Comments on Sur le dangereux mythe du « génie »

Subbak (2024-03-16T19:50:02Z)

Très surprise deux voir trois bandeurs de Musk différents dans tes commentaires. Sans doute est-ce du génie quand il a personellement demandé à ne pas avoir de déluge d'eau sur un site de lancement et a causé des dégâts considérables à la fois au site, à la fusée (qui a explosé) et a l'environnement (ce qui lui a valu de perdre l'autorisation d'utiliser le site).
De la même façon, faire fuire les investisseurs et les publicitaires de Twitter en épousant publiquement des théories du complot antisémites (sans parler de la transphobie, c'est tout aussi détestable mais moins risqué polutiquement), c'est un coup de génie du marketing.
Un jour ces gens comprendront que Musk ne leur donnera pas d'argent même s'ils le défende sur internet.

Dionysos (2024-03-15T15:42:46Z)

Question éminemment fascinante. Je partage à bien des égards une suspicion sur la rhétorique du génie. Et pourtant comment gérer les cas quasiment purs qui abondent notamment en mathématiques. Le parcours et le tour d'esprit d'un Grothendieck par exemple me semblent mal encadrables dans l'idée que son succès pourrait être lié à la chance ou je ne sais quoi : chez certaines personnes, on remarque des prouesses particulièrement atypiques. C'est, suis-je tenté de penser, le fait brut qui doit ensuite cadrer avec des théories adéquates. Bill Gates and co, alors là, jamais je n'aurais même eu l'idée qu'ils aient quelque rapport avec le génie (ah si la partie de Gates contre Carlsen est "génialement" cocasse, c'est tout !).

Vicnent (2024-03-09T11:49:52Z)

beaucoup de choses à dire.

Tout d'abord, le problème de "Génie". C'est un peu comme les mots intelligence, conscience, etc, il y a autant de définitions que de personnes.

Pour ma part, j'ai plutôt cette approche suivante, et je vais essayer de le décliner sur l'entrepreneuriat, sujet que tu prends alors que tu n'y connais rien et où à l'évidence tu racontes beaucoup de bêtises. Et c'est un sujet que je connais bien.

Pour moi, je classe les gens dans 3 catégories :
- il y a les techniciens, les gens qui savent bien faire, construire, mettre en œuvre : ça ne demande pas beaucoup d'autres compétences que de simplement mettre en œuvre ses propres compétences.
- il y a les ingénieurs : ce sont des gens plutôt capables d'un bon niveau niveau d'abstraction et c'est très utile pour passer du concret à l'abstrait : modéliser, prendre de la hauteur et du recul.

Et avant de définir la troisième catégorie (les leaders), j'aimerais faire cet aparté intuition / génie.
Pour moi, génie reste simplement une appellation de quelqu'un qui fait quelque chose de extra ordinaire. Oui, on peut être extraordinaire par chance (casino, loto), mais on peut aussi l'être parce qu'on a une intuition hors du commun.
L'intuition est cette capacité à faire du lien entre des concepts.

Dans l'entrepreneuriat, il suffit d'une seule compétence pour bien réussir, c'est de savoir bien exécuter le plan. Mais ce qu'on ne dit pas, c'est que ce plan recouvre une myriade de compétences : il faut être visionnaire, il faut comprendre le marché, le besoin. Il faut savoir embaucher les bonnes personnes, il faut être bon tant en tarification, qu'en marketing, qu'en finances etc (je pourrais ajouter ici 20 thèmes et dans chacun d'eux, 10 sous thèmes). Bref, pour être un bon entrepreneur, il faut et il suffit d'être un bon leader. Et un bon leader, c'est quelqu'un qui a une intuition et qui de fait se résume à une seule chose : l'art de poser les bonnes questions (associé évidemment à l'immense culture nécessaire dans tous les domaines : t'as beau avoir une excellente compréhension du marché des enfants de 0 à 4 ans, si tu ne sais même pas qu'il existe une différence entre le financement par le haut ou la bas de bilan, bah … tu pourras juste pas exécuter ton plan parce que tu n'auras pas la trésorerie).

