David Madore's WebLog: Comment j'imagine Jésus

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(dimanche) · Pâques

Comment j'imagine Jésus

Aujourd'hui, pour les Chrétiens, c'est Pâques, la fête où ils célèbrent la résurrection du fondateur de leur religion, Jésus. Un film est sorti récemment mettant en scène la vision traditionaliste (c'est-à-dire la plus conforme aux écritures religieuses) de la passion et de la mort de ce personnage. Juste pour marquer le coup, je vais donner ma propre vision (qui est celle d'un athée) ; je précise que je ne suis pas historien, et que je n'ai donc pas de lumières particulières sur le sujet (je commets même probablement des erreurs historiques notables), mon avis vaut celui de n'importe qui (et les idées ne me sont pas originales non plus). Voici donc la manière dont j'imagine Jésus : tout ce qui suit n'est que pure conjecture (même si j'ai omis d'écrire peut-être ou vraisemblablement ou autre précaution stylistique de ce genre) — parfois même pur exercice d'imagination — de ma part ; il me semble néanmoins que le résultat n'est pas invraisemblable. Il est en revanche très peu conforme à la vision qu'ont les Chrétiens : mon intention n'est bien sûr en aucune façon de choquer qui que ce soit.

De sa jeunesse, de ses origines, on ne sait quasiment rien. Il est possible que son père se soit appelé Joseph et sa mère Marie, et qu'il ait eu entre autres un frère du nom de Jacques. Il est originaire de Galilée, et il est probablement né en l'an 4 avant l'ère commune.

Très tôt, il subit l'influence des esséniens, peut-être passe-t-il un temps dans un monastère de cette mouvance. Il apprend l'hébreu (sa langue maternelle étant l'araméen) et reçoit un enseignement de la loi juive, devenant un rabbin (docteur de la loi). Mais une rencontre déterminante de sa vie sera celle de Jean, surnommé le Baptiste (du nom de la cérémonie qu'il pratique), un prophète de quelque importance, fondateur et guide d'une secte juive qui attend, notamment, l'arrivée d'un libérateur d'Israël, le messie.

Jésus développe plus tard son propre message, dans la continuité de celui de Jean-Baptiste, mais ayant une portée plus politique : entre autres, il proteste spécifiquement contre l'occupation romaine de la Palestine. Des disciples commencent à se rallier à lui. On le surnomme Bar Abbas, c'est-à-dire le fils du père (de la même manière que, plus tard, sous le règne d'Hadrien, le chef de la dernière grande révolte juive contre Rome, Simon, sera surnommé Bar Kokheba, le fils de l'étoile).

L'agitation provoquée par Jésus ne prend jamais beaucoup d'ampleur. Il ne déplace pas les foules, il ne mène pas de révolte particulièrement violente. Il attire cependant l'attention de Ponce Pilate, le préfet de Judée, peut-être par la trahison d'un de ses propres disciples (qui aurait par exemple été mécontent de la modération de Jésus), peut-être parce que les sadducéens du sanhédrim le trouvent gênant et en profitent pour améliorer leurs relations avec Pilate. Toujours est-il que Pilate le fait mettre à mort, de la façon déshonorante, c'est-à-dire, sur la croix. Il n'est pas homme à prendre des gants avec les Juifs, Pilate, et il s'agit de montrer à Tibère qu'il fait quelque chose.

Privés de leur chef, les disciples de Jésus auraient pu disparaître comme ils étaient apparus, et comme sans doute beaucoup d'autres disciples de semblables petits prophètes sont disparus et ont été totalement oubliés de nos jours (n'est pas Jean-Baptiste ou Bar Kokheba qui veut). Mais les disciples de Jésus persistent. Ce n'est probablement pas consciemment qu'ils changent le message du maître : l'aspect politique n'est plus très porteur (et le sera encore moins après la destruction du Temple par les armées de Titus, et encore moins quand Hadrien fera expulser les Juifs de Palestine), ils se concentrent sur l'aspect religieux, en même temps que, apôtres, ils cherchent à convertir non plus seulement (ou même plus principalement) des Juifs mais n'importe quels habitants de l'empire romain ; c'est sans doute Paul (qui était lui-même citoyen romain) qui montre la voie dans cette direction, et c'est très largement à lui qu'on doit le succès ultérieur du christianisme. Progressivement, les écrits principaux de la secte, qui au départ étaient en araméen, sont soit traduits soit nouvellement rédigés, en grec, la lingua franca de l'époque (même si leur façon de parler cette langue peut faire rire les Athéniens). Les évangiles, dont on ne retiendra que quatre (mais la situation a été moins nette), écrits par des gens dont il n'est même pas certain qu'ils aient connu Jésus, cherchent à éviter aux romains la responsabilité de la crucifixion : ce sont donc essentiellement les Juifs qui sont désignés comme coupables.

Bref, ce n'est probablement pas volontairement, ou en tout cas pas consciemment, que le message de Jésus est transformé. On ne parle plus de libérer la Palestine des Romains et de restaurer le royaume d'Israël. Mais alors quel message attribuer alors à Jésus ? Il parlait de l'arrivée d'un messie, il est naturel de comprendre que c'est lui ce messie ; or messie (mot qui signifie oint en hébreu, désignant à l'origine le roi d'Israël ou un autre élu de Dieu) se traduit christ en grec : Jésus devient donc Jésus-Christ pour ses apôtres, et comme on l'avait surnommé fils du père, on le dit fils de Dieu (Jésus lui-même, qui était pieux, n'aurait jamais commis semblable sacrilège). Évidemment, le fait qu'il soit mort crucifié, fin honteuse pour l'époque s'il en est, n'aide pas à répandre son message (si on avait dû inventer le personnage de toute pièce, on n'aurait jamais imaginé quelque chose de semblable) ; il faut donc qu'il soit ressuscité (l'idée a très bien pu naître d'un malentendu, et la rumeur se serait amplifiée que quelqu'un l'aurait vu vivant).

L'empire romain, au tournant de l'ère commune, était en mal de croyance. Des dieux étaient importés de divers pays conquis, sans réussir à apporter une unité satisfaisante au panthéon hétéroclite. Le dieu des Juifs n'avait pas vraiment sa place dans ce cadre : il est, justement, le dieu des Juifs (et pas nécessairement à l'exclusion de l'existence de tout autre dieu, comme le montre par exemple le psaume 81/82 parlant de l'assemblée des dieux) qui sont liés à lui, et réciproquement, par une alliance. Le génie du christianisme, c'est d'exporter malgré cela le dieu des Juifs au monde romain, sous une forme plus acceptable et aussi plus séduisante (notamment par la promesse de la vie éternelle, qui est une nouveauté) et, dans une certaine mesure, d'inventer le monothéisme.

Comme on dit dans ce cas, the rest is history.

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