L'Elfe

Avertissement : Le texte qui suit contient des descriptions explicites d'actes sexuels entre adultes mâles consentants ; si une telle description est susceptible de vous choquer, ou si vous êtes mineur, vous êtes invité à cesser ici votre lecture.


Si tous les elfes sont grands, beaux, blonds, aux yeux bleus, et ont les goûts qui vont avec, ce n'est pas étonnant que la race se soit éteinte…

—L. B.

Aimeric regardait l'être allongé à ses côtés avec une fascination qui ne faiblissait pas. La pleine lune répandait partout une clarté comparable à celle du jour, mais dépourvue de couleur ; à cette lumière, les longs cheveux fins de l'Elfe étaient blancs, alors que le soleil avait, quelques heures plus tôt, révélé leur blondeur dorée. Même posés sans ordre ni ménagement sur le sol poussiéreux autour de la tête dont ils naissaient, ils ne perdaient rien de leur douceur soyeuse. Ni de leur propreté surnaturelle, qui caractérisait l'Elfe. Cela choquait Aimeric, bien placé pour savoir qu'on ne pouvait pas voyager ne fût-ce qu'une courte distance dans ce terrain sans se salir entièrement : lui-même portait les cheveux ras par nécessité, pour ne pas paraître trop hirsute. Et se permettre de surcroît de sentir bon la lavande (et encore autre chose ? peut-être le lait d'amandes), cela était d'une insolence inadmissible. Les vêtements d'Aimeric, qui lui servaient d'oreiller, dégageaient pour leur part une forte odeur de transpiration — pas vraiment désagréable en soi, surtout avec un peu d'habitude, mais une odeur mâle qui ne rappelait certainement pas la lavande.

Aimeric n'avait jamais vu d'Elfe auparavant — sauf peut-être, de loin, fugitivement, dans un passé reculé, lors de la visite d'une princesse étrangère chez le roi. Ce Vivien (c'était le nom sous lequel il s'était présenté) l'avait approché dans l'après-midi et lui avait proposé de faire route commune, sans révéler grand-chose de ses propres intentions ou de sa destination finale. Et le guerrier, qui s'était fait des Elfes une image d'êtres graves et hautains, sombres et majestueux, avait découvert avec surprise une créature souriante, joviale et détendue (quoique énigmatique). Mais l'impression qu'il dégageait en était avant tout une de grâce et d'élégance ; chacun des mouvements de Vivien était comme un pas de danse, agile et fluide. Aimeric, dès qu'il fut ainsi accompagné, se sentit lui-même infiniment lourd et maladroit : tant dans ses gestes que dans ses paroles. Néanmoins, l'Elfe ne parut pas gêné, et, s'il parlait plutôt peu, c'était toujours avec bonne humeur et d'un ton amical.

Lorsque la nuit était venue, Vivien s'était couché, totalement nu, contre Aimeric, avec un naturel impressionnant, comme si cela allait de soi, sans un soupçon d'hésitation ou d'embarras. Et, complètement détendu, il s'était aussitôt endormi avec la tranquillité du bienheureux. Le guerrier, d'abord, n'osa pas bouger, persuadé qu'il risquait d'écraser de son poids ce corps qu'il imaginait si fragile. Enfin, délicatement, il se tourna sur le côté et contempla celui qui dormait auprès de lui.

Les traits de l'Elfe étaient très fins, et le masque du sommeil accentuait encore ce caractère ; les oreilles pointues, les yeux légèrement inclinés, lui conféraient une apparence assurément exotique et malgré cela étrangement familière. L'âge de Vivien était impossible à deviner : l'homme lui aurait donné environ vingt ans s'il n'avait pas su que le peuple des étoiles grandit, puis vieillit, considérablement plus lentement que les humains. Si le visage était indiscutablement masculin, cette douceur imberbe s'associait, dans l'esprit d'Aimeric, à une face féminine. Cette qualité androgyne troublait le guerrier plus qu'il ne consentait à l'admettre.