Musk est il un génie ? J'en sais rien et je m'en fous. Est il un "entrepreneur de génie" : oui, évidemment, au sens où j'admets parfaitement que ce terme recouvre le fait qu'il a une intuition hors du commun et qu'il maitrise tout : la communication, le marketing, les finances, le marché, etc… Sa réussite de folie doit elle effacer le fait qu'il s'est trompé ? Cette question est une blague n'est ce pas ?
Sont ils tous très différents ? Oui en général.
Pour le cas de ces 3 là (Musk, Gates, Zuck), la seule façon de voir comment ils s'expriment montre qu'il y a un caractère autistique de leur personnalité qui est frappant. Je connais 2 personnes qui ont pu travailler et passer du temps avec Zuck et Gates, et oui, c'est archi confirmé : ces gens sont différents, font vraiment penser à des autistes, pensent incroyablement vite. Oui, ils ne sont pas cablés comme nous. Sont ils pour autant incapables d'erreur ? non.

Dans ta première partie sur les entrepreneurs (partie allant de "Il y a plein de gens qui sont persuadés que […]Gates, Jobs, Bezos, Zuckerberg Musk, sont aussi riches, […]prédire le mouvement de la boule de la roulette.", il y a au moins 5 biais :

Richesse = chance, sans prendre en compte d'autres facteurs tels que leur travail acharné, leur prise de risque, leur vision stratégique ou leur capacité à innover. C'est à la fois, une généralisation abusive, une fausse analogie, un raisonnement réducteur, un sophisme de l'homme de paille (avec un argument gratuit "on ne devient pas l'homme le plus riche du monde par chance" pour ensuite le réfuter sans aucune nuance.), sans compter le dernier biais d'un raisonnement binaire : génie ou chance.

Si la paragrpahe suivante est plus construit ("Le mirage des milliardaires s'explique parfaitement par l'effet de sélection…"), voilà ce que je peux en dire : sur l'effet de sélection, tu as un biais de sélection en ne prenant que ceux qui ont réussi ; Oui il y a une part d'aléatoire. Mais c'est oublier aussi tout le travail en amont, de pensée, de vision, de modélisation qui vise justement à anticiper l'imprévu. A clientèle égale ou équivalente, dans certains secteurs, le covid a provoqué un grand nombre de faillites du fait de déficit de clientèle : croire que les seuls qui ont tenu est du seul et unique fait de la chance est assez ubuesque. Il y a aussi un autre biais de confirmation, quand tu mentionnes que l'on ne parle pas des entrepreneurs riches qui ont investi et échoué, car cela ne correspond pas à l'image du génie visionnaire que l'on cherche à promouvoir. Ce biais de confirmation donne l'impression qu'il y a une surestimation du rôle des compétences individuelles dans la réussite entrepreneuriale. C'est faux.

Dans tout ce paragraphe, tu sous estimes vraiment (Dunig Kruger probable), les qualités et compétences d'un (excellent) entrepreneur.

Dans la dernière partie de ton propos sur les entrepreneurs, là encore, tu te trompes lourdement.
- l'effet boule de neige est une généralisation abusive.
- tu minimises encore les qualités d'un entrepreneur
- tu caricatures à les croire immatures, impulsifs et entourés de flagorneurs.
- tu caricatures en répétant pour la nième fois génies ou imposteurs chanceux
- tu sembles de ne pas comprendre la notion de prise de risque chez un entrepreneur.

Des gens comme Gates, Zuck, Bezos, Musk ont dû prendre des centaines de décisions stratégiques dont beaucoup auraient pu les tuer. Le fait est que là où ils sont aujourd'hui démontrent bien au contraire que leurs compétences extra ordinaires est bien le facteur essentiel de leur réussite. En ce sens, ils ont démontré avoir, par rapport à beaucoup d'autres entrepreneurs, une vision stratégique exceptionnelle, une capacité à identifier les opportunités de marché et à prendre des décisions audacieuses au bon moment. Bref, la synthèse entre "une excellente intuition" et des qualités certaines de leadership (l'art de poser la bonne question au bon moment, et de savoir mettre en œuvre un plan, tout en gérant tous les paramètres de ce plan : recruter, communiquer, pivoter, etc (x20)). De fait, là il peut y a voir une forme de boule de neige (dont ils sont responsables) : ils deviennent inspirant et attirent les meilleurs talents.

