Comments on Comment parler à des gens d'opinions (politiques) différentes

Ruxor (2018-11-03T00:35:38Z)

Tiens, SciShow Psych vient de publier <URL: http://www.youtube.com/watch?v=gbAnHHyr4JA > qui est tout à fait dans la ligne de ce que j'écrivais dans cette entrée.

Apokrif (2018-07-09T07:07:08Z)

La version d'origine ("The Tribalism of Truth") de l'article mentionné par Ptitboul: https://cpb-us-w2.wpmucdn.com/campuspress.yale.edu/dist/c/259/files/2015/03/FisherScientificAmerican2018-2l0thgh.pdf

Ptitboul (2018-06-29T07:08:52Z)

L'article "Débats : vaincre ou apprendre" publié dans le dernier Pour la Science (numéro 489) m'a fait penser à ce que tu as écrit ici.

Le plussoyeur (2018-02-22T13:20:25Z)

Remarque qui ne me paraît pas totalement hors-sujet : en humour, et particulièrement en humour "engagé", il me semble que c'est précisément les postulats qui détermineront si l'humour fera rire ou irritera, et pas l'approche comique choisie. Postulats partagés => rire ; postulats réprouvés => irritation. J'imagine que cette remarque admet une généralisation qui déborde du cadre de l'humour.

Nat (2017-11-29T17:13:55Z)

Un sketch de J. Pie pertinent (Trump!) aborde nombre de ces approches (argumenter, ne pas mépriser/juger, négliger tout a-priori…) https://www.youtube.com/watch?v=GLG9g7BcjKs

La mise en application semble difficile (tout le monde n'est pas Michel Volle <URL:http://www.volle.com/opinion/reprobation.htm >).

Marc (2017-11-23T10:21:22Z)

Reconnaître le format émotionnel de l'opinion politique est la clé qui m'a le plus intéressé dans cet article.

La fierté et tout ce qui va avec, le désir d'en découdre, de subjuguer, parfois de se hisser contre la masse bêlante, cela ramène en effet à de la matière émotionnelle qui veut se sublimer. Et la rhétorique dans laquelle vous êtes passé maître — prolepses et méta-discours à en perdre haleine, clins d'œil à vos pairs, humour geek, etc. — témoigne bien de ce jeu d'attrape-pouces qui se pratique de toute façon entre gens cultivés et idéologiquement irréprochables.

Il n'est pas réellement question de changer d'avis et encore moins de se laisser convaincre. Il est question d'afficher un degré de probité encore plus élevé dans sa capacité d'écoute, dans sa perception "concessionnaire" de l'autre, étant bien admis au départ que l'on s'adresse de toute façon à un autre moi-même. Un autre recevable. D'ailleurs, c'est le tout premier instinct que l'émotion excite lors d'une confrontation d'(émotions habillées en) idées. «Fais-je bien face à un autre moi-même?» D'où ces calculs irrésistibles par lesquels on s'avise, d'abord, en tâche de fond, que l'on a bien affaire à un être qui partage tout l'immergé de nos postulats. À la rigueur on veut bien s'asseoir sur la syntaxe et le vocabulaire, pas sur la praxis.

Et vous montrez bien comment l'émotion innerve tout ça. Ce qui me paraît le plus captivant sur ce point précis, c'est qu'il s'agit d'une émotion rivée sur l'identité (même si vous ne la documentez pas comme telle). Je veux dire par là que, sur les thèmes que vous mentionnez, il y a comme un fil rouge qui ramène à la question (sérieuse, ontologique) de l'identité. Par exemple: comment l'identité individuelle se connecte avec l'identité collective telle que vous la désirez (se sentir Européen vs. se sentir Klingon). L'identité de l'intellectuel bien sûr: le sachant, le scientifique, le prouveur vs. l'ignorant qui pollue l'univers d'inepties délétères — et, cela va sans dire, «nauséabondes», car l'autre se signale par son odeur sitôt franchie ma sphère d'affinité. Figure obligée, l'identité organique au féminin («disposer de son corps»), puis, par capillarité, identité que l'on délègue, ou au contraire que l'on refuse de déléguer, à son orientation sexuelle. Partout, dans l'empoignade des opinions, le moi impérial négocie avec une société qu'il voudrait plus conforme à son identité. Mais comme les règles de bonne conduite lui interdisent d'exprimer si primairement, et son narcissisme, et sa solitude, il travaille peut-être à façonner des mirages de communauté politique pour optimiser son entre-soi.

