla Descendance vit, Roi de Haute et de Basse Égyptele kâ de Ré s'est manifesté[Khéperkaré], doté de vie, de stabilité et de pouvoir, de sorte que son cœur soit en santé éternellement comme Ré, aimé de Montou maître de Thèbes, fils de RéSénousret[Sésostris Ier], doté de vie, de stabilité et de pouvoir, de sorte que son cœur soit en santé éternellement comme Ré, aîmé d'Amon maître de Coptos, dieu bienfaisant maître des deux terresle kâ de Ré s'est manifesté, doté de vie, de stabilité et de pouvoir, de sorte que son cœur soit en santé éternellement comme Ré, aimé de Min Gebtywy maître des senout.
modulo ce que j'ai mal noté, mais bon, l'idée y est : c'est…
verbeux. D'ailleurs, je m'étais souvent demandé ce qui était écrit
sur l'obélisque
de la Concorde : la réponse est simplement, en bref,
Ramsès II
.
Ah oui, on nous a aussi raconté qu'un certain grand-prêtre de Ptah, dont j'oublie le nom mais qui était fils, frère, oncle et grand-oncle de quatre pharaons consécutifs, a noté dans ses mémoires que le jour le plus important de sa vie est celui où son petit-neveu (le quatrième des pharaons en question) l'a autorisé, eu égard à son grand âge, quand il (le grand-prêtre) se prosternait devant lui (le pharaon), à embrasser non pas le sol mais ses pieds (ceux du pharaon). Ils sont fous, ces Égyptiens.
Ajout (2006-01-13T08:30+0100) : Une autre chose
que j'ai apprise, hier, dans ce cours, c'est que le fameux symbole
(☥) de l'ankh
ou croix ansée
, qui est utilisé pour désigner la vie (c'est lui
qui donne le vivant
dans vivant en bonne santé éternellement
à jamais
), n'était peut-être à l'origine que la représentation
d'un nœud de sandale (parce que le mot pour dire sandale
est le même que pour dire vie
, ou en tout cas il a les mêmes
consonnes : ʿnḫ
, ankh
donc).