Et ils n'y pas par ailleurs que le génie ou la chance qui permet à une société d'être au top voire de juste rester en vie. Il y a pas mal d'années, lorsque Musk avait montré que les fusées réutilisables allaient abaisser le cout de façon drastique des lanceurs, j'en avais parlé avec un de mes potes, alors un des DAF de l'ESA. Celui ci m'avait alors répondu cyniquement : "c'est un problème, mais pas tant que ça : nous sommes stratégiques et donc on ne manquera jamais de fonds publics". Dans le privé, t'es coulé en 5 min. Donc quand t'es un leader mondial, avec par ailleurs une concurrence qui n'est globalement pas technique ou scientifique (coucou Nvidia ou ASML), si tu ne sais pas avoir un temps d'avance, alors tu vivotes ou tu es mort. Dans les autres cas, ce n'est majoritairement pas la chance mais bien les qualités du dirigeant. (D'ailleurs, de façon un peu provocatrice, si vraiment c'était la chance, pour chaque décision stratégique, on pourrait évaluer quelles sont tous les chemins à prendre et tirer ceux à prendre au sort. Le plus marrant c'est que possiblement, ça sauverait de la faillite quelques boites)

Bref. Dans beaucoup de domaines, (des maths très abstraites à l'entrepreneuriat très concret, mais aussi le sport), je ne pense pas qu'il y ait de génie : je pense juste qu'il y a des gens qui sont bien meilleurs que d'autres. Et parmi ceux là certains sont vraiment exceptionnels. Et très souvent c'est le travail même si on ne peut supprimer la chance qu'est la prédisposition par exemple.

La grande différence entre l'entrepreneuriat et les maths réside peut être dans ceci : dans l'entrepreneuriat, on sait exactement ce qu'il faut faire pour réussir, la difficulté reste de savoir _comment_ on le fait : c'est la stratégie. Lever ou pas de fonds ? Combien ? comment ? Aller sur un marché étranger tout de suite etc… Tout cela nécessite expérience, culture, mais surtout une incroyable capacité à intuiter un plan où tout s'accorde. Y arriver ne peut pas être dû à la chance, il y a mille fois trop de variables. (Et oui, le fait de naitre dans une famille riche favorise l'accès à une culture qui produira des effets possiblement chez l'entrepreneur à terme). Discute un jour avec un entrepreneur qui a réussit plusieurs fois. Tu verras qu'il avait une vision, un plan etc.

Dans les maths, comment expliquer ce que fait Tao ? Est ce dû à sa mémoire ? sa capacité à intuiter ? la chance ? Pour autant, on est bien d'accord qu'il est 'au dessus du lot', non ? Est ce qu'on doit dénigrer le fait qu'il a probablement une prédisposition génétique qui lui donne des capacités cognitives "différentes" ? Dans un cadre tout à fait différent, Schrödinger était au dessus de lot. Je suppose que tu es au courant de ses (immondes) travers dans la vie privée…

As tu déjà discuté avec un joueur d'échecs avec plus de 2750 élo (la crème mondiale). Tu devrais essayer. Tu verras que là aussi, ils ne sont pas cablés comme nous et que ce n'est surement pas le travail qui les amène là, mais des prédispositions (donc la chance) qu'ils ont ensuite travaillée. Le meilleur exemple de cela, ça reste la différence entre Kyrgios et Federer : les deux sont prédisposés à être dans la crème mondiale, mais l'un voit ça comme un jeu, ne bosse pas, etc, tandis que l'autre s'est astreint. Et sans bosser, ça n'a pas empêché Kyrgios de battre Nadal

Donc oui, il y a une part de chance. La bonne rencontre. La bonne naissance. Le bon choix stratégique. Mais dire des meilleurs entrepreneurs qu'ils sont soit des génies soit des chanceux est ubuesque. Il peut y en avoir. Mais surtout ce qui est sûr, c'est qu'il y a beaucoup de travail. Et l'immense majorité des réussites ne tiennent que par eux, sûrement pas la chance.