Je voulais aussi parler de la «naïveté» (de l'autre), effet de jugement que l'on éprouve peu à peu avec la mutation de nos propres opinions. Le phénomène est remarquable en ce qu'il illustre une tension de l'identité dans le temps. Souvent, on trouve son interlocuteur insupportable simplement parce qu'il exprime une opinion qu'on croit avoir déjà visitée et expérimentée par le passé. À cet égard, c'est encore un autre soi-même que l'on rejette. Or, s'il nous a fallu tant d'années pour remettre en question ou vaguement apercevoir quelque chose, pourquoi diable faudrait-il que l'autre l'aperçoive sur-le-champ?

xavier (2017-10-30T17:40:26Z)

Si on tient à leur parler alors il faut les écouter sans chercher à les convaincre (on perd son temps) mais plutôt en cherchant à comprendre pourquoi ils pensent ceci ou cela. La conclusion peut être : "il est juste con" ou "culturellement c'était prévisible" ou "tiens c'est étonnant, rien ne laisserait à penser qu'il pense ça…creusons un peu pour comprendre.
La réponse : "il est juste con" est la plus décevante car il n'y a plus rien à tirer de l'interaction avec l'individu (sauf peut être en mode diner de cons. A voir.)

Le politique trumpe son monde (2017-10-27T11:25:52Z)

Mais il y a des vérités conflictuelles ! Et je dirais même plus comme Dupont et Dupond c'est presque l'essentiel des vérités humaines … par exemple les rapports entre les sexes masculins et féminins - et je ne dis pas cela parce que j'aurais envie de balancer un porc !

L'essence du politique c'est justement de trouver un moyen terme vivable entre des vérités culturellement compatibles mais pas forcément similaires !
Je te parle notamment de vérité politique en démocratie mais cela fonctionne aussi dans d'autres systèmes politiques - même dans la monarchie absolue française d'avant 1789 (qui n'est pas l'autocratie à la russe) il y avait des contre-pouvoirs et une certaine décence politique. Le roi ne pouvait pas faire tout ce qui lui chantait même si c'était un soleil … il y avait déjà une rationalité sous LOUIS XIV ! Quand bien même le crime de lèse-majesté était presque au-delà de l'entendement puisque le roi était de droit divin.

P.S Etant entendu que les cannibales même distingués comme Hannibal Lecter ne sauraient vivre de conserve avec les non-anthropophages. Il faut que la sphère de culture soit à peu près la même pour qu'il y ait apparition de la raison politique.

Nytimes (2017-10-26T16:48:23Z)

Bob (2017-10-26T14:58:38Z)

Un post agréable et intéressant, comme toujours, et les portes enfoncées ne sont pas toujours aussi ouvertes que tu le dis :)

deux typos :
dépourvues
donc ignorer (le donc est en trop)

jonas (2017-10-26T14:52:22Z)

I found the article <URL: http://slatestarcodex.com/2017/03/24/guided-by-the-beauty-of-our-weapons/ > by Scott Alexander on a similar topic somewhat illuminating.

Le politique trumpe son monde (2017-10-26T12:02:14Z)

Pourrais-tu discuter avec Thierry Meyssan afin de lui expliquer une bonne fois pour toutes qu'il n'y a pas de complot de la CIA pour l'assassiner ?

