Un lecteur s'est ému de mon utilisation du mot « pédé » dans une récente entrée.
Le plus simple serait pour moi de rétorquer que je n'applique ce
terme qu'à moi-même — jamais aux autres sauf si je suis sûr que
ça ne les dérange pas ou bien si je désigne un groupe indéterminé
(genre, les pédés portent rarement les cheveux longs
) ; quand
j'ai un doute, je dis « homo ». Mais j'admets que c'est une défense
un peu facile et insatisfaisante.
Est-ce une insulte ? Je m'interdis d'emblée de considérer
l'étymologie du mot pour le savoir (pour éviter des débats vaseux pour
savoir s'il doit être considéré comme signifiant la même chose que
« pédéraste » ou si l'abréviation a un sens autonome — et pour
ne pas avoir à gloser sur le sens de « παῖς »
en grec, enfant ou adolescent, risque de pente glissante vers le sens
de « pédophile ») : de toute façon, c'est une erreur de croire que
l'étymologie définit le vrai sens d'un mot. (L'étymologie du mot
« étymologie » a beau être « la science du vrai », nous ne devons pas
la croire : c'est justement l'étymologie qui fait sa propre publicité,
mais ce n'est pas en affirmant qu'elle a raison qu'elle nous
convaincra.) Maintenant, ce serait aussi un peu facile de dire le
sens d'un mot est celui qu'on lui donne, et ce n'était pas une insulte
puisque je ne l'ai pas utilisé comme insulte
(l'insulte,
pourrais-je alors rajouter, est dans l'œil du proverbial
spectateur, ou lecteur en l'occurrence).
“When I use a word,” Humpty Dumpty said in
rather a scornful tone, “it means just what I choose it to
mean—neither more nor less.”
“The question is,” said Alice, “whether you
can make words mean so many different
things.”
“The question is,” said Humpty Dumpty, “which is
to be master—that's all.”
Alors, est-ce une insulte ? Il me semble que ce n'en est une qu'à
partir du moment où on admet que traiter quelqu'un d'homo est une
insulte : je veux dire, le problème n'est pas que le mot « pédé »
insulte les pédés — c'est que quelqu'un essaie d'insulter en
traitant de pédé, parce que, pour l'insulteur, être homo est la pire
insulte imaginable. Mais justement, ce n'est pas une prémisse que je
suis disposé à admettre. Quelles sont les paroles, au fait ? Ah
oui : Moi les lazzi, les quolibets / Me laissent froid, puisque
c'est vrai : / Je suis un homo comme ils disent.
(Bon, Aznavour
n'a pas eu le culot de mettre « pédé ». Hum, c'est un comble que je
cite cette chanson que je n'aime vraiment pas.)
C'est sans doute en imitant le combat que certains Noirs — on pense évidemment à Léopold Sédar Senghor — ont mené pour réhabiliter le mot « nègre » que des homos ont fait de même pour le mot « pédé ». Et ça ne date pas d'hier comme le prouvent les échantillons du défunt Gai Pied que Matoo a exposés sur son 'blog.
Il y a certes d'autres mots qu'on pourrait utiliser (les appellations diverses et variées des homosexuels, ce n'est pas ça qui manque !). Mais « gay » ne satisfait pas ceux qui ne se reconnaissent pas dans une certaine culture communautaire ; personnellement, je trouve que c'est surtout pour des raisons d'euphonie qu'il passe mal en français, en fait (en plus, on ne sait jamais si ça inclut ou non les lesbiennes). Et « tapiole », même si c'est mignon et affectueux, me déplaît parce que c'est un nom féminin et que je suis résolument opposé au fait de parler au féminin des homos de sexe masculin.
Mais finalement, ce qui me convainc le plus en faveur de « pédé »,
c'est ce passage des Roseaux
sauvages, une scène toute simple mais qui m'a véritablement
bouleversé quand j'ai vu le film : Gaël Morel (dans le rôle de
François) se regarde dans un miroir, comme s'il se découvrait, et
articule — doucement au début, et avec plus de force à mesure
qu'il prend courage — je suis pédé
. Une insulte ? Non :
une reconnaissance de soi. J'en ai pleuré.