Comments on Sur la naturolâtrie

Wizegs (2024-04-13T18:50:14Z)

Dans les arguments liés, il y a aussi la tendance à considérer "le vivant" de façon assez monolithique : si A n'est pas bon pour le vivant, alors il ne peut pas être bon pour le vivant. Interprété de façon correcte, cet énoncé est vrai et creux.

Mais on peut aussi lui donner une interprétation fausse mais parfois employée. Typiquement : "utiliser des pesticides pour faire de l'agriculture est un non-sens évident". Je ne me prononce pas sur la pertinence ou non de l'usage des pesticides en agriculture, c'est le caractère évident du non-sens que j'interroge ici : "si on veut avoir telles espèces, éliminer les espèces qui leur sont nuisibles" n'est pas en soi déraisonnable. On peut imaginer des mondes et des systèmes de valeurs où ce serait la chose à faire.

Bien entendu, ce que j'ai écrit jusque là ne promeut en rien les pesticides. Mon propos serait parfaitement compatible avec une assertion comme "il se trouve que les pesticides dégradent les sols, ce qui en retour, à terme, nuit à la productivité". Mais là, ce serait un argument sur le fonctionnement effectif d'un sol, qui requiert une certaine connaissance de la réalité biologique : ce ne serait pas un corollaire immédiat obtenu par logique pure (ou par évidence fiable) à partir des simples termes énoncés dans le paragraphe précédent.

De même, ce que je dis au deuxième paragraphe est tout à fait compatible avec le fait d'attribuer de la valeurs à la biodiversité (par exemple des "nuisibles") indépendamment de ses services rendus quantifiables ou des pertes agricoles occasionnées : dans ce cas, on peut proscrire des pesticides sans avoir à savoir si la permaculture ou l'agriculture intensive est "plus productive".

C'est important de défendre les positions adéquates pour les bonnes raisons puisque sinon, ça induit un réflexe "ah ah, on m'a dit de croire A à cause d'une raison invalide, je le savais bien que A c'est de la m**de". Ce qui d'ailleurs, à son tour, est une faute logique (c'est juste qu'il ne convient pas de croire A pour cette raison-ci).

Bref, au-delà du thème de la nature, un reproche qu'on peut fréquemment faire est le manque de nuance. Apprendre (teach ou learn) à préciser sa pensée, à démêler des tenants et aboutissants est tâche de valeur !

Subbak (2023-06-03T10:19:23Z)

J'arrive longtemps après la bataille, mais je ne suis pas d'accord sur tes arguments concernant l'agro-alimentaire. Indubitablement les contrôles qualité et les progrès en chimie et en médecine ont permis d'éviter beaucoup d'intoxications alimentaires. Un unique aliment qui est passé par cette industrie ne tue plus, ou très rarement. Mais la question de l'effet sur la santé à long terme de la qualité de ce qu'on bouffe est distinct.
Il me semble par exemple que l'empoisonnemenr généralisé aux PFAS (certes il vient d'une autre industrie) est connu, et que ses effets toxiques sont avérés. Et de façon générale poser la quesrion des composés toxiques qui s'accumulent dans notre corps sans jamais qu'une seule dose soit létale est important.

Sinon, évidemment d'accord sur tout le reste.

Marc (2023-05-15T18:03:09Z)

Je remercie la nature informatique de me donner à examiner des réflexions qui me sont idéologiquement désagréables mais intellectuellement si enrichissantes. Mon désaccord profond (disons bêtement éthique) sur l'essentiel du message ne m'empêche pas de lire et d'apprécier l'articulation des idées et des informations. Ça fait probablement bouger des lignes invisibles au fond de moi, ça produit du débat intérieur, c'est la vie quoi. Merci.

Koko90 (2023-05-11T12:35:05Z)

J'avais remarqué que les arguments de ceux qui s'opposent à l'utilisation de la chimie en agroalimentaire sont très proche de ceux des anti-vax.
Exemple : "mais les fongicides c'est dangereux". La réponse étant "aux doses où ils terminent dans les produits consommateurs, leur danger est certainement nul, vu qu'on a pris une marge d'un facteur 1000 par rapport à la plus petite dose qui aurait un effet négatif prouvable" et là on entend "oui, mais il reste un doute".
Sauf que tout le débat se trompe de cible. La question n'est pas quel est le danger absolu des fongicides, mais quel est le danger relatif des fongicides comparé aux toxines fongiques. De même que le débat sur un vaccin n'est pas quel est le danger absolu du vaccin, mais quel est le danger relatif du vaccin comparé à la maladie dont il protège.
Et nous vivons dans un monde où il y a plus de personnes qui meurent à cause des toxines fongiques qu'à cause des fongicides, malgré les précautions prises (tests systématiques sur certaines toxines, par exemple).
La montée de la naturolâtrie m'inquiète, car elle représente un vrai danger sanitaire.
Bref, les défenseurs du "naturels" appliquent la logique anti-vax partout, mais contrairement aux anti-vaxxers, ils ne rencontrent presque jamais d'opposition.
Le fait que le vaccin hexavalent devrait être interdit n'est pas un lieux commun, alors que l'idée que les conservateurs ou les fongicides, qui sauvent pourtant énormément de vies, est politiquement correcte et est acceptée un peu partout.