P.S Il a l'air de bien aimer Donald Trump - pour autant qu'on peut être amoureux politiquement parlant à la Castaner - mais est toujours "persona non grata" aux Etats-Unis va savoir pourquoi …

http://www.voltairenet.org/auteur29.html?lang=fr

zEgg (2017-10-26T10:19:43Z)

Sinon tu ne te remets toujours pas de l'absence de virgule d'exclamation dans unicode ?

Dyonisos (2017-10-26T00:41:06Z)

Tes conseils sont, à part le dernier, à peu près l'exact opposé de ma manière de faire et d'appréhender la question. Je mise le tout sur la contradiction, j'essaie de lui montrer que ce qu'il soutient n'est pas tenable pour des raisons de cohérence interne (si jamais je vois une piste de ce genre), et, pour éviter de jeter le spectre des fourches caudines qu'on voudrait s'infliger mutuellement, je tente simplement de ne pas SOUTENIR qu'il y a une contradiction ou une objection sérieuse (même si j'en suis profondément convaincu, enfin ça dépend évidemment du degré de connivence, avec de bons amis au contraire j'évite au maximum l'hypocrisie et je suis d'avis que bien des divergences politiques sont très secondaires par rapport à d'étranges endosmoses au niveau du caractère) et au contraire j'affecte un air d'essayer de comprendre, de m'approprier son idée en essayant de la valoriser mais en montrant en même temps le genre d'objections qu'on pourrait me donner si je tentais de défendre cette idée avec d'autres personnes. Ca c'est quand j'ai tout de même de l'estime pour mon interlocuteur. Il y entre pas mal de roublardise et de manipulation critiquable sans doute. Dans le meilleur des cas, et ça arrive parfois, je réussis à faire bouger légèrement les lignes, et ça suppose toujours qu'il ait l'impression qu'on soit dans le même bateau, des espèces de partenaire.
S'il entre avec l'impression que c'est un ring où un protagoniste doit l'emporter, ça ne peut que mal tourner au niveau de l'efficace. S'il pense qu'on est de connivence sur l'essentiel malgré certaines nuances présentées comme des problèmes communs à surmonter (en fait dans mon esprit des objections décisives que je veux acclimater dans son esprit), alors ce qui peut être influencé l'a été.
Il y a de l'hypocrisie évidente dans cette stratégie, mais, à tout prendre, c'est sans doute faire preuve de davantage de respect que l'indifférence totale et l'évitement, voire le mépris ostensible, que je ne suis pas toujours en mesure d'éviter.

a3nm (2017-10-25T23:17:32Z)

Ce post m'a beaucoup intéressé. Certains points me rappellent des principes de la communication non-violente (peut-être parce que j'ai récemment lu le livre de Rosenberg à ce sujet). Notamment : écouter la position adverse, chercher à comprendre quelles émotions et quels besoins elle exprime ; et ne pas chercher à nier la validité de ces émotions et de ces besoins.

Ton post m'a rappelé un argument, que je vais appeler (*), que j'ai souvent entendu pour justifier qu'il ne *faut pas* parler à des gens ayant des opinions politiques "inacceptables". L'argument (*) est : "certaines positions sont tellement nauséabondes qu'il ne faudrait en aucun cas accepter de débattre avec leurs partisans, car ce serait leur donner de la légitimité". Dans le cas d'un débat public, c'est une préoccupation compréhensible : ce serait problématique par exemple si un médium sérieux organisait un débat équitable sur la validité d'une théorie du complot complètement fantaisiste, ce serait lui donner trop de visibilité. Mais ce genre d'arguments s'étend aussi au FN, par exemple : certains le diabolisent et s'indignent que ses représentants soient invités à participer à des débats, parce que ça banalise les idées du FN et donne l'impression qu'elles sont acceptables…