Corrélation (2024-03-09T06:29:44Z)

https://twitter.com/RichardHanania/status/1766233873850204469

M_a_n_u (2024-03-07T16:35:00Z)

Je pense qu'on peut rapprocher le mythe du génie de celui de la méritocratie. Je trouve cette conférence de François Bégaudeau sur le sujet très instructive : https://www.youtube.com/watch?v=KRsQk6_1oRo

Charles Delaporte (2024-03-06T07:57:01Z)

-> Egan : En ce qui concerne le « cas » Grothendieck :

De mon point de vue (c’est très personnel), son écrasante supériorité lui vient d’une tournure d’esprit fondamentalement aristotélicienne, là où la quasi-totalité des autres mathématiciens sont « naïvement platoniciens ».

En particulier, la manière dont Grothendieck décrit le travail d’approfondissement (dans le chapitre 10 de La clé des songes (« Travail et conception - ou le double oignon »)) comme une sorte de jeu entre la dimension masculine de l’esprit et sa dimension féminine rappelle de façon très évocatrice les notions aristotéliciennes d’intellect agent et d’intellect patient.

D’autres rapprochements assez saisissants seraient à explorer (je pense notamment à la puissante analogie entre conception biologique et conception intellectuelle, à l’omniprésence du vocabulaire de la vie, de la nature, de la fécondité, pour rendre compte de sa propre activité créatrice…)

Thomas (2024-03-05T19:00:43Z)

Un problème que j'ai avec ce sujet et les discussions autour du concept d'intelligence, de talent, etc., c'est que généralement les gens ont choisi un camp : soit tout cela n'existe pas et n'est que le résultat de la chance et/ou du travail, soit les génies existent et il faut les aduler comme tels.

Sinon, le jeu du Monopoly est censé représenter le chemin de la réussite financière à la Elon Musk et si j'en crois le champion du monde de Monopoly :

> If I were to play Monopoly with you, I would probably win because I know the tricks, but in the world championship everyone knows them, so fortune and luck are important.

et

> Nobody has won the title twice.

(Source: <URL: https://www.theguardian.com/lifeandstyle/2022/sep/02/experience-i-am-the-monopoly-world-champion>)

Concernant les mathématiques, les échecs ou certaines compétences basées sur des aptitudes physiques (cyclisme, natation), j'ai tout de même l'impression qu'il y a une reproductibilité beaucoup plus forte.

Anonymous wombat (2024-03-05T15:57:31Z)

C'est amusant ces gens qui tiennent à expliquer qu'Elon Musk a forcément au moins un peu de génie parce qu'on ne peut pas accumuler une telle réussite sans. Mais ses échecs énumérés dans la vidéo de Thought Slime listée dans la note 6, et d'autres par ailleurs (la décision désastreuse de retirer les capteurs des Tesla) amènent aussi à conclure qu'il est forcément au moins un peu débile parce qu'on ne peut pas accumuler tant d'erreurs stupides sans ça. Finalement le jugement sur Musk est dans l'oeil du spectateur, ce n'est probablement ni un génie ni un débile.

JérômE (2024-03-05T14:23:20Z)

> Alors d'abord je ne suis pas sûr qu'il n'y ait pas d'effet boule de neige pour les découvertes scientifiques ou techniques

La théorie des avantages cummulatifs (cummulative advantage distribution) a été proposée pour expliquer cela (et étudié par Derek de Solla Price en particulier).
Pierre-Michel Menger en a fait de larges exposés dans ses cours au Collège de France.

Sinon concernant Einstein, il y a le récent <URL: https://press.princeton.edu/books/hardcover/9780691168760/the-einsteinian-revolution> qui étaye ton point de vue.

Bellon (2024-03-05T12:31:44Z)

Comme Geo, je pense qu'il faut un minimum de compétence pour profiter de conditions favorables,
mais il est tout aussi vrai que la vraie contribution d'un bon chef est de savoir utiliser toutes les compétences autour de lui.