Dyonisos (2023-05-06T23:54:54Z)

Je n'adhère pas complètement à tes remarques. Beaucoup de witz en elles mais un point crucial fait à mon sens défaut et à viser la naturolâtrie, tu passes trop vite sur le sens du mot nature. Tantôt tu y loges ce qui est commun à toute chose (sur le mode un petit peu de la blague au début avec l'universalité des lois physiques) et ça c'est quelque chose que je fais entrer sans problème dans le champ de mon vocabulaire immergé dans les mots de la tribu sociale où je vis après les avoir passés au tamis d'un petit peu de réflexion critique; et tantôt c'est ce qui se pose par opposition à l'humain ou au social (d'où les exemples avec les vêtements ou le recours à la médecine) comme, autre opposition autrefois canonique, notamment au XIX siècle on a pu opposer la nature à l'esprit (la société ou l'humain a à cet égard un petit peu pris la place de l'Esprit). Chez Hegel dans un sens que reprend encore Horkheimer dans l'Eclipse de la raison en 1947, c'est par opposition à l'Esprit que la Nature tisse son sens. Et rien ne devrait à mon sens conduire à utiliser le même mot pour désigner deux idées aussi différentes et même incompatibles : si la nature désigne toute chose, alors elle n'a pas pour ainsi dire à côté d'elle le domaine de l'esprit ou du social.
Certes on pourrait dire que c'est par contraste avec l'artificiel que le mot conserve ce sens non extensif à toute chose mais on reste dans l'équivoque : pourquoi un nid serait naturel lorsqu'il est fait par des oiseaux et un lit quelque chose de non naturel parce que fabriqués par l'homme etc ? Des autoroutes bien empruntées sur la différence instinct/intelligence- conscience ne modifie pas d'un iota l'artifice :-) de l'opposition : l'intelligence, aussi bien que l'instinct, l'inconscient et le conscient; ce sont autant de propriétés "naturelles" au sens englobant. Et le pire de tout, c'est la propension de certains à encore cataloguer le naturel comme l'immuable par opposition à l'historique et au créatif : à part les lois, toutes la nature baigne dans une forme d'évolutivité créative.
Ainsi, encore en amont des sophismes sur l'implication du naturel au normatif ou de la fausse qualification obscurantiste de naturel sur fond de méconnaissance des nombreuses exceptions en lice, il y a, en tout cas pour moi, le fait qu'on ne cesse d'utiliser ce mot en croyant qu'il désigne une idée simple alors qu'il y au moins deux zones très différentes de référence dans nos usages linguistiques (le spinoziste insistant sur l'universalité du naturel au fond de chaque chose, et l'anthropologique voulant le contraster avec l'humain, le social ou le spirituel, les deux premiers prenant le relais du théologique du second avec la sécularisation des mentalités). Je me porte très bien sans faire une grande place mentale au second et donc il ne m'est pas possible de faire sens de la critique du passage du naturel à l'humain sur laquelle tu insistes : il n'y a pas pour moi deux termes dont la relation serait à penser, éventuellement sur le mode de l'autonomie, mais un seul, la nature, qui englobe tout, y compris l'humain.
C'est mon bémol un peu long. Evidemment, entrée intéressante as usual. Et j'en profite pour souhaiter encore au moins vingt bonnes années à ce blog !

Elo (2023-05-05T21:44:24Z)

Le point 1 soulevé par Thomas correspond à des pensées qui me sont venues à la lecture de ce post. Je concèderai que la question des frontières entre sexes (tant chez les humains que chez les autres espèces) n'est pas un sujet de vif intérêt chez moi, aussi je n'ai pas de connaissances particulièrement approfondies à ce sujet ni biologiquement, ni concernant la nature exacte des propos tenus de part et d'autre sur les humains.

Mais, par exemple, j'aurais tendance à penser (peut-être à tort, c'est tout l'intérêt d'expliciter les propos et les exposer à la critique) que chez la très écrasante majorité des mammifères, la très écrasante majorité des individus se répartissent en deux sexes biologiques : féminin et masculin.