Dans le cadre d'un débat privé, l'argument de la visibilité ne vaut plus vraiment, mais (*) peut se formuler comme : si tu acceptes de prendre le temps de débattre posément avec le défenseur d'une opinion controversée, tu lui donnes l'impression que la position est dans l'"Overton window" des idées qu'il est acceptable d'avoir. Face à certaines opinions, disent les défenseurs de (*), il faut refuser le débat, et exclure purement et simplement la personne, pour bien manifester (à la personne, et aux amis communs éventuels) que la position concernée est absolument inacceptable. On peut aussi formuler (*) comme une question de "temps d'antenne" dans la sphère privée : si tu acceptes de passer du temps avec quelqu'un qui a des opinions jugées inacceptables, on t'accuse de sympathie vis-à-vis de ces idées, et on te reproche de ne pas les rejeter avec suffisamment de véhémence…

J'ai tendance à ne pas être d'accord avec (*), par rapport aux avantages de discuter avec des personnes d'opinions différentes, que tu mentionnes : permettre une meilleure compréhension mutuelle, permettre de se rendre compte qu'on a soi-même tort, etc. Ceci dit, l'argument (*) n'est pas complètement irrecevable : on ne peut généralement pas discuter avec quelqu'un "dans le vide", parce que souvent l'existence même du débat donne une forme d'acceptabilité aux idées débattues.

Subbak (2017-10-25T19:47:54Z)

L'exemple de l'homophobie est quand même révélateur du fait que, en pratique, même quand une fraction visible est hyper braquée, la population dans son ensemble peut changer d'opinion.

C'est difficile de dire par quel mécanisme exactement mais si je devais parier ça serait sur la "normalisation" : une idée s'installe dans le paysage global, et ça devient difficile de prétendre que ceux qui pensent X (ou qui font X, ou qui sont X) sont de dangereux extrémistes quand on en voit partout. Malheureusement, ça marche aussi pour les idées qu'on voudrait plutôt ne pas voir proliférer (du genre celles du FN). Évidemment, si certaines idées prolifèrent, il faut que d'autres régressent, et si je peut imagine ce qui pousse les gens à adopter l'idée X, je ne vois pas vraiment quels facteurs peuvent pousser la population dans son ensemble à abandonner l'idée Y.

Régis (2017-10-25T19:23:29Z)

C'est sur les impératifs catégoriques que les gens finissent par s'engueuler. L'essentiel, pour commencer, c'est de valider la finalité, les objectifs de l'action publique; on n'est pas forcément d'accord sur les moyens, mais au moins on commence sur de bonnes bases en identifiant les points de convergence.

Laurent (2017-10-25T15:00:27Z)

Merci pour cette entrée fort intéressante et peut être pas aussi désordonnée que tu le prétends en guise d'introduction.

Pour ma part, j'éprouve une certaine curiosité pour les SJW, phénomène assez récent il me semble et particulièrement prone à la production en masse d'erreurs de catégorie où l'on attribue à son semblable des maux dont il ne souffre certainement pas.

Si d'aventure tu avais en réserve ce type de réflexion sur le sujet, ça pourrait faire une excellente entrée ou engager la discussion sur cet aspect, et en tout cas, cela aurait toute mon attention.

Il est vrai que le phénomène semble pouvoir s'expliquer par un savant mélange de "culture de l'outrage" si intimement lié au monde du twitteurage, de dogmatisme autoritaire, d'absence d'empathie proportionnelle au surégotisme narcissique et de culture de la pureté idéologique voire peut être d'une forte vélléité de contrôle. Le résultat est certainement très étonnant.

Enfin, peut être le sujet est-il si réducteur et sanitairement risqué qu'il n'en vaille pas la peine.

Le plussoyeur (2017-10-25T14:58:39Z)

(Comme tu le disais dans un ancien post, aussi, il n'y a tolérance que là où il y a répugnance (qu'on surpasse).

http://www.madore.org/~david/weblog/d.2015-02-25.2279.html#d.2015-02-25.2279

Idem pour le courage. Ca ne semble pas hors-sujet.)

ooten (2017-10-25T14:15:09Z)