Il se remémora les femmes qu'il avait aimées — ou cru aimer. Il y en avait eu beaucoup, toutes « ramenées » par son ami Éric, lequel utilisait la beauté d'Aimeric et sa gentillesse comme un appât. Le schéma était toujours le même : Éric repérait une femme (généralement une jeune veuve) qui lui plaisait, c'est-à-dire surtout par la taille de sa poitrine ; il vantait ses charmes, c'est-à-dire surtout cette taille, auprès d'Aimeric, et le poussait dans les bras de la victime. Aimeric lui-même était maladroit avec les filles, il ne savait comment leur parler ; mais son corps d'athlète impeccablement bâti allié à sa tendresse profonde parlaient pour lui. Seulement, il se lassait toujours rapidement, et Éric était toujours derrière pour récupérer les pertes : il n'avait rien de la bonté simple et directe d'Aimeric, mais ce n'était pas pour autant une brute, et il réussissait à peu près à consoler les inconsolables. Aimeric était vite devenu conscient de ce manège, mais il avait pour Éric une vénération si marquée qu'il n'osait pas lui tenir tête ; il s'efforçait de croire que tout le monde était gagnant. Aucune femme n'avait jamais été à son goût : toutes étaient des créatures gentilles mais grossières, et il n'avait éprouvé que peu de plaisir à leur compagnie et aucun à l'acte en soi. La pensée qu'il devait avoir laissé un bon nombre d'enfants dans le pays, dont il ignorait tout, notamment s'ils avaient survécu, le troublait assez : mais Éric se riait de tant de scrupule quand son camarade lui en parlait.

Aimeric se dit qu'il voudrait rencontrer une fille en tout point semblable à cet Elfe. Il se promit que, celle-là, Éric ne l'aurait pas. Qu'elle serait sienne pour toujours. Il songea à elle et se représenta son visage trait pour trait identique à celui qui était en réalité à ses côtés. Ouvrant de nouveau les yeux, il examina plus longuement son compagnon et s'imprégna de son image. Puis, n'y résistant plus, il avança très lentement la main, et parcourut, aussi légèrement qu'il le put, son oreille, son cou, son épaule. Il réfléchit que l'Elfe ne pouvait que se réveiller. Mais, non, Vivien continuait de dormir — à moins qu'il fît semblant.

Et c'est à ce moment seulement qu'Aimeric prit conscience du fait qu'il bandait.

Il en éprouva une honte certaine. Il se rappela notamment avec précision tel jeune homme, dans un village qu'il avait traversé autrefois, qu'on avait accusé de se travestir et de séduire les hommes comme une femme : le garçon avait été publiquement déshabillé, puis fouetté, et enfin violé successivement par sept hommes qui se prétendaient les victimes de ses avances ; finalement, nu, la croupe en sang, l'adolescent avait été banni du bourg avec interdiction pour quiconque de lui parler à l'avenir. Même Éric, pourtant difficile à attendrir, qui avait assisté à la scène, avait trouvé ce châtiment injuste et cruel ; car, expliquait-il, ce garçon était trop jeune pour comprendre le mal qu'il avait fait. Aimeric, pour sa part, avait été profondément révolté. Et plus tard, il avait également pensé qu'il y avait quelque chose de parfaitement absurde, d'un certain point de vue, à punir le jeune homme précisément par l'acte qu'on l'accusait d'avoir cherché à obtenir.

Dans le groupe de guerriers mercenaires dont Éric et Aimeric faisaient partie, il y avait aussi des rumeurs d'amours viriles. De l'avis d'Aimeric, cependant, il s'agissait simplement de manœuvres pour déstabiliser tels ou tels bons amis. Heureusement, il n'était en aucun cas question de fouetter ou de bannir qui que ce soit. Mais lorsqu'on avait dit de Garec qu'il s'était laissé prendre par Loric, l'un comme l'autre avaient perdu en un instant tout le respect qui leur était porté par les autres ; nul ne louait plus le courage de Garec, sauf pour parler de lui au féminin et prétendre que, pour une demoiselle, « elle » n'était pas mauvais guerrier.

Ces pensées traversèrent rapidement l'esprit d'Aimeric, et il retira prestement sa main du corps de l'Elfe qu'elle avait continué à parcourir. Il secoua la tête comme pour s'éclaircir les idées, et se débarrassa des vêtements qu'il avait gardés sur lui pour dormir : puis, s'asseyant, il prit sa verge dans la main, et, cherchant à évoquer un visage de femme, il commença à se masturber. Or il ne parvenait à voir que Vivien. Il rouvrit les yeux.

L'Elfe était là, réveillé, à genoux, à le regarder, et il souriait légèrement mais sans trace de moquerie. Le mercenaire, pris par surprise (aucun son n'ayant trahi le mouvement de l'autre), sursauta, et resta presque pétrifié.

Vivien ne dit pas un mot. Sans cesser de sourire d'un air joueur, sans cesser de regarder Aimeric droit dans les yeux, il mit la main au sexe du guerrier dont il écarta la sienne. Puis il mit l'autre main derrière la nuque de l'homme, approcha sa tête de la sienne, posa ses lèvres sur les siennes, et l'embrassa fermement en même temps qu'il lui massait le gland. Tout cela en un seul mouvement félin. Aimeric n'opposa pas la moindre lutte ; il permit à la langue de l'Elfe d'entrer dans sa bouche, et se sentit entièrement captivé.

Vivien fit durer longtemps le baiser. Ensuite, il caressa de ses lèvres le cou et le haut du torse de l'homme. S'attardant sur les seins, il tira un soupir de plaisir à celui dont il mordillait la poitrine. Pendant que l'Elfe lui suçait la peau, Aimeric plongea la main dans ces longs cheveux blonds qu'il avait admirés, et les laissa filer entre les doigts. À mesure que son excitation montait, ses gestes se faisaient saccadés et sa respiration irrégulière.

Rapidement, Vivien enveloppa dans sa bouche le phallus, maintenant en érection complète, d'Aimeric. Celui-ci fut sur le point de protester, mais la sensation de jouissance qu'il éprouvait le réduisit au silence, et il referma les yeux, désormais complètement soumis aux gestes de son partenaire, qui lui manipulait les testicules et lui stimulait le pénis de sa langue. Pourtant, une partie de lui se sentait humiliée de se laisser ainsi posséder, et lui interdisait de jouir dans la bouche d'un homme (fût-ce un Elfe). Or en tentant vainement de retenir l'éjaculation, il ne parvint qu'à augmenter le plaisir qui affluait par vagues depuis son pubis. Quand l'orgasme, retardé, enfin, se produisit, explosion silencieuse qui lui parcourait les veines, Aimeric crut qu'il devait défaillir. Ce fut un profond apaisement qu'il ressentit alors, et il ne pensa plus à rien.

Vivien libéra le sexe du mercenaire, et avala le sperme — toujours sans manifester la moindre gêne. Aimeric, quant à lui, était profondément troublé par ce qu'il venait de vivre, et il se retourna, enfouissant sa tête dans ses vêtements (et leur odeur familière), pour ne pas regarder l'Elfe.

C'était sans compter le fait que ce dernier n'en avait pas fini avec lui.

Le repos du guerrier fut de courte durée. Il allait à l'instant s'endormir lorsqu'il sentit que des mains s'affairaient entre ses fesses. Cette fois, ç'en fut trop pour Aimeric : en un éclair, il fut assis face à Vivien, et il lui dit, fermement, « non ». Il s'apprêtait à justifier ce refus, à expliquer que ce qu'il avait laissé l'Elfe faire était déjà, à ses yeux, suffisamment grave, et qu'il refusait en tout cas qu'on s'en prît à sa masculinité — il avait à l'esprit ce garçon qu'il avait vu bannir, et la façon dont Garec avait perdu tout honneur ; et il doutait d'ailleurs qu'il pût ressentir du plaisir à être pénétré.

Aimeric allait expliquer tout cela, mais l'expression sur le visage de l'Elfe, surprise et déçue à la fois, le fit taire : Vivien avait un air simultanément piteux et comique. Il répéta « non ? » d'un ton si candide et si attendrissant qu'Aimeric ne put se retenir de rire. Le guerrier soupira et s'allongea de nouveau sur le sol, renonçant à la résistance. Somme toute, qu'avait-il à perdre ?

Vivien lui travailla l'anus pour le lubrifier, se servant d'abord du liquide sécrété par son propre gland, ensuite de sa salive ; puis il tenta de traverser l'orifice vierge, dont le sphincter était encore trop contracté. Aimeric rigolait nerveusement, sans pouvoir s'arrêter. Il était sur le point de dire à l'autre d'abandonner ce qui visiblement ne menait à rien, mais soudain il cessa de rire et prit une brusque respiration : le sexe était entré.

Sans doute Vivien n'était-il que correctement monté ; Aimeric, trop embarrassé pour regarder l'Elfe entre les jambes, avait dû supposer qu'il l'était moins, en raison de son apparence délicate et svelte. Mais à celui qui n'avait jamais connu cette pénétration de son intimité, le membre qui lui traversait les entrailles sembla d'une taille et d'une dureté extraordinaires. Le guerrier se trouva assailli de sentiments multiples et qu'il ne comprit pas ; à la gêne, tant physique que mentale, de sa position, se mêlait le plaisir, intense et inavouable, centré sur cet organe qui fouillait l'intérieur de son corps.

Pendant un instant fugace, Aimeric éprouva une impression quasiment mystique. Il y avait quelque chose de tellement souple et gracieux à la façon dont l'Elfe allait et venait entre ses cuisses, qu'un acte a priori ridicule ou même sordide devenait, par enchantement, noble et majestueux. Pendant cet instant, Aimeric aima Vivien, profondément et tendrement. L'impression se dissipa en partie, mais il ne resta plus à l'homme aucune trace de la honte qu'il avait pu connaître auparavant : au contraire, c'était une réelle fierté pour lui d'être ainsi plaqué contre le sol, et de resentir en lui une partie de cette créature si belle et si énigmatique.

L'homme et l'Elfe jouirent simultanément : au moment précis où Aimeric sentit le liquide tiède envahir son abdomen, lui-même atteignit l'orgasme comme il n'aurait jamais cru possible. Son pénis rendit les dernières gouttes d'un sperme qu'il avait déjà presque complètement évacué ; son sphincter palpita autour de la verge de Vivien, que celui-ci retira doucement. Il jeta un dernier regard à l'Elfe dont l'expression bénigne et rassurante ne s'était pas altérée, et sombra immédiatement dans un sommeil paisible.

*

Le lendemain, quand le guerrier se réveilla, Vivien était parti sans une trace et sans une explication. Seule la certitude que jamais Aimeric n'aurait pu inventer ce qu'il avait vécu lui assurait qu'il ne s'agissait pas d'un rêve. Haussant les épaules, il rassembla ses affaires et se remit en route.

* * *

Trois ans plus tard, le roi Alaynas des Elfes mourut et son fils Venventhas lui succéda. Le nouveau souverain rendit visite à son homologue le roi Carlan III en sa capitale de Néréport. Parmi la haie d'honneur, largement composée de mercenaires recrutés à la hâte par Carlan, figurait Aimeric.

La vie de ce dernier s'était transformée depuis la rencontre qu'il avait faite. Il avait osé approcher plusieurs des guerriers de son groupe pour tenter de les séduire, et avait été surpris de la réussite de ses entreprises, auprès d'hommes qui s'étaient vantés de leurs conquêtes féminines et de leur virilité. En contrepartie, Aimeric devait subir d'incessantes railleries humiliantes ; mais il avait appris à les ignorer, et sa droiture et sa dignité lui avaient du moins gagné, ou conservé, l'estime des plus honorables.

En ce moment, Aimeric vit donc le nouveau roi des Elfes passer devant lui pour aller au-devant de Carlan III. Et quelle ne fut pas sa surprise lorsque Venventhas tourna la tête et lui adressa un clin d'œil — et qu'il reconnut celui avec qui il avait fait l'amour dans la forêt.

Alors Aimeric sut que les moqueries de ses camarades ne l'atteindraient plus jamais : eux pouvaient rêver en vain d'avoir un jour leur princesse, mais lui, lui, il avait eu son prince.