Bien sûr, on est en biologie, pas en maths, donc les exceptions existent. N'empêche qu'en première approximation, il s'agit de négliger ces exceptions et que c'est uniquement les quelques fois où cette subtilité est importante (parce qu'on étudie tels spécimens exceptionnels ou parce qu'on élabore une théorie biologique sensible à cette nuance) qu'il s'agit, effectivement, de ré-introduire cette nuance. Aussi, j'aurais tendance à penser que, pour l'immense majorité des espèces de mammifères, le sexe est quasi-binaire et quasi-immutable. D'ailleurs, Ruxor, tu as bien écrit des propos sans "quasi" ou "immense majorité", si bien que ton propos et le mien ne se contredisent pas (ils mettent seulement la focale sur des points différents).

--

Quand on bascule vers les affaires humaines, j'ai l'impression que pas mal de choses reviennent à la question de ce qu'on considère ou non comme une maladie, c'est-à-dire comme un état à la fois "anormal" et "négatif"/"à corriger"/"à rectifier".

Si on a un AVC, à peu près tout le monde est content qu'on intervienne pour "changer le sort que la nature avait prévu pour nous". Si on a un défaut de vue, ça devient banal de se faire opérer des yeux mais je connais quelques personnes qui trouvent que c'est trop intime d'intervenir corporellement là-dessus et qui préfèrent continuer de porter des lunettes. Et sur d'autres questions encore, c'est trop épineux pour que j'aie envie de m'y coller.

Jeanne à vélo (2023-05-03T08:56:51Z)

Je me souviens avoir lu dans la revue Science & pseudo-sciences éditée par l'AFIS qu'il y avait encore environ 4000 morts par an par intoxication alimentaire en France dans les années 1950. Je te rejoins complètement sur l'industrialisation bénéfique de la chaîne alimentaire.

ooten (2023-05-01T12:02:27Z)

En fait comme l’homme est entièrement une émanation de la nature et qu’il y est complètement intégré j’ai du mal à définir ce qui ne serait pas naturel. Et donc qu’entendrait-on par « pas naturel » ? Effectivement pour moi aussi cela révèle des faiblesses flagrantes voir des fautes dans l’argumentation de la plupart des personnes qui s’y réfèrent fondamentalement. Comme les sciences n’apportent pas des réponses à toutes nos questions et que nous vivons tous physiquement dans le même monde les questions morales et idéologiques permettent de les suppléer mais en perdant en objectivité et parfois aussi en efficacité sans renier toutefois à leur nécessité pour la vie en collectivité. L’activité qui serait la moins naturelle pourrait être la pensée car immatérielle et encore loin d’être précisément décrite par les sciences si elle peut l’être un jour. Et j’ai tendance à croire qu’il ne faut pas trop penser et mieux vaut souvent se laisser aller là où notre imagination peut nous mener car elle peut produire des monstruosités.

Thomas (2023-05-01T08:41:08Z)

1 - "instancié par la binarité et l'immutabilité du sexe biologique, ce qui, de nouveau, est faux"

J'avoue ne pas bien comprendre ce qui serait vrai ou faux à ce sujet. Par exemple, il me semble qu'il est admis qu'il existe une notion de mâle / femelle chez les mammifères. Cependant quand je lis https://www.planning-familial.org/sites/default/files/2020-10/Lexique%20trans.pdf cette notion semble bizarrement ne pas exister chez les humains (elle n'est mentionnée que pour dire qu'il ne faut pas l'utiliser).
Je peux comprendre qu'on souhaite minimiser son importance notamment d'un point de vue social mais nier son existence même semble pour le coup contraire à mon expérience de la vie, ce qui fait que j'ai personnellement du mal avec beaucoup de ces discours…

2 - Sur le culte de la Nature, évidemment que (tel que présenté dans l'entrée), il est caricatural et injustifié.
Néanmoins, il y a aussi de bons arguments qui peuvent amener à ne pas vouloir perturber la nature si l'on entend par
Nature: un écosystème en place depuis des millénaires dans lequel s'est établi un équilibre entre espèces
Perturbation: introduire quelque chose qui n'a jamais été observé dans cet écosystème ou pas dans de telles proportions

Il est difficile d'en tirer une règle générale, mais cela ne doit-il pas au moins pousser à être particulièrement vigilant dans ce cas ? C'est peut-être une variante du "principe de précaution" (qui est discutable, mais peut-être pas totalement injustifié ?)

Exemple trivial : introduction massive de plastique par les humains au cours du dernier siècle

Laurent (2023-05-01T06:29:01Z)

De façon intéressante, le marquis de Sade (en tout cas ses personnages) fait un appel régulier à la nature pour justifier non seulement l'homosexualité, mais n'importe quel comportement. De nombreux personnages disent «est-ce de ma faute si la nature a placé ces goûts en moi ? Tous les goûts sont dans la nature, et ce serait l'offenser en ne respectant pas cette diversité».


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