Pour moi la politique ça serait de définir quel serait l'intérêt général d'une population regroupée au sein d'un état ou d'une institution définie formellement ou pas et comment l'atteindre. En préalable de cette définition de l'intérêt général il faudrait définir quel sont nos valeurs et les appliquer à chaque domaine à administrer. Ainsi parmi nos valeurs basique dans une société comme la nôtre, il y aurait le respect de l'individu dans son intégrité morale et physique et le fait qu'il doit se conformer à des règles de bon sens qui régissent la vie en société sans quoi il serait exposé à des punitions proportionnées aux contraventions, aux délits ou aux crimes qu'il aurait commis. Il y a effectivement des sujets pour lesquels l'intérêt général et les valeurs sont difficiles à définir et où des divergences apparaissent. La rationalisation et l'objectivation au maximum, ce qui ne pourra pas être fait complètement ce qui laissera le débat ouvert et surtout fera apparaitre l'incarnation de lignes politiques au moins en partie antagonistes, est gage d'un bon débat mais cela ne suffit pas à estomper complètement les divergences, il y aura toujours objectivement une indécidabilité irréductible, pour moi c'est catastrophique car ça veux dire qu'on peut vraiment se tromper sans pouvoir trancher !
Là où les choses se compliquent c'est que parfois l'intérêt général va à l'encontre d'intérêts particuliers, si bien que cela introduit des lignes de fractures insolubles pour qui veut préserver ses intérêts au maximum à l'encontre des autres ce qui n'est pas le cas de tout le monde puisque des gens agissent pour le bien d'autrui. Si bien qu'en politique il ne s'agirait pas seulement d'agir strictement pour soi ou sa catégorie sociale mais aussi pour ce qu'on considère être l'intérêt général car c'est en ces termes que le décideur politique agit.
Enfin, pour moi, la politique est une question identitaire par excellence car elle définit comme je l'ai dit ce que sont nos valeurs et ce pourquoi nous agissons pour soi, notre famille, nos amis et nos proches et les autres gens. Dès lors qu'il y a des lignes politiques antagonistes qui s'affrontent avec force, il ne faut surtout pas s'étonner que cela tourne à lutte armée.

Le plussoyeur (2017-10-25T14:13:10Z)

Porte ouverte N+2 : De même que la curiosité anime le chercheur, elle est un bon moteur d'écoute. L'écoute n'est pas qu'un moyen ou le préambule de son propre monologue à venir. END{banalité}

Le politique trumpe son monde (2017-10-25T13:45:00Z)

Ton discours ressemble à un prêche ! La plupart des discussions politiques entre gens qui ne sont pas eux-mêmes des politiques n'est pas de cet ordre-là.
En 1995 lors des présidentielles pour les Français qui votent à Droite le dilemme était de voter au premier tour ou Balladur ou Chirac étant donné que de toutes les manières ils voteraient au second tour pour l'un des deux contre le représentant du PS Jospin.
Et le jugement politique n'était pas vraiment d'ordre moral plutôt de savoir qui avait le plus de chance de l'emporter et qui ferait la politique la plus conforme aux intérêts et ambitions du peuple de Droite.
Les discussions étaient âpres mais au final on savait que tout le monde s'alignerait sur le vainqueur.
La discussion politique c'est très souvent au raz-des-pâquerettes … pas dans la stratosphère des idées morales éternelles !

Le plussoyeur (2017-10-25T13:33:48Z)

Merci beaucoup. La question abordée ici est cruciale à mes yeux. Je suis content que tu partages avec nous le fruit de tes réflexions sur ce thème, ça permet de nourrir cet important méta-débat.

En toute humilité, je propose mes propres éléments de réflexion à ce sujet (pas dans une démarche d'opposition mais bien pour compléter). Je ne prétends pas que tu ne les connais pas : je les soumets, c'est tout. C'est mon témoignage, il vaut ce qu'il vaut, mais au moins il est disponible.

On m'a dit un jour que quand on ressentait de la rage, ça donnait lieu à une vingtaine de minutes où cette rage perdurerait indépendamment de ce qu'il se passe autour, tout en nous rendant bon à rien --- dans mon cas au moins, ça semble assez correct. Si on se met à identifier en soi un sentiment de rage, ça peut valoir le coup d'essayer de prendre de la distance avec la situation en cours, admettant qu'on prendra tout de travers et avec grande intensité, pour y revenir quand ce sera retombé ((marcher est cool)). Cela peut potentiellement s'appliquer si on ressent la rage en autrui. C'est plus facile quand la rage survient alors qu'on est seul (lecture d'un mail, mauvaise nouvelle par courrier, pensée contrariante qui germe) qu'en débat, bien entendu ; mais ça ne me paraît pas hors-sujet.

En un sens, la stabilité émotionnelle est un terrain nécessaire à la fructuosité de l'échange, donc c'est le point prioritaire à viser (plus qu'un enfantin "remporter le débat", ou même plus que "comprendre l'autre"). J'ai conscience de répéter à ma sauce ce que tu as dit.

Si un point fait mouche et braque l'autre, il est vraisemblable que laisser le débat retomber (sans prétendre avoir changé d'avis si tel n'est pas le cas) puisse être une bonne solution. Ainsi, on n'agresse pas l'autre en froissant son intimité (le mot "intimité" est pour moi essentiel autour de cette question), et en même temps il a bien entendu notre élément de pensée. Libre à l'interlocuteur de faire l'autruche ou d'examiner cet élément solitairement après coup quand la tension se sera tassée (puis d'estimer qu'on a raison, qu'on a tort, ou que ça lui broie trop les tréfonds donc qu'il retourne en autruche). La seconde option arrive parfois (chez autrui, chez moi…). Bien sûr, cela n'arrive pas toujours (la disposition mentale de l'autre peut tout à fait le rendre imperméable à un argument juste : il ne suffit pas de balancer de la flotte contre une carafe pour la remplir).

En effet, je pense qu'il faut autant que possible séparer l'écoute d'une forme de jugement. D'abord, on engrange tous les arguments, puis on regarde ce qui ressort de cette populace d'idées. C'est chouette si les interlocuteurs peuvent ne pas batailler : chacun met ses gladiateurs dans l'arène (ce qui requiert l'écoute d'autrui pour maintenir les portes ouvertes), puis ce sont les gladiateurs qui combattent sous le regard curieux des suzerains. Cela nécessite toutefois des conditions qui ne sont aucunement gratuites : l'humilité (on accepte préalablement chacun qu'on peut avoir tort), la bonne foi, la volonté commune de trouver "la bonne réponse" (ce qui requiert une prise de distance émotionnelle).

(Certains youtubeurs underground, qu'ils aient raison ou tort sur les questions qu'ils abordent, préfèrent ainsi le format de table ronde à celui de débat.)

Ton "système immunitaire mental" est extrêmement parlant, je trouve, et fait écho en moi.

Afin de ne pas froisser autrui, il faut se garder de le juger. Une façon est de dépouiller la discussion de tout jugement. Une autre est de le réserver à certaines idées ou certains actes (et de ne pas qualifier les personnes). Eventuellement avec des réserves introduisant une imperméabilité (hypocrite ou lucide) entre les cas particuliers (ceux de la vie de l'interlocuteur typiquement) et les cas généraux. Je ne dis pas "tu es un menteur et mentir est mal" (osef de la validité de la phrase), mais "idéalement, en général, mieux vaut dire la vérité ; mais ça arrive à des gens que je respecte de mentir".

Montrer patte blanche en se mettant en position de vulnérabilité, en exposant ses faiblesses, sa faillibilité, peut aussi assainir un échange.

Pour ce qui est de qualifier les idées/mots/actes plutôt que les personnes, tu l'avais déjà dit dans l'entrée de blog sur l'argument "Je ne suis pas raciste". Soit, tu n'en dérivais pas il me semble le corollaire que "Untel EST raciste" était dépourvu de sens. Mais ça fait écho au paragraphe précédent, et la question n'est pas sur ce qui a du sens mais ce qui met dans une bonne posture d'échange.