La question importante qui se pose est quelle est la part raisonnable du succès d'une entreprise qui doit revenir à un champion, quand on sait qu'il ne pourrait rien sans l'équipe qui est autour de lui.

L'aspect qui me préoccupe le plus, parce que c'est proche de mes intérêts de chercheur, c'est combien ce mythe de l'homme exceptionnel encourage cette vision que le président du CNRS a appelé Darwinienne, où l'on croit que l'accroissement des inégalités de traitement entre ceux qui contribuent à la recherche pourrait augmenter la production globale, alors qu'elle ne fait qu'accroître ce biais qui revient à attribuer à ceux qui sont le plus en vue la totalité des résultats obtenus. En fait, l'attribution d'un pouvoir excessif à certains sur la base de succès passés est la meilleure manière d'empêcher l'émergence de nouvelles approches.

Fork a.k.a shab0y (2024-03-04T17:46:14Z)

Je suis bien d'accord, particulièrement avec [#3], l'importance du Zeitgeist, et le problème global des discours centrés sur les personnes (mais là c'est peut-être moi qui projette)

Par contre pour faire une critique de style complètement gratuite, la boule de neige qui se transforme en avalanche, c'est pas une image validée par les connaissances modernes en nivologie :P

Geo (2024-03-04T17:36:59Z)

@Héhéhé

Croire que Musk est juste un gars totalement débile qui aurait bénéficié d'une chance inouie tout au long de sa vie, est tout aussi naif et biaisé que de croire que c'est un génie qui transforme tout ce qu'il touche en or et qui a 127 coups d'avance.

Il est antipathique, il raconte des conneries, il a commis des erreurs, il a certainement eu de la chance. Mais il a enchainé tellement de succès qu'on est obligé de reconnaitre qu'il a des capacités et qualités exceptionnelles. Peut-être que c'est seulement une capacité de conviction et de manipulation ? ce n'est pas glorieux, mais ça reste de l'ordre de l'exceptionnel.

Il y a ce biais gauchiste que personne ne serait exceptionnel, on est tous égaux, ceux qui réussissent ont de la chance, ou sont privilégiés, ou on "juste" beaucoup travaillé. C'est aussi bête que la vision libérale du mérite. Peut-être qu'il y a un juste milieu.

Jeanne à vélo (2024-03-04T15:35:25Z)

Très bon texte (et pas seulement parce qu'il m'a appris un nouveau mot, en l'espèce "anatocisme").

Il y a quand même un(e) génie, celui ou celle qui a trouvé ce slogan publicataire : "100 % des gagnants ont tenté leur chance" !

Héhéhé (2024-03-04T13:35:17Z)

C'est quand même incroyable que, même dans les commentaires de ce blog dont le publique est tout-de-même très averti (en tout cas sans doute plus que la moyenne des réseaux sociaux grand publique), qu'il y ait encore des gens pour venir défendre Musk…

Il a bien réussi sa comm' celui-là…

Anonymous (2024-03-03T20:07:58Z)

J'ai eu l'occasion d'écouter une conférence de Samah Karaki qui a écrit un ouvrage dont le sujet me semble quelque peu lié au contenu de ce billet.
Parlant de Mozart, elle a indiqué qu'il avait rencontré Bach dans sa jeunesse… ce qui m'a convaincu que le génie n'existe pas en ce qui la concerne. S'il ne s'agissait pas de Jean-Sébastien, il fallait le dire ; sinon…

jeanas (2024-03-03T16:06:26Z)

> Le mythe du génie existe sous différentes variantes. Il y a par exemple le mythe du petit génie, c'est-à-dire du génie précoce : je me sens particulièrement enclin à démystifier celui-là parce qu'on a plus ou moins essayé de me faire passer comme tel quand j'étais ado, ce qui a certainement nui à mon développement émotionnel et à mes chances de construire des relations humaines saines[#] (heureusement j'avais des amis solides qui n'étaient pas victimes de ce mirage) ; donc maintenant, à chaque fois que j'entends parler d'un « petit génie » je pense surtout qu'on est en train de casser les chances d'un gosse d'avoir une enfance normale en le traitant comme une bête de foire[#2].

Petite anecdote personnelle. Il se trouve que mon parcours scolaire au collège est très inhabituel puisque j'ai sauté la quatrième. Je suis arrivé en troisième dans une classe où non seulement je ne connaissais personne, mais tous les autres se connaissaient parfaitement puisqu'ils étaient déjà dans la même classe l'année précédente (à cause de l'option théâtre), et donc forcément, le gros risque était que je ne m'intègre pas. Dans l'un des premiers cours d'histoire-géo, la prof (qui avait la langue bien pendue) demande de rappeler la date de la révolution française. Un élève répond : 1989. Ce n'est pas ça, qui d'autre ? Je m'exclame : 1789, évidemment, le serment du jeu de paume, tout ça… Ce n'était pas pour rabaisser l'autre élève (qui est devenu un ami, d'ailleurs), j'étais juste vraiment interloqué qu'après avoir passé une partie de la quatrième à étudier la révolution on puisse penser qu'elle avait eu lieu en 1989 (il confondait évidemment avec la chute du mur de Berlin), mais clairement, cela pouvait passer pour de la prétention. La prof : « Oui, mais alors tu ne vas pas commencer à faire ton chien-chien, parce que ça va vite me gonfler, donc chut. » Silence.

Évidemment, sur le moment, j'étais tout penaud et ce n'était pas agréable du tout du tout. Mais avec le recul, c'est la meilleure chose que cette prof (à qui je dois beaucoup par ailleurs) ait jamais faite pour moi. En montrant clairement aux autres qu'elle ne me laisserait pas prendre une place spéciale, elle a réduit leur méfiance envers moi, et l'année s'est très bien passée.

egan (2024-03-03T15:50:29Z)

Un médaille Fields n'est pas d'accord avec toi.
Citation de David Mumford (https://www.dam.brown.edu/people/mumford/blog/2014/
Grothendieck.html) :

Alexander Grothendieck. Now he is a hero of mine, the person that I met most deserving of the adjective "genius".

ancilevien74 (2024-03-03T15:09:38Z)

J’ai retrouvé la planche de Boulet : <URL: https://bouletcorp.com/notes/2015/05/27 >

maje (2024-03-03T15:08:40Z)

Pour info, la société Tesla n'a pas été fondée par Elon Musk, il est arrivé après en tant qu'actionnaire minoritaire puis majoritaire, avant d'en devenir CEO.

Geo (2024-03-03T14:48:56Z)

Un génie est un "individu qui se distingue par une intelligence, une créativité ou des talents exceptionnels. Le terme est souvent utilisé pour décrire des personnes qui ont apporté des contributions significatives ou innovantes dans divers domaines, tels que les sciences, les arts, la musique, la littérature, etc.".

La plupart des gens que tu cites correspondent exactement à cette définition. Peu importe que d'autres qu'Einstein seraient arrivés aux même conclusion, il reste quelqu'un de tout à fait hors du commun, et d'une intelligence hors norme.

C'est plus compliqué pour des entrepreneurs de dire s'ils dans quelle mesure leurs talents sont exceptionels, puisque leur activité comprend une grande part de hasard. Mais je ne pense pas que Zuckerberg, Gates, ou Musk sont juste des tartempions qui ont eu énormément de chance. Ils ont su prendre des risques, se faire accompagner des bonnes personnes, piloter leurs entreprises pendant des années. Peut-être que ce n'est pas "génial", mais ce n'est pas à la portée de tout le monde.

> le succès est juste imprévisible, celui de Facebook comme l'échec du Métavers n'est le résultat ni du génie ni de la stupidité de Zuckerberg mais juste de la chance qu'il a eue à la roue de la fortune. Mais maintenant, Zuckerberg est lui-même persuadé d'être un grand génie des affaires et/ou de la tech, et comme il est entouré de flagorneurs qui veulent récupérer quelques gouttes de son argent, il ne risque pas d'être détrompé

Zuckerberg n'est pas un illuminé, il prend des risques parce que ce n'est nécessaire pour que sa boite puisse continuer à croitre. Et je ne sais pas ce qui te fait dire qu'il est persuadé d'être un grand génie.

Je ne pense pas que ces gens méritent d'être adulés, ni de gagner tellement d'argent, mais tu tombes un peu dans l'excès inverse.

Erwan (2024-03-03T12:55:12Z)

Premier commentaire :

Je suis d'accord que le succès tient beaucoup de la chance. Musk est (ou a été) l'homme le plus riche du monde parce qu'il a enchaîné des paris qui se sont révélés gagnants (jusqu'à Twitter…), un peu comme un joueur de martingale qui remet tout au pot - certains gagnent. Néanmoins il me paraît aussi réducteur de dire que ce n'est *que* de la chance que de dire que ce n'est *que* du mérite.

Mettons qu'un projet a 20% de chances de se concrétiser et de rendre son initiateur richissime. Ces 20% sont le résultat d'un tas de facteurs, la plupart totalement hors du contrôle du fondateur (ce qu'on peut qualifier de "chance") : un événement imprévu (COVID pour Moderna…), des personnes recrutées qui ont d'excellentes idées, l'absence de catastrophe (ex. tomber malade juste avant un moment critique pour l'entreprise), etc.

Mais aussi, pour part, de facteur qui relèvent du fondateur : travail, relations, intelligence… Ces facteurs peuvent changer la probabilité de succès à, disons, 15% ou 25% selon les gens.

Individuellement ça n'a pas de sens de dire que le projet a réussi "parce que" c'était cette personne à la tête : on n'a pas de groupe témoin sans le fondateur pour comparer. Mais si on peut essayer de l'estimer statistiquement en contrôlant d'autres facteurs ; par exemple cet article tente de le faire pour les PDGs :
https://onlinelibrary.wiley.com/doi/full/10.1002/smj.3453
C'est évidemment très incertain comme analyse, certains estiment la contribution à 2%, d'autres à 40%, mais l'essentiel est que ce n'est probablement pas 0.

On peut appliquer intuitivement ce raisonnement à une personne qui a fait successivement des paris entrepreneuriaux : plus elle en a gagné, plus la probabilité que ce soit dû uniquement au hasard est faible et plus la probabilité que cette personne réussisse un nouveau projet est élevée.

Ce n'est pas une garantie, ce n'est pas forcément éthique (Musk est connu pour maltraiter et mettre sous forte pression son entourage - c'est possiblement un facteur contributif de son succès !) et il peut y avoir un effet boule de neige (réussir des projets donne de l'expérience qui contribue à en réussir d'autres par rapport à quelqu'un qui débute), mais il y a bien un rationnel à penser que les gens qui sont devenus immensément riches n'ont pas uniquement eu de la chance (même si, encore une fois, c'était aussi une condition nécessaire).

Une bonne illustration c'est Warren Buffet. Sa richesse est essentiellement constituée d'une multitude de paris boursiers qu'il a fait, basés sur des analyses financières et économiques, beaucoup se sont révélés incorrects mais un peu plus se sont révélées corrects.

2e commentaire : Glass Onion n'était pas censé être à propos de Musk spécifiquement, c'est Musk qui s'est trouvé épouser parfaitement le personnage de Miles le temps que le film soit tourné et diffusé :)
https://variety.com/2022/film/news/glass-onion-elon-musk-accident-rian-johnson-1235476309/

P. Driout (2024-03-03T12:53:05Z)

Tu hais littéralement Elon Musk parce qu'il a des idées farfelues et qu'il a des gens qui les suivent et l'admirent mais pourquoi cela ? Est-ce que tu détestes Jules Verne parce que la plupart de ses idées dans ses romans de science-fiction sont irréalistes et improbables ?

La magie poétique de Jules Verne tient justement à l'impossibilité technique et à l'accomplissement d'hommes vertueux - ou non - jetés dans des aventures qui les dépassent.
On trouve le mythe de la cité idéale dans les 500 millions de la Bégum - c'est pareil chez Elon Musk : il a des visions de cités fantastiques du futur dans l'espace !
Tu trouves que Jules Verne est un monstre ? Non ! Donc on le qualifie de génie du roman de science fiction … avec tous les bémols qu'on veut !

P. Driout (2024-03-03T12:46:06Z)

Quand même un génie faux ou vrai c'est plus amusant qu'un mec normal !
Le miroir aux alouettes des médias que Donald Trump (que tu détestes sans raison) a utilisé avec abondance en faisant croire qu'il était plus riche qu'il ne l'était et autres choses de ce genre à des tas de ploucs cela reste un truc de magicien !
Dans l'univers des médias de masse si on multiplie suffisamment un presque zéro cela devient quelque chose de brillant !

P.S A l'origine de la perle un minuscule grain de sable… le génie c'est quoi alors ? La perle ou le grain de sable qui a permis cette merveille de la nature ?

Hip (2024-03-03T12:42:07Z)

Si on donne une coloration quasi-surnaturelle à "génie", il n'y aura pas de génie. Mais au lieu de dire "untel est un génie", on peut dire "untel est vraiment très fort" : n'est-il pas clair qu'il y a des gens nettement plus doués que d'autres dans tel ou tel domaine ?

Dès lors, OK, on a brisé le mythe du génie selon lequel il y aurait une rupture entre altitude infinie et altitude des mortels (normal) ; mais à part ça, la situation est peu changée, non ? Bien sûr, l'aspect "doué" inclut des aspects tels que le travail.

As-tu des références sur l'autoremise en cause de Hardy concernant Ramanujan ? Ca m'intéresse.

J'ai l'impression qu'on applique le terme génie lorsqu'on a le sentiment que, sans tel individu précis, sa création/découverte serait restée dans l'ombre pendant au moins un siècle de plus (ou pour toujours). Un côté "inimitable", qui rejoint ta "diversité d'approches", d'ailleurs. Pour cette raison, je suis d'accord pour dire qu'Einstein ne se rangerait pas dans cette catégorie (peut-être vide). Mais j'ai tendance à penser que Newton (non pour le calcul diff mais pour le principe fondamental de la dynamique) pourrait s'y ranger : là, j'ai vraiment l'impression d'une rupture dans la compréhension plutôt qu'une avancée graduelle. Il n'est pas exclu pour moi que Galois, Riemann ou Ramanujan puissent entrer dans ce cadre (concernant Ramanujan, je ne le place pas comme un des plus grands mathématiciens de l'histoire, mais comme un de ceux inimitables).

Il est dur de déterminer si, en ce sens défini plus haut, les génies existent. Mais s'ils existent, tu pourras toujours les démystifier si tu argues qu'il y en a beaucoup, que nombre de chercheurs plus ou moins ordinaires sont inimitables eux aussi. Bref, casser le mythe du génie non par l'inexistence mais par le grand nombre.

Typhon (2024-03-03T11:51:37Z)

J'interprète pas la citation de Perlis comme toi
Pour moi ça parle plus de la passion ou de la nécessité de faire un truc, indépendemment de si on y est bon ou non.
Toi comme moi ne somme pas des sculpteurs et probablement que si nous nous essayions à la sculpture, nous produirions un temps des choses médiocres avant d'arrêter et de faire d'autres trucs (Je parle au conditionnel mais c'est un peu ce qui est arrivé quand j'étais petit).
A contrario, quelqu'un qui trouve un plaisir immense dans l'acte de sculpter (ou qui ressens autrement la nécessité de le faire) va forcément finir par s'améliorer, mais ce qui aura importé c'est la sensibilité initiale et la persistance à le faire durant des années.
Et c'est comme ça que j'interprète cette citation, moins comme un avis sur le talent inné de Michel-Ange qu'une idée sur le fait que sculpter est un acte "naturel" (ou nécessaire) pour lui, l'était avant qu'il ne fasse le travail qui lui a permis de devenir un bon sculpteur, et en est la cause sous-jacente.

(Ce qui rejoint la notion de génie : est-ce que le génie c'est celui qui bosse plus que les autres, ou est-ce que c'est celui qui a un talent inné qui lui fait aller plus vite en bossant moins, les deux idées sont très différemment simplistes et dangereuses)


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