Tristan

1 — Les résultats du bac

— Alors, rassuré ? Tu vois que tu l'as eue, ta mention bien.

La voix de Brigitte Gavient interrompt Jeanne Mas. Tristan presse un bouton de la télécommande et se tourne vers sa mère qui vient d'entrer dans sa chambre. Voilà venu le temps de tenir la résolution qu'il avait prise. S'il n'ose pas maintenant, il n'osera jamais.

Mais pourquoi est-ce si difficile de se lancer ?

— Maman, il faut que je te dise quelque chose.

Brigitte s'asseoit sur le lit de son fils et l'invite d'un signe de main à la rejoindre. Son sourire encourageant masque sa propre nervosité. Elle a deviné ce qui va suivre, elle l'attend depuis des mois, depuis qu'elle guette chaque indice qui confirmera ou infirmera son hypothèse : mais elle ne sait pas comment elle-même va réagir. Comment rendre cet instant plus facile ?

— Je crois que je sais, Tristan.

Attend-il qu'elle continue ? Craint-il qu'elle soupçonne autre chose ? L'adolescent laisse passer un silence interminable. Enfin :

— Je suis… J'aime les garçons. Voilà, c'est dit.

Voilà, c'est dit. Il l'a prononcé, cet aveu qui lui brûlait tant la gorge. Sa mère lui passe la main dans les cheveux et l'embrasse sur le front, puis le serre contre elle. Elle répond simplement :

— Oui. Merci pour ta confiance.

Le plus dur est passé. Plus tard viendront les inévitables questions et explications, plus tard il faudra en parler à papa, plus tard on s'apercevra que Brigitte et Michel — et d'ailleurs Tristan lui-même — ont bien quelques idées fausses sur l'homosexualité. Plus tard. Cela peut attendre.

— Tu es adulte, maintenant, bachelier, et je t'aime comme tu es. Ce soir, on fête ça.

Sans préciser pas à quoi ça se rapporte.

Tristan sent ses yeux s'embuer de soulagement. Il se contente de hocher la tête, puis s'étale sur le lit tandis que sa mère quitte la pièce. La musique reprend. En rouge et noir, j'exilerai ma peur…

— Juste une chose, ajoute Brigitte au moment de franchir la porte. Si tu rencontres ton prince charmant, j'espère bien que tu me le présenteras.

2 — Lyash-Balder

En ce premier matin de printemps, son altesse impériale le prince Stéphane — duc de Lyash-Balder et héritier apparent de l'Empire —, réveillé plus tôt qu'à son habitude, était sorti sur son balcon pour contempler le paysage.

Construit deux siècles plus tôt sur les fondements d'une ancienne forteresse défensive, le palais impérial avait entièrement renoncé à toute fonction militaire et ne devait son apparence qu'au souci d'agrément. Reprenant l'architecture de la ville qui l'entourait, il avait développé jusqu'à la plus exquise perfection ce style de Lyash-Balder qui consistait principalement pour les architectes à démontrer leur bravoure dans l'utilisation de l'espace (c'est-à-dire, de la verticale). Sa position dominante — le palais étant juché sur une des deux collines jumelles auxquelles la capitale doit son nom — semblait attester que l'édifice était à tous égards le point culminant de la splendeur des royaumes. Les minarets élancés d'où se détachaient fenêtres encorbellées et balcons miradors, conçus dans un but décoratif, offraient donc aussi une vue spectaculaire sur les centaines d'autres tourelles coruscantes qui coiffaient la ville, et sur les contrées qui l'entouraient — de la mer jusqu'aux cimes des Montagnes Mères.

Même Stéphane, qui l'avait vu dix mille fois, ne pouvait ignorer la beauté de ce tableau. Pas au lever du soleil, lorsque les coupoles cuivrées s'enflammaient par douzaines et que le marbre blanc se teintait de rose ; pas le premier jour du printemps, lorsque flottait dans l'air ce parfum de fête reconnaissable entre tous. Il resta de longues minutes immobile à son poste d'observation, puis se retourna vers l'intérieur de l'appartement.

— Comment se fait-il, demanda-t-il à haute voix en s'adressant à son confident qui paraissait somnoler dans un confortable fauteuil un peu en retrait dans la chambre, comment se fait-il que j'aie le sentiment de ne servir à rien ?

En réponse à cette question, Sébastien se leva paresseusement et s'approcha du prince. D'un geste nonchalant, il fit mine de tâter la musculature d'acier autour du bras de son ami.

— C'est parce que tu t'entraînes à jouer au guerrier, Stéphane. Mais ton peuple n'a plus besoin de héros. Pas dans ce siècle, en tout cas. Pas dans l'empire de ton père. (Avec une pointe de moquerie dans la voix, il ajouta :) Ce dont tu dois te réjouir, évidemment. Ta fonction sera de régner sagement, c'est-à-dire en laissant gouverner ceux qui savent gouverner. Et d'être un symbole pour ceux qui te regarderont. Et, bien sûr, de produire un héritier…