Il est également bénéfique de considérer l'autre comme son semblable (son frère). Même si ses opinions sont opposées, cet individu m'est semblable, et avec bienveillance je chercherai à comprendre comment il peut se faire que mon semblable me soit si contraire. Tiens, ses parents l'ont éduqué ainsi, en disant que A était terrible ? C'est marrant, moi j'ai baigné dans l'éducation contraire. Il a perdu B à cause de C… Moi, c'est grâce à C que j'ai eu D. Pas étonnant que gnagnagna. Etc.

Essayer de se mettre à sa place au niveau méta aussi. Sa méthodologie logique n'est peut-être pas la nôtre. Qu'est-ce qui a fait que tu as choisi telle méthodologie et lui telle autre ? Quels sont les actes de foi posés au fil du parcours, de part et d'autre ? Quels sont les peurs et les tabous qui ont influé sur cette trajectoire ?

On ne peut que suggérer, offrir à autrui. Changer par force serait un acte de violence, et présumer de sa propre inerrance comme l'a indiqué Ruxor.

Pour ma part, j'arrive à écouter de façon spontanément sereine des gens d'extrême-gauche comme d'extrême-droite, mais pas toute personne d'extrême-gauche/droite. Ce qui détermine si je serai braqué ou non par telle personne semble plutôt être une forme particulière de sentiment de supériorité. Bref, dans mon cas, la teneur des idées importe assez peu, c'est plus la façon de les manier (ça inclut l'arrogance, la méthodologie…) qui m'affectera. Et il y a aussi, bien entendu, d'autres blocages intimes qui remontent à comment je me suis construit depuis le berceau familial (les précédents ont aussi des racines intimes a priori)… Ah, et en général, ça me braque à mort quand quelqu'un essaie de me changer ! (Je décris des phénomènes. Je ne dis pas que je les approuve ou désapprouve, ni les prétends immuables, invulnérables à l'exercice de ma volonté, etc.) J'ai souvent plus de difficulté à trouver une réponse définitive synthétique qu'à engranger en moi les diverses visions cohérentes de l'univers de mes interlocuteurs. (Mathématiquement, y a l'idée d'analyse-synthèse. L'analyse se fait en brainstormant avec autrui, la synthèse est solitaire. Spontanément, j'arrive plus aisément à faire l'analyse que la synthèse.)

Mais globalement, même quand je me braque, après coup, je peux distiller les éléments qui menèrent au braquage. Parfois, néanmoins, le mieux que je puisse distiller est "c'est telle idée qui m'a braqué, et clairement ça bloque quelque part : y a anguille sous roche, mais je ne me sens pas de chasser l'anguille à moyen terme".

J'ai l'impression qu'une bonne approche est de s'enrichir des idées des autres, d'enrichir les autres, et de ne pas spécialement chercher à trouver "la vérité" en live. Ensuite, solitairement, on peut débriefer. Pour cela, la forme écrite est d'une puissance incroyable, je trouve. Une fois couchées sur le papier, les pensées ne peuvent plus se défiler, prétendre être floue ou ne pas exister. Il n'y a plus à chaque étape qu'à tirer les conséquences des précédentes. Pour se débloquer dans cette tâche, il est, je pense, sain d'être vraiment sincère et de s'autoriser à écrire "Telle pensée me semble booléennement correcte mais moralement inacceptable" ou "Tel acte semble moralement impératif mais je refuse actuellement de toute les fibres de mon corps de l'envisager". Chaque phrase appelle un corollaire ou une question, etc.

Ca semble être ainsi que Grothendieck faisait des maths, et en tout cas c'est ainsi qu'il a rédigé Récoltes et Semailles. (Of course, Ruxor est 1000 fois plus compétent que moi sur cette question.) Il était à l'écoute attentive des choses, il ne s'agissait pas de faire le kéké, de paraître intelligent. Même si des motivations égotiques fortes étaient à l'oeuvre, elles donnaient de l'énergie mais ce n'étaient pas elles qui découvraient. (D'ailleurs, il parle pas mal de "méditation" : or la méditation consiste pour un certain nombre de personnes à observer ses sentiments, en prenant une distance avec eux --- nous ne sommes pas nos sentiments ---, donc ça rejoint le début de ma réponse.)

Il s'agit donc de s'écouter humblement (sans prescrire ce qu'on cherche à trouver), et à faire de même avec autrui. Genre "Ah, j'aurais aimé être A, mais en vrai je suis B"… La question du système de valeurs est subtile aussi. Y a-t-il une valeur pour les dominer toutes (e.g. la morale) ? Ou est-ce le cas que diverses choses ont de la valeur, et que tantôt le beau ou le vrai guide tes pas au détriment de la morale ? (Ah ah, si plusieurs valeurs "existent" et ne vont pas toujours dans le même sens, voilà qui pimente la soupe !) Quelle réponse voudrait-on ? Quelle réponse observe-t-on ? Etc.

Bon… et sinon, le train est une occasion de rencontrer des personnes plus génériques que ce qu'on croise au quotidien.

Et vive la bienveillance !!

PS (porte ouverte N+1) : Enfin, si on ne comprend pas l'autre, on a vraisemblablement, de façon égoïste, quelque bénéfice à tirer de l'échange, même à supposer qu'on ait raison. Car il reste à comprendre pourquoi/comment l'autre à tort, ce qui est essentiel si on cherche à comprendre le monde (et pourquoi, peut-être, il ne va pas comme tu voudrais qu'il aille). Et pas besoin de changer cette personne pour que ce gain de compréhension ait de la valeur : la compréhension a de la valeur en soi, et cette compréhension pourrait s'avérer utile à d'autres fins. Cette remarque s'applique si on ne comprend pas l'autre, ce qui est une hypothèse différente de "être en désaccord avec elle".

Ruxor (2017-10-25T13:17:14Z)

@"Le politique trumpe son monde": Je ne comprends absolument pas ce que tu veux dire. Enfin, je crois comprendre quelque chose, mais ce que je comprends n'a strictement aucun rapport avec ce que je racontais, donc je suppose qu'il y a quelque chose qui m'échappe. En tout cas, je n'ai pas d'avis sur la question de savoir si « les jugements moraux (culturels) sont antérieurs et donc prévalent sur la réalité humaine politique du moment (la réalité sociale) » parce que je ne sais pas ce que ça veut dire. Je n'essaie pas de développer une théorie, j'essaie de dire, de façon très pratique, comment avoir une conversation politique constructive avec quelqu'un qui a un avis très très différent. Et je ne crois vraiment pas que M. Macron ait la même approche que moi, parce que la mienne consiste avant tout à « écouter et se rappeler qu'on a peut-être tort », ce qui ne me semble pas être son fort. En revanche, si tu as une autre approche à essayer sur le problème pratique que j'évoque, ça m'intéresse de l'entendre.

Le politique trumpe son monde (2017-10-25T12:37:44Z)

D'après ce que j'ai pu comprendre tu considères que les jugements moraux (culturels) sont antérieurs et donc prévalent sur la réalité humaine politique du moment (la réalité sociale).
Alors que moi je pense que la moralité politique est consubstantielle à l'organisation sociale : on ne peut donc les séparer l'une de l'autre.

Tu me fais un peu penser au président Macron - pour qui tu as certainement voté mais ce n'est pas le sujet - qui croit qu'on peut dissocier une réalité économique d'une réalité culturelle et donc fonder une politique sur la seule réalité économique … ce qui l'amène à nier la culture française comme le passé de la France qu'il peut condamner allègrement puisque selon lui seul le moment présent compte.
Cette dissociation post-moderne me paraît complètement artificielle …

P.S On pourrait aussi imaginer une solution à la Teilhard de Chardin où la réalité morale supérieure serait le point oméga terminal de toute civilisation ! Mais ce serait de la politique-fiction kantienne tu en conviendras …


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