Ils sont quatre. Soulagés de savoir leur semaine de travail terminée après ce mauvais TD du vendredi matin. Seuls un mauvais repas au RU et quelques parties de cartes à la cafet' les séparent du week-end tant attendu. Voilà qu'au passage une affiche colorée, au graphisme enfantin, attire leur attention.
― Cékoiça ? demande Frédéric, le grand brun qui sert de chef au petit groupe. Il lit à haute voix le titre en gros caractères : ― HBO, Homos et Bis d'Orsay. (Il prononce « bisse ».) Oh, c'est un truc de pédés.
― Ouais, c'est une assoce gay, commente Olivier. J'savais pas qu'y'en avait une sur la fac.
― Faudrait le signaler à Christophe, remarque Sébastien.
Tous s'esclaffent. Christophe est un étudiant de leur DEUG ; en raison de son air timide, toujours poli, un peu efféminé, tout le monde est persuadé qu'il est homo. On évite quand même de le taquiner — en sa présence — parce qu'on l'aime bien. Mais on ne se prive pas de plaisanter dans son dos.
― J'ai rien contre les gays, moi, ajoute Frédéric. (Va-t-il rajouter « certains de mes meilleurs amis sont homos » ? s'interroge le narrateur. Ah non, pas tout à fait ; il dit :) ― Ma sœur en connait un, et il est vachement sympa.
― Ouais, surenchérit Olivier, il faut que chacun s'épanouisse dans la sexualité qu'il a choisie. (Il prononce cette phrase avec l'air de réciter une leçon.)
― N'empêche, intervient Sébastien, j'me demande bien c'qu'ils font, exactement, dans cette asso.
― Ils forniquent, évidemment, répond Nicolas, le petit blond qui n'a pas encore parlé (et quand il le fait, il garde toujours un ton parfaitement sérieux même en plaisantant).
Il s'ensuit un petit silence gêné. Frédéric le brise :
― En fait, là où je suis deg', moi, c'est les nanas. Franchement, les filles bis (cette fois, il prononce « bi »), je peux comprendre ; mais les lesbiennes, c'est parce qu'elles ont pas trouvé le mec qui leur convient, c'est clair.
― Un homme comme toi ? lance Sébastien. Tous rigolent.
― D'ailleurs, continue Frédéric, les lesbiennes, elles font quoi, exactement, ensemble ?
Personne ne se presse pour répondre à cette question.
― Et si toi on te demandait de coucher avec un garçon, attaque Nicolas, tu en penserais quoi ?
― C'est pas pareil, rétorque Frédéric. Moi je suis un mec.
― Bravo pour la pétition de principe, commente Olivier.
Presque simultanément, Nicolas plaisante :
― Tu veux dire que tu es bien placé pour savoir que les hommes ne savent pas baiser ?
Nouveaux éclats de rire. Pendant que le petit groupe manifeste bruyamment son hilarité, un autre étudiant, un beur, visiblement plus âgé, s'en approche. Nicolas se retourne, le reconnaît et lui sourit, et, sous le regard incrédule de trois paires d'yeux, les deux garçons s'embrassent longuement. Enfin, d'un ton parfaitement décontracté, il déclare :
― Manifestement, je ne vous ai pas présentés. Ce sont trois potes de mon groupe de TD ; Frédéric, Sébastien, Olivier, voici Saïd, mon copain.
Dernière modification : $Date: 2002/06/17 22:41